ANATOLE ATLAS
AU CHILI
Théroigne – Les Grosses Orchades – 22.1.2020
Nous ne pouvons mieux amorcer l’évocation de cette péripétie dans la saga d’Atlas (alias Jean-Louis Lippert) qu’en reproduisant tel quel un article paru dans La libre Belgique en 2001, mais qui n’a pas une ride.
Souvenirs parricides : un entretien avec l’écrivain Jean-Louis Lippert
Éric de Bellefroid – La Libre-Culture – 12.4.2001
Qui a osé dire que les rebelles étaient des gens tristes? Que celui-là aille tout de go visiter Jean- Louis Lippert dans sa campagne du Brabant flamand et il reviendra métamorphosé. Parce que, comme diraient les publicitaires, Lippert, c’est un caractère. Une grande figure de la contestation depuis qu’il osa toiser Lacan, impromptu, un jour que celui-ci tenait un séminaire extraordinaire à Louvain l’ancienne.
On était en octobre 1972. Il a 21 ans et vit dans le vieux Louvain. Mais certainement pas pour y étudier; en vérité, il bricole dans des maisons collectives, profitant de sa toute fraîche liberté, lui qui a été brimé dès l’enfance au Congo dont il conserve une indéfectible affection pour les opprimés et a vécu toute son adolescence «cloîtré» dans un pensionnat catholique.
Ce jour-là, Jean-Louis Lippert cherche un copain à travers la ville. Pour lui parler, peut-être, de «l’être-ensemble» situationniste ou de «l’imminence d’un bouleversement radical des rapports sociaux». Dans un bistrot, on lui désigne l’auditoire où il pourra le retrouver. Il s’y rend de ce pas et trouve là une foule dense, pour ainsi dire hypnotisée. La psychanalyse, à ce moment- là, est devenue une institution. La société vit un peu ce que Prigogine nomme «la fin des certitudes» : certaines particules instables, en déséquilibre, proches du chaos, se mettent à innover. Au plus intime de la matière inerte, se reproduisent des phénomènes semblables à de la vie. «C’était là l’état d’esprit du moment, rappelle Jean-Louis Lippert. On était en situation de particules instables.»
Lippert savait déjà qu’il ne ferait jamais partie de la classe des dominants. «Je suis entré, j’ai vu le Maître parler. Il était impossible de ne pas se laisser aller à la provocation.» L’échange est frontal. Le jeune effronté interpelle Lacan: «Est-ce que vous ne trouvez pas bizarre que ces futurs cadres grattent la parole de leur Maître?» Le psychanalyste, interdit, acquiesce calmement: «Oui, effectivement, je trouve ça bizarre.» Lui qui avait toujours refusé d’être filmé l’est ce jour-là exceptionnellement par la RTB.
Avançant peu à peu vers Lacan, soudain fébrile, celui qui se fera connaître sous le nom de code d’Anatole Atlas le double de Lippert en personne poursuit son invective et déverse soudain la cruche d’eau de l’orateur sur ses feuilles rendues illisibles. «Il s’agissait de construire une situation. Moi qui voulais écrire et noircissais des carnets contre l’art et le roman, j’étais en train d’écrire en actes.»
Jean-Louis Lippert entendait signifier, par cet étrange happening, par un geste dont il salue la théâtralité, que l’homme n’a pas besoin de psychanalystes, que c’est la société bourgeoise tout entière qui est malade, dominée par l’avoir au point d’en occulter l’être. «La psychanalyse agissait comme un lubrifiant du système social et était donc destinée à la bourgeoisie. Il était vain de croire que les psychanalystes pouvaient réparer les maux de l’être humain en faisant l’économie d’une psychanalyse du corps social tout entier.» Le maudit gredin se souvient qu’il avait aussi trempé dans l’eau, «pour la perturber», une pâtisserie: on est en plein attentat pâtissier! Tandis que de nombreuses filles, comme des groupies au bord de l’hystérie, buvaient les paroles du Maître, dont la cravate voire même le cigare allaient être à leur tour éclaboussés. «Il fallait peut-être souiller le symbole qu’était Lacan en tant que détenteur du verbe, et donc du pouvoir.»
