La Turquie a apparemment trouvé un expédient assez commode pour se délester des éléments les plus violents parmi les trois millions de réfugiés syriens accueillis sur son territoire: les expédier en Tripolitaine où ils seront à la fois des auxiliaires et les premiers combattants au front devant les opérateurs des forces spéciales turques.
Des médias évoquent la présence d’un peu plus de 500 combattants syriens à Tripoli tandis que la Turquie semble déterminée à intervenir militairement en Libye à la demande expresse du gouvernement d’entente nationale de Fayez al-Sarraj. Pour le moment la plupart des combattants ou mercenaires syriens transportés par les turcs en Libye appartiennent ou disent appartenir à l’Armée Syrienne Libre ou ASL, une milice rebelle syrienne quasiment annihilée par les forces armées syriennes et les forces aérospatiales russes durant le conflit en cours en Syrie.
En d’autres termes, un pays de l’Otan utilise les moyens aériens et maritime de la plus grande alliance militaire au monde pour transporter des mercenaires considérés comme « terroristes » du théâtre des opérations en Syrie septentrionale au champ de bataille autour de Tripoli en Libye occidentale.
C’est un peu le remake de ce qui c’est passé en Syrie du Nord.
Sur le terrain, ces nouveaux mercenaires disent qu’ils sont venus « défendre l’islam » en Libye et se heurtent aux forces et aux milices soutenant le Maréchal Khalifa Haftar qui tentent de prendre d’assaut la capitale libyenne depuis des mois. L’Armée Nationale Libyenne ou LNA (Libyan National Army) serait soutenue par des combattants du Groupe privé Wagner et des mercenaires français et égyptiens. Des dizaines d’éléments du Groupe Wagner ont péri dans les combats autour de Tripoli.
La Turquie semble déterminée à intervenir en Libye et l’usage de mercenaires syriens en première ligne pourrait s’avérer une stratégie payante susceptible de minimiser d’éventuelles pertes humaines au sein de la force de réaction rapide turque et maintenir un momentum face aux forces adverses de Cyrénaïque, lesquelles pourraient bénéficier d’un soutien grec en plus du soutien fourni entre autres par la France, L’Égypte et les Emirats Arabes Unis.
La boucle est bouclée: en 2012, le consulat américain à Benghazi en Cyrénaïque servait de point de transit aux armes et mercenaires envoyés par la CIA vers la Syrie via le Sud de la Turquie pour semer le chaos en Syrie et tenter d’accélérer un changement de régime à Damas. En 2019 et en 2020, le Grand Turc retourne le mécanisme mis en place à son profit et envoie les rebelles syriens guerroyer en Libye pour sauvegarder les lignes d’approvisionnement en brut à prix très réduit mais surtout pour inaugurer en grande pompe la nouvelle stratégie turque en Afrique du Nord.
A la veille du premier jour de l’an 2020, l’Otan est en cours d’implosion en Libye, pays que cette alliance est intervenue en 2011 pour y produire un changement de régime ayant abouti à un effondrement étatique et sécuritaire englobant aussi bien la Méditerranée centrale que le Sahel.
Quatre pays de l’Otan se retrouvent opposés en Libye: outre la Grèce et la Turquie, le conflit libyen risque fort d’aboutir à une confrontation militaire directe entre les forces spéciales françaises et italiennes, notamment autour des sites de production pétrolier et des terminaux. L’Italie soutient en effet le gouvernement de Tripoli tandis que la France soutient Haftar et le gouvernement non reconnu de Tobrouk.
Cette configuration particulière est unique et inédite depuis 1945.
L’Otan et le concept même de la défense commune européenne, laquelle n’a jamais existé sont les dernières victimes collatérales du bourbier libyen et de l’activisme turc soutenu par Washington. A noter également, le mépris absolu de la Turquie pour les pays du voisinage immédiat de la Libye, conséquence logique de leur inertie lors de la guerre en Libye de 2011 et leur incapacité à arrêter le chaos qui s’est installé ensuite dans ce pays très riche d’Afrique.