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18 novembre 2024

Sauvez les enfants!


Nouvel article sur les 7 du quebec

Sauvez les enfants!

par Allan Erwan Berger

2014_05_15_01

ALLAN ERWAN BERGER       J’ai reçu il y a deux jours un lourd colis en provenance d’Espagne. Envoyé par un correspondant conchyliologue, il contenait plusieurs kilos d’un gravier coquillier dragué dans le détroit de Gibraltar, à l’endroit le plus étroit, juste au large de la côte marocaine, par 120m de fond.

Le matériau qui a été récolté dans cette opération correspond à un détritique de bas de pente, qui ramasse donc tous les débris et les morts du talus. L’étude des différents êtres qui reposent dans cet endroit montre que la rocaille au-dessus de ce tas de gravats était colonisée par du corail rouge, qui apparaît ici soit en éclats d’un cerise vif, soit en vieux morceaux d’une couleur plus brique. Il y a aussi de la dentelle de Vénus, du corraligène, des fragments de gorgones, de très étranges petites moules chevelues qui ne dépassent pas les 7mm, et quelques gastéropodes prédateurs.

Mais ce n’est pas tout. Comme nous sommes dans la partie la plus étroite du goulet, nous sommes sur le passage des embarcations remplies d’Africains en route clandestine pour l’Europe. Il s’agit de bateaux pneumatiques surchargés, équipé d’un moteur étique, d’un peu d’essence et de quelques prières. La population qui a embarqué grelote, car on traverse de nuit, et de préférence par temps couvert. Il fait tellement froid pour des Sahéliens qu’ils sont emmitouflés dans des anoraks.

La visibilité est nulle. Les porte-conteneurs qui sillonnent le détroit sont innombrables, rapides, immenses et soulèvent des vagues meurtrières. Il pleut, il y a du vent, les enfants pleurent, les vagues claquent, on embarque de l’eau, il faut écoper. Les gens sont tellement tassés que le moindre mouvement collectif peut être fatal. Que surgisse la vague d’étrave d’un cargo, et le pire peut arriver comme ça, d’un seul coup. Le canot se retourne. Rares sont les gens qui savent nager. Une guerre s’allume pour accéder aux pneumatiques, s’y accrocher, glisser sur les boudins, chercher une prise et ne rien trouver, tandis que l’eau glacée de l’Atlantique donne une sensation d’étouffement, que le cœur se ralentit, et qu’un sommeil irrésistible peut t’envelopper en une seconde. Je le sais car ça m’est arrivé dans un torrent. Je me suis donné un coup de pied mental énorme, et je ne me suis pas endormi. Moi j’ai survécu. Mais ordinairement les Sahariens meurent. Ils voient au loin les lumières de l’Europe, ils voient derrière eux les lumières du Maroc, ils voient sur eux la nuit sans espoir, et le gouffre sous leurs jambes. Puis ils s’endorment, désespérés.

Dans mon échantillon de coquillier j’ai retrouvé des éclats de montre, un chariot de fermeture-éclair, et une moitié de molaire. Je pleure encore.

Imaginons :

Imaginons un monde où l’Europe, écrasée sous la botte policière de gouvernements qui seraient entièrenment soumis aux princes marchands, n’agirait plus politiquement que comme un prédateur avide de fric et de parts de marché.

Imaginons que des poulets, par exemple, seraient produits au Brésil dans des conditions sociales telles que cela détruirait les emplois corrects qui pourraient encore y subsister, pour ne plus laisser à la population d’autre solution que de s’enfourner dans des usines géantes où elle serait traitée comme du bétail de somme, un peu comme à Tijuana, au Mexique, en zone ALENA.

Ces poulets une fois tués et préparés traverseraient l’Atlantique en bateau pour débarquer par exemple en Pologne, où ils seraient conditionnés et empaquetés selon les normes européennes. À cette occasion, ils bénéficieraient probablement d’une subvention.

Continuons à imaginer. Les poulets, bien subventionnés avec l’argent des Européens au chômage, seraient vendus dans les pays d’Afrique ou du Moyen-Orient, partenaires de l’Europe à des conditions terribles (abaissement des barrières tarifaires, obligations d’achats de masse, etc). Ces poulets, vendus à un prix dérisoire sur place, tueraient immanquablement tous les petits producteurs locaux de volaille, les ruinant aussi sûrement qu’un obus lancé sur leur exploitation.

Ceci se passerait aussi avec le blé, avec le porc, avec le soja, avec tout ce qui peut être subventionné par le plus puissant, tandis que le plus faible n’a pas le droit, lui, de soutenir son agriculture.

Alors les paysans des pays acheteurs disparaîtraient, et toute une économie s’effondrerait, rendant l’argent si rare que même le poulet dit “européen” deviendrait, malgré son prix misérable, inabordable ; et le riz, et le blé, etc. Les famines se répandraient, engendrant des conflits et des déplacement de populations.

Ces pauvres déracinés erreraient d’un pays à l’autre, mal reçus partout, crevards sans avenir, rejetés d’un bidonville dans un camp de rétention, ou une mine de sel, ou enfermés dans un bordel géant pendant trois années. Naufragés sur leur propre continent, esclaves de tous, cibles de la policaille et de la politicaille. Les plus courageux partiraient pour l’Europe, et traverseraient soit aux Canaries, soit à Lampedusa, soit à Gibraltar. Imaginons.

Un fou l’a imaginé:

En 1918, monsieur Lu Xun, intellectuel et nouvelliste chinois très engagé à gauche, écrivait, dans la première histoire qui fut imprimée de lui (Le journal d’un fou), et qui a pour sujet le cannibalisme des gens (meurs aujourd’hui je mourrai demain) :

« Changez, changez jusqu’au tréfonds de votre cœur ! Sachez qu’à l’avenir, il n’y aura plus de place sur terre pour les mangeurs d’hommes. »

« Si vous ne changez pas, chacun de vous pourrait bien être dévoré à son tour. »

Le narrateur se rends compte peu à peu qu’il a vécu toutes ces années dans un lieu « où l’on se repaît de chair humaine depuis quatre mille ans. »

« Avec quatre mille ans de cannibalisme derrière moi – je ne m’en rendais pas compte, mais maintenant je le sais –, comment pourrais-je espérer rencontrer un homme véritable ? »

Et je pleure en lisant cette harangue du fou, tandis que je tiens dans mes doigts le chariot de la fermeture-éclair.

Le fou conclut :

« Se pourrait-il qu’il y ait encore des enfants qui n’ont pas mangé de l’homme ?

Sauvez-les !… »

Avril 1918

Les trois jamais:

1- Ne perdez jamais de vue que ce que vous défendez, c’est la morale de vos mères et la vie de vos enfants.
2- N’abandonnez jamais rien aux vampires.
3- Ne laissez jamais votre espoir s’enfuir, car il est tout ce que vous a

Allan Erwan Berger | 5 octobre 2019 à 0 12 00 100010 | URL : http://www.les7duquebec.com/?p=222750
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