Près de trente ans plus tard, Jean-Louis Lippert confesse sans manière son respect et sa sympathie pour le plus surréaliste des psychanalystes. «Une époque a les maîtres qu’elle mérite. Où sont les maîtres d’aujourd’hui? Les maîtres de la parole? On mesure l’abîme» Il vit lui-même à l’écart de la ville, dans une apparente dialectique de sérénité et d’exaltation. «J’ai toujours fait des boulots de merde parce que, par principe, je refuse de gravir des échelons dans la société.» Situationniste de coeur, ami fervent de Raoul Vaneigem, héraut de 68, il reste obsédé par «l’acte d’écriture». Il y cultive une démarche d’interrogation qui n’a pas cessé depuis sa célèbre intervention. Et qu’il se refuse obstinément à clore par une réponse. D’ailleurs, il s’est mis aussi à écrire des romans.
Né en 1951 à Kisangani (ex- Stanleyville), Anatole Atlas se considère toujours congolais. Il n’a pas oublié les petits enfants noirs qui, en 1957, sont entrés à l’école en même temps que lui. Et il garde brûlante la marque de la chicote qu’il avait un jour reçue pour avoir joué avec ces mêmes enfants d’une autre couleur.
Or donc, à l’origine de tout ceci, il y eut, le 13 octobre 1972, une conférence de Jacques Lacan à l’Université (Catholique) de Louvain, où le maître fut interrompu par un jeune homme de 21 ans : Lippert futur Atlas.
La conférence fut filmée et, bien entendu, l’interruption aussi.
Pour les admirateurs de Jacques Lacan ou les simples curieux, voici le film qu’en fit Françoise Wolff, future star du JT de la RTBF. Il s’intitule « Lacan parle ». C’est une version presque intégrale de la conférence, parce que Françoise Wolff n’a pas eu tout à fait assez de bande pour filmer jusqu’au bout.
Lacan parle
Et voici l’interruption qui en est extraite :
À l’âge d’être grand-père – il va, croyons-nous, sur ses 69 ans -, Lippert, qui justement s’est mis à signer Atlas en mémoire d’un sien grand-père, n’a rien abdiqué de sa fougue interventionniste ni de ses idées, qu’il n’a pas cessé, au contraire, d’affiner et de préciser avec le temps. Bref, il persiste et signe.
Dire que cela ne le met pas en odeur de sainteté auprès de ceux que M. Serge Halimi appelle, je crois, « les chiens de garde », serait vraiment très peu dire. Et nous sommes en Belgique vous savez…
Comme il met ses actes en concordance avec ses paroles, Anatole est pauvre. Ce détail va jouer un rôle dans l’épisode évoqué ci-dessous.
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en 2017, un jeune universitaire chilien, Rodrigo Gonzalez [« Instructor adjunto y Doctorante en Psicoanalisis » (UNAB)] a écrit et publié un livre consacré à son historique interruption de Lacan.
Rodrigo GONZALEZ,
Lacan Y Un Situacionista : Intervencion Performativa De Su Encuentro Pifiado
Editorial: Polvora Editorial – 2017
161 páginas
ISBN: 9789569441141
La anécdota es relativamente conocida… la interrupción pr parte de un estudiante de la conferencia que dicta Lacan en la universidad belga de pronto exhibe y compromete una escena sobre psicoanálisisn a la que sobreviene un encuentro político, no sólo por la irrupción siempre traumática, de una circunstancia que disloca la situación, haciéndola fallar, haciendo que no marche según la expectativa que trama el discurso universitario que inevitablemente la enmarca.
En conséquence de quoi, au Chili, deux colloques furent convoqués :
… l’un, intitulé « DESTINO ESTELAR DE LA PALABRA », par l’Université Andrès Bello de Santiago du Chili, pour le (vendredi !) 13 décembre, auquel devaient participer, outre l’interrupteur Lippert et l’auteur du livre, MM. Felipe Larrea, Docteur en Philosophie (+Esthétique et Théorie de l’Art), et Juan Pablo Bustamante, Psychanalyste de la Nouvelle école lacanienne et diplômé en, psychologie,
… l’autre, intitulé « SITUATIONNISME, CONJONCTURE ET NOTES SUR LA SITUATION AU CHILI – Colloque sur l’art, la politique et la psychanalyse, avec la participation de l’écrivain belge Jean-Louis Lippert ». pour le lundi 16, par la « Faculdad de Humanidades y Educacion » de l’Université de Valparaiso.
