Par Mohamed Larbi Bouguerra (revue de presse : Leaders – 9/12/19)*
Le 6 décembre 2019, la Chambre des Représentants à Washington a voté par 226 voix contre 188 une résolution non contraignante en faveur de la solution à deux Etats en Palestine et contre l’annexion unilatérale de la Cisjordanie. Cette solution peut assurer, affirme ce texte « la survie d’Israël comme Etat juif et démocratique et répond aux aspirations légitimes pour un Etat palestinien. » Cette résolution montre l’opposition croissante du parti démocrate aux politiques jusqu’auboutistes de Netanyahou et de sa coalition d’extrême droite, d’après les analystes.
Si nous passons des bords du Potomac à ceux de la Seine, au pays de René Descartes, la logique et la raison ne règlent pas toujours les actes de certains parlementaires.
Le 2 décembre 2014, l’Assemblée nationale française adoptait une résolution (Texte adopté n° 439) portant sur la reconnaissance de l’Etat de Palestine en « invitant le Gouvernement français à reconnaître l’Etat de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit. »
Or, le 3 décembre 2019, une Assemblée nationale profondément divisée a adopté la « résolution Maillard », censée « lutter contre l’antisémitisme », par 154 voix pour, 72 contre et 43 abstentions sur un effectif total de 577 parlementaires. Sur les 303 députés du groupe LREM (parti du Président Macron) qui portait la résolution, seuls 84 ont voté pour, alors que 26 ont voté contre, 22 se sont abstenus et tous les autres ont brillé par leur absence. Les groupes socialistes, la France Insoumise (M. Mélenchon) et Gauche Démocrate et Républicaine (PCF notamment) ont voté contre. Cette résolution a été adoptée par un vote étriqué, les « pour» représentant à peine le quart des députés du peuple français.
Deux poids, deux mesures
Or ce texte nie purement et simplement l’existence de la Palestine et des Palestiniens. La résolution Maillard fait sienne la définition de l’antisémitisme adoptée par l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance) qui met sur le même plan antisémitisme et antisionisme. Liberté ? Egalité ? Fraternité ? Non quand il s’agit d’Israël. Ces trois valeurs promues par les révolutionnaires de 1789 sont mises aux oubliettes.
L’auteur de la résolution n’est autre que le député LREM Sylvain Maillard qui offre au lobby sioniste -le CRIF- ce lot de consolation : une définition mensongère de l’antisémitisme. Ce lobby voulait condamner le mouvement BDS (Boycott des produits israéliens comme cela a été fait contre ceux de l’Afrique du Sud de l’apartheid) en France. Ce qu’on lui a refusé en haut lieu. M. Maillard a, selon certains, participé, il y a quelques mois, à une réunion avec l’affairiste israélien Yossi Dagan, chef de file des colons en Cisjordanie occupée (Gideon Levy, Haaretz, 8 décembre 2019). Il n’est donc guère étonnant que sa résolution débute ainsi : « Critiquer l’existence même d’Israël en ce qu’elle constitue une collectivité composée de citoyens juifs revient à exprimer une haine à l’égard de la communauté́ juive dans son ensemble, tout comme rendre collectivement responsables les juifs de la politique menée par les autorités politiques israéliennes est une manifestation d’antisémitisme. »
Ainsi donc, il est interdit d’exprimer le moindre doute au sujet du sionisme, « l’unique et seule idéologie au monde dont la justesse ne peut être mise en question par les nations du monde libre » écrit Gideon Levy.
Si pour l’Assemblée nationale française, Israël est « une collectivité composée de citoyens juifs », quel est alors le statut des citoyens palestiniens musulmans et chrétiens qui constituent 20% de la population du pays ? Quel est le statut des sujets vivant sous l’occupation israélienne ? Les 154 députés français qui ont voté ce texte singulier ont fait mine d’ignorer ces questions et ont dit : « Liberté, Egalité, Fraternité pour les seuls juifs d’Israël ! » Ils n’avaient rien à offrir aux six millions de Palestiniens qui vivent sous la férule de « la collectivité composée de citoyens juifs ». Peut-être une « Liberté, Egalité, Fraternité » de seconde zone ? Ce qui est clair, c’est que quiconque pose ce genre de questions est dès à présent qualifié d’antisémite.
Sous couvert de la juste lutte contre l’antisémitisme, l’Europe et les Etats Unis bâillonnent toute voix osant critiquer l’Etat d’Israël. En fait, sous couvert de lutter contre l’antisémitisme, c’est la liberté de parole qui est dans le collimateur.
Le sionisme, un mouvement politique oppressif
Faut-il rappeler, comme l’ont fait du reste plusieurs députés, que l’Etat d’Israël viole tous les jours le droit international et les résolutions de l’ONU et qu’il nie totalement les droits du peuple palestinien ? Faut-il rappeler le vote, en juillet 2018, par le parlement israélien de l’abjecte loi « Etat-nation du peuple juif », une loi suprémaciste et raciste faisant l’objet de nombreux recours en Israël même ? Faut-il rappeler qu’un collectif de 129 professeurs et intellectuels juifs a publié une tribune dans Le Monde du 2 décembre 2019 contre la résolution Maillard. La pétition mentionne que : « L’antisionisme est un point de vue légitime dans l’histoire juive, et il a une longue tradition, y compris en Israël. Certains juifs s’opposent au sionisme pour des raisons religieuses, d’autres pour des raisons politiques ou culturelles. De nombreuses victimes de l’Holocauste étaient antisionistes. Le projet de résolution les déshonore et offense leur mémoire, en les considérant rétroactivement comme antisémites. » Pour les signataires, le sionisme est un mouvement politique oppressif : « Pour les Palestiniens, le sionisme représente la dépossession, le déplacement, l’occupation et les inégalités structurelles. Il est cynique de les stigmatiser comme antisémites parce qu’ils s’opposent au sionisme. Ils s’opposent au sionisme non par haine des juifs, mais parce qu’ils vivent le sionisme comme un mouvement politique oppressif. Agir ainsi témoigne d’une grande insensibilité et d’une politique de deux poids, deux mesures, sachant qu’Israël nie le droit de la Palestine à exister et mine son existence même. »
Gideon Levy interpelle ainsi les députés français : « Les manifestants le long de la barrière de la cage de Gaza sont-ils des antisémites ou des combattants pour la liberté ? Que dire des personnes de conscience qui sont en accord avec ces Gazaouis ? A partir de maintenant, ils sont hors-la loi en France. Si nier le droit à l’autodétermination des juifs est antisémite, comment le Parlement français qualifie-t-il le déni des droits des Palestiniens par Israël ? Pourquoi ne passe-t-il pas une loi en faveur de ces derniers, Tout simplement parce que ni les Palestiniens ni la justice n’ont un puissant lobby en France. »
C’est ainsi que la résolution Maillard peut maintenant classer comme antisémite le regretté chancelier autrichien Bruno Kreisky qui disait : «Cette blague du peuple juif est un des grands mensonges de la vie. Parler du peuple juif n’a pas de sens. Sans Hitler, Israël comme pays, n’aurait jamais existé…Je ne veux pas qu’on m’oblige à être parent de tous les juifs du monde. Un capitaliste juif, c’est d’abord un capitaliste, je le combats. Un impérialiste juif qui opprime les Palestiniens est un impérialiste, je le combats aussi, je n’ai rien de commun avec lui. »
*Source : Leaders