… dans un Chili agité par les convulsions que l’on sait, même si nos merdias s’appliquent à les minimiser.
Tout cela était fort intéressant et même attrayant, mais… pour aller au Chili, il faut un billet d’avion. Or, comme tous ceux (si rares !) qui mettent leurs actes en accord avec leurs paroles, Atlas-Lippert est irrémédiablement pauvre. Que faire, sinon demander une aide logistique aux pouvoirs publics (car aussi pauvre qu’on soit on paie toujours, quand même, des impôts, qui sont censés servir à ces choses). Que croyez-vous que lui répondirent les dits pouvoirs (ministériels, universitaires, « culturels » et autres), dans leur ineffable langue de bois bureaucratique ? Ils lui répondirent « va te faire foutre ». Laissons de côté les mécènes qui avaient déjà Greta Thunberg sur les bras. Il a donc failli ne pas pouvoir s’y rendre. Quand, heureusement, le Centre Wallonie-Bruxelles (qui siège à Paris) a décidé de ne pas laisser faire à son pays aussi grotesque figure, et puisé dans sa petite caisse. Il faut croire que le fait d’officier depuis des années hors des frontières a contribué à les civiliser. Pour les autres : voyez Baudelaire.
Mais répétons-le, ce qui n’était pas prévu, c’est que l’invité tomberait dans un pays en pleine ébullition révolutionnaire. Ce qui fait que le colloque de Santiago ne s’est pas tenu à l’Université du tout, mais dans un parc public, au milieu de 50.000 personnes, dont l’une a fait cadeau à l’invité de cette bannière mapuche, qui deviendra – qui est déjà – un de ses fétiches.
De retour dans sa marâtre patrie (qui est prophète en son pays ?), Anatole s’est mis en devoir de coucher ses souvenirs et ses réflexions par écrit, et de les offrir à spherisme.be
Nous les y avons cueillis pour vous, dans l’ordre où ils apparaissent. Qui s’étonnera d’y trouver Pablo Neruda, Julio Cortazar et Salvador Allende aux côtés de Jacques Lacan ?
CHILI
Santiago de Chile
« J’entre au vrai royaume des enfants de Cham. »
Dans l’anthropocide en cours, qui prête l’attention qu’elle mérite à la voix de l’Ancêtre Cham, cette ombre tutélaire de l’humanité ? J’entre au vrai royaume des enfants de Cham, nous avait lancé Rimbaud. Combien pourtant cette voix millionnaire en années se lamente sur la cécité de notre troisième œil et l’occlusion de nos anciennes facultés imaginales ! Combien déplore-t-elle notre soumission à l’impitoyable colonisation des zones psychiques où se joue notre dignité !…
À l’aube de l’ère bourgeoise, Emmanuel Kant osait une définition de la dignité dont la prise en considération ferait exploser Kapitotal et la tour Panoptic : « ce qui est supérieur à tout prix et n’admet pas d’équivalent »…
Depuis trente ans que la propagande enrobe de prestiges idéels une très matérielle ouverture des marchés, la tyrannie de Kapitotal est une absolue négation de sa dignité pour la plus immense part de l’espèce humaine, murmure l’Ancêtre Cham. Comment ne pas l’écouter quand il ajoute que cette société ouverte équivaut à une fermeture de l’esprit, cadenassé par les verrous de la tour Panoptic ?…
S’il est un lieu où sa voix bientôt se fera entendre, ce sera Santiago de Chili. C’est lui qui inspira Destino estelar de la Palabra !
Source : http://www.spherisme.be/Texte/Santiago.htm
CHILI
Graal de l’Œil imaginal
L’invisible main du marché s’est emparée de tous les crânes.
Deux doigts surgissant par les orbites, un pouce par la bouche, replient leurs serres sur l’unité monétaire faisant fonction d’hostie sacrificielle au Moloch, dont les commandements sont exclusive transcendance…
Il saute aux yeux que la scène fut une Cène ; et que les miettes versées par un hirsute gueux des rues dans la cruche du conférencier le furent ainsi qu’en un ciboire, à l’effroi des fidèles groupés autour du Grand-Prêtre pour une communion rituelle. Mais pourquoi l’officiant parla-t-il, après la fuite précipitée du profanateur dans un auditoire universitaire de Louvain, ce lointain soir d’octobre 1972, de « Jérusalem céleste » ?…
La moitié de l’establishment culturel belge était alors présente, l’autre moitié ne s’en souvient plus. Le gueux des rues marchait déjà dans les débris d’un Graal que nous crûmes à portée de la main : celui du rêve d’une chose dont parlait Marx, que Rimbaud précisa, faisant briller l’œil d’un rare éclat ces années-là. Mais il y eut loin de la coupe aux lèvres. Blasphématoire transmutation de l’archaïque chaudron magique, puis du calice de la Sainte Table en la corne d’abondance néocapitaliste : récipients prometteurs d’une plénitude explosant en gerbes de sang tirées aux veines de tous les continents — singulièrement au Chili !… Par quelle intuition l’orateur évoqua-t-il une Jérusalem céleste, où selon sa mystique resplendirait le divin calice ? Débris qui seraient héritage, à propos duquel il faudrait s’expliquer un jour à Santiago du Chili…
Car un cri primal comparable à celui de la naissance, il arrive qu’on le pousse à 20 ans. Telle soirée d’octobre 1972, le souvenir en resta gravé sur pellicule, images et sons circulant depuis par la grâce des électrons. Ces éclats de voix vieux d’un quasi demi-siècle, parvenus au pays voisin de la Terre de Feu, le philosophe Rodrigo González en tirerait un livre : Lacan y un situacionista…
Source : http://www.spherisme.be/Texte/Graal.htm
CHILI
Destino estelar de la Palabra
« Qu’est l’homme, sinon une âme tenant vertical un cadavre. »
Malcolm Lowry, Uppon the Volcano
Toute Parole rend un culte à la Trinité, mon propos tentera de le montrer. La psychanalyse utilise un opérateur à trois termes (Es, Ich, Über-Ich) pour explorer les modalités de la formation du sujet. Ces figures peuvent s’interpréter comme celles d’un récit. Mon hypothèse est que, comme les figures de toute autre forme de récit, ces trois termes de la psychanalyse ont un lien avec la trinité grammaticale fondamentale : Je – Tu – Il …
Avant d’aller plus loin, je voudrais poser la question :
Qu’a-t-il fallu pour que je vous parle en cet instant ?
Le chemin que je vous invite à suivre conduit aux lointaines origines de l’activité littéraire. Quelle plus haute mission l’écriture assume-t-elle que de plonger à la source même des conditions de naissance du sujet de la langue ? Un texte, s’il a pour objet cette naissance, ouvre sur une co-naissance. Mais aussi sur une re-naissance. À connaître et renaître convie la littérature, si elle n’est pas oublieuse de ses origines orales…
Je reviens à la question : Qu’a-t-il fallu pour que je vous parle ?.
Des bibliothèques entières nous documentent, sous formes théologiques, anthropologiques et mythologiques, sur les mystères entourant la Parole. Mais je voudrais vous convier à vivre l’expérience du temps d’avant le premier mot. N’existent, pour les grands singes de l’Est africain, voici X millions d’années (je ne me soucie pas ici de datation précise), que nature physique, ici-bas fini, pure immanence d’une existence biologique et organique. Un long apprentissage des outils, grâce à l’activité des mains libérées de leur seule fonction locomotrice, a favorisé les connexions neuronales du cerveau qui permettront de faire jaillir le feu…
Source : http://www.spherisme.be/Texte/Palabra.htm#_edn1
CHILI
Trump & tramp
Je n’ai jamais écrit que mon testament, lequel dilapide un héritage riche en reconnaissances de dettes. Ainsi voici tout juste 100 ans, le 23 janvier 1920, lors de la première matinée littéraire organisée par les fondateurs de la revue Littérature André Breton, Philippe Soupault et Louis Aragon, sous les vociférations suraiguës de Tristan Tzara, s’amorçait une émeute intellectuelle et spirituelle dont la culture occidentale ne se purgerait qu’au prix du double stratagème de l’occultation, puis de la récupération. Les surréalistes salueraient bientôt la rébellion contre l’impérialisme et le colonialisme engagée dans le Rif par Abd el Krim. Que dénonçaient-ils, sinon ce moteur à explosions qu’est un capitalisme faisant des peuples réduits en bouillie son carburant ? Dans le même temps, où donc était passée l’essence humaine ? La vieille Europe a-t-elle depuis jamais cessé de distiller d’épaisses fumées de confusion obscurcissant les consciences et saturant l’air du poison mortel de la guerre, agrémenté de déodorants pacifiques, humanistes et démocratiques ?
Le sort de la planète n’était pas encore un enjeu médiatique planétaire quand naquit la dernière avant-garde littéraire de la modernité sous le nom de Sphère Convulsiviste, voici 40 ans. Tout être humain devrait être considéré comme un axe du monde portant le globe sur ses épaules et assurant une relation vivante entre terre et ciel : ce postulat convulsiviste, qui me fit adopter l’hétéronyme d’Atlas en 1979, était une conséquence logique de l’insurrection surréaliste fomentée un demi-siècle plus tôt.
Source : http://www.spherisme.be/Texte/Tramp.htm
CHILI
Las Tres Casas de Pablo Neruda (I)
Botella en el Mar desde l’Isla Negra
Les rochers de l’Isla Negra n’ont pas oublié la voix de Pablo Neruda…
Dans leur mémoire séculaire sont gravées les images de son assassinat par la soldatesque chilienne de Kissinger, le 23 septembre 1973…
Sur la plage en contrebas, les mouettes parlent aux algues du Canto General en une langue ancestrale que traduisent les murs de Santiago. J’envoie le talisman de leur message comme une bouteille à la mer contenant une carte au trésor que l’humanité n’a pas fini de déchiffrer :
« En la cosmovision andina, los ojos estan en la espalda y la mirada hacia al pasado. »
(Selon la cosmovision andine, les yeux sont dans le dos et le regard est tourné vers le passé.)
Aux yeux des bourgeoisies coloniales d’Amérique du Sud, les peuples indigènes sont toujours un vieux film qu’on n’a pas choisi de voir ou choisi de ne pas voir. La question du regard pour le pouvoir ne se pose donc jamais que via les caméras et les écrans de la tour Panoptic…
Implantées dans les têtes comme dans les poches du prolétariat, ces bouillies d’images et de mots frelatés l’éloignent de lui-même comme un film distillant les fausses consciences nécessaires à Kapitotal. *
48 ans plus tard…
Souvent le destin m’a pris pour un autre…
Source : http://www.spherisme.be/Texte/Botella.htm
CHILI
Las Tres Casas de Pablo Neruda (II)
Septième Étage à Santiago
J’avoue que j’ai vécu : ces Mémoires, si l’on envisage la sphère entière des missions séminale, racinienne, florale, fruitière et chorale (voix des oiseaux ivres de l’alcool du fruit) confiées à un livre, sont les plus riches en sève jamais offertes à l’humanité pour se rassasier corps et âme…
Tu l’ignorais encore apercevant le bonhomme assis sur ce banc comme un paisible retraité. Sifflets, tambours, trompettes, manifestants juchés sur des statues équestres peinturlurées de slogans dénonçant tortures et assassinats depuis des heures t’avaient mené vers cette maison, phare en surplomb de Santiago. Les paupières du type étaient trop lasses pour qu’il ne te considérât pas de ses yeux mi-clos, presque avec indifférence ; à ceci près que, dans sa paume ouverte, fumait un morceau de braise ardente, qu’il te tendit comme du feu à un passant…
Ce visage glabre et rond sous la casquette et ces yeux globuleux : pouvait-il connaître la fin de ton dernier message, une citation d’Aragon t’enjoignant de souffler sur les charbons pour dire ce qui est à voir ? Le nom de cette maison devenue musée – la Chascona – référait à la chevelure de Matilde Urrutia. Flammes ébouriffées. Tout feu n’est-il pas une convocation de l’esprit des morts ? S’il n’est pas de plus haut devoir pour les vivants que de les faire s’esclaffer, l’humour est leur forme d’expression la plus raffinée quand ils s’adressent aux mortels. Sur la façade bleue deux graffitis : Piñera dictador, Neruda violador…
Source : http://www.spherisme.be/Texte/7eEtage.htm
CHILI
Las Tres Casas de Pablo Neruda (III)
Bal céleste à Valparaiso
« … sur une place de Valparaiso, un soir de chaleur et de tristesse,
j’ai lu assis sur un banc ton Espagne au cœur … »
Julio Cortázar, préface à l’édition française de Residencia en la Tierra (1972)
Le ciel de Valparaiso s’affairait à son crépuscule, faisant jouer toutes les couleurs du monde aérien pour être digne des explosions criardes et sensuelles dont le prolétariat de la ville a vêtu ses habitations. Tableau vertical épousant les collines que cette ville où la montagne plonge dans l’océan. Cette abstraction picturale recouvre un sens du concret dont nul ne parle mieux que le penseur Emilio Guzmán. Pour l’heure je ne le connais pas encore, ni n’ai revu le philosophe Rodrigo González – l’un et l’autre organisateurs du colloque* prévu ce soir à l’université – mais je gravis la côte au pourcentage de col alpin menant à la maison locale de Pablo Neruda…
Déambuler seul, parfois sans un rond, toujours très peu fortuné, dans une ville inconnue : cette expérience poétique absolue, je l’ai vécue sur tous les continents excepté l’Océanie (nom fabuleux qui devrait plutôt servir à désigner l’Atlantide). Ici vous dépassez à pied des bus poussifs qui ne montent pas jusqu’en haut de la côte. Au sommet du bien nommé quartier Bellavista, dont la vue plonge vers le port et ses lions de mer, le soleil est une chair pantelante que reflètent les hautes voiles rouges de la Sebastiana, demeure en forme de navire de l’aède chilien. Je m’attendais à retrouver le spectre de don Pablo, mais un poète peut-il aimer la routine ? D’autres urgences devaient le requérir dans l’autre monde, et je m’adresse à un passant (pourquoi la formule Alguien que anda por ahi te vient-elle en tête ?) pour le prier de bien vouloir prendre une photo sur son téléphone portable…
Un grand oiseau blanc fit des ronds dans le ciel au-dessus des mats de la Sebastiana. Quel signe y lire ? Ces lettres que je trace afin d’éterniser l’instant de la photographie spectrale prise par l’inconnu, ne passeront pas de l’état de larves à celui de lucioles sans la métamorphose opérée par l’œil d’un lecteur éventuel. Encore faudrait-il que celui-ci n’ait pas été réduit à l’état de cloporte, et qu’il envisage possible que certaines Fleurs du Mal aient fait condamner leur auteur moins pour de supposés poèmes licencieux qu’en raison de cette impardonnable insulte à la bourgeoisie représentée par l’Albatros, toujours le même, dont les ailes déployées tournoient autour du navire aérien de l’aède Neruda, pour ouvrir j’ignore encore quel bal dans le ciel de Valparaiso
Source : http://www.spherisme.be/Texte/Valparaiso.htm
Un Manifeste du convulsivisme
1848 a eu son Manifeste du parti communiste, par la grâce de Karl Marx et de Friedrich Engels. D’une mémorable matinée littéraire du 23 janvier 1920, par celle d’André Breton, de Philippe Soupault et de Louis Aragon, est né, en 1924, le Manifeste du surréalisme. Ce 23 janvier 2020 (c’est nous qui sommes en retard), le Manifeste du convulsivisme a vu le jour, sous le titre (emprunté à Neruda) de Destin stellaire de la Parole.
Qui reprend l’essentiel de ce qui précède, dans un autre ordre et complété de manière à en faire ce que John Cowper Powys appelait une « borne d’histoire terrestre ».
Vous, chers lecteurs, ne pourrez cependant pas le voir, sauf si…
Petit extrait :
« Ensemble ils m’inspirèrent l’idée d’imiter Zo d’Axa. Parmi les lecteurs de sa revue L’En Dehors, seuls ceux qui lui envoyaient une lettre assez motivée pour le convaincre avaient une chance d’acquérir ses livres. »
En un mot comme en cent, Destin stellaire de la parole ne sera pas rendu public avant le mois d’avril prochain. Il le sera en même temps qu’un autre livre en gestation et à des conditions que nous ne connaissons pas encore. Mais notre petit doigt (celui de Mercure) nous dit que ceux qui, d’ici là, le demanderaient à spherisme, pourraient bien le recevoir en cadeau.
On peut déjà voir en couverture que l’auteur a gratifié sa bannière mapuche de l’étoile rouge du communisme, du croissant vert de l’Islam et du soleil noir de la mélancolie. Ce n’est pas par caprice et c’est très loin d’être gratuit.
À suivre…
Source : spherisme.be
Mis en ligne le 26 janvier 2020