La Libye, une confrontation multidimensionnelle
28 janvier 2020
Analyse
Antoine Charpentier
Lundi 27 janvier 2020
Depuis l’intervention militaire occidentale en Libye le 19 mars 2011, sous l’égide de l’ONU et ce pays vit une situation très complexe agrémentée par des divisions et des guerres internes, le tout couronner par des ingérences étrangères de tous types.
À travers plusieurs stratagèmes bien rodés et une multitude de mensonges, le camp occidental a fait voter à l’ONU la résolution 1973, qui lui a permis d’intervenir en Libye sous prétexte d’en finir soi-disant avec la dictature du colonel Mouammar Kadhafi, dans le but d’instaurer la liberté et la démocratie. Toutefois, il convient de préciser que le président libyen n’était pas totalement un ennemi juré de l’Occident.
L’intervention occidentale en Libye a engagé ce dernier dans une voie qui semble pour le moment sans issue. La Libye a été mise en sac, sans que des pays comme la Russie ou encore la Chine puissent s’opposer au désastre, comme ce fut le cas pour la Syrie. Aujourd’hui le conflit libyen s’éternise, menaçant en même temps la fragile stabilité africaine, mais également européenne. La récente arrivée de la Turquie sur la scène libyenne, sa confrontation idéologico-politique avec l’Égypte d’une part et l’Arabie Saoudite d’autre part rend la situation encore plus complexe.
Nous constatons en prime abord des divisions européennes au sujet de la Libye, ce qui n’est pas le cas pour la Syrie où le camp européen semble uni, de bon gré ou de force. La chancelière allemande Angela Merkel affirme haut et fort que la solution en Libye est politique. Toutefois, il n’existe aucune solution sérieuse proposée par les européens. Le conflit libyen dégénère aux portes de l’Europe attirant une multitude de mercenaires et de terroristes, ainsi que l’intervention de la Russie ou encore la Turquie, avec qui l’Europe n’est pas vraiment en bon terme. Le 19 janvier 2020 Berlin a organisé une conférence internationale au sujet de la Libye en présence de 12 États et 4 organisations internationales ainsi les chefs libyens en conflit, Khalifa Haftar et Fayez Sarraj, ceci sans aucun résultat tangible.
La situation en Libye préoccupe également l’Europe d’un point de vue de l’arrivée massif de réfugiés sur ses côtes. Cette dernière est bien consciente que toutes dégénérations totales en Libye pourraient aboutir à une déferlante de barque de réfugiés vers son territoire. À cela s’ajoute les menaces quasi permanentes du président Recep Tayyeb Erdogan de renvoyer les réfugiés syriens et autres vers l’Europe. Ce qui a nécessité le 24 janvier une visite de la Chancelière allemande en Turquie.
La Russie revient en force sur la scène libyenne et malgré ses déclarations d’être l’intermédiaire entre Fayez Sarraj et Khalifa Haftar, elle semble plus soutenir ce dernier. Ceci se traduit par son veto au Conseil de Sécurité des Nations Unis en sa faveur. Il convient également de prendre en compte que la réussite de la Russie en Syrie, motive cette dernière d’intervenir en Libye, comme dans d’autres régions dans le monde. Tout de même, la Russie tente de prendre sa revanche en Libye, après l’erreur stratégique qu’elle a commise en 2011 se privant de mettre son veto à la résolution 1973 de l’ONU. La Russie aspire également à avoir une plus grande part du pétrole et du gaz libyen, notamment après la signature effectuée en février 2017 entre le président de la firme nationale libyenne de pétrole et l’entreprise Rosneft russe.
Actuellement la Libye est un champ de confrontation entre Istanbul et le Caire. Cette dernière voit dans l’intervention turque une réelle menace. Tandis que les objectifs de la Turquie sont multiples, allant du fait de briser son isolement opérant au-delà de ses frontières, jusqu’au maintenir une position confortable en méditerranée, afin d’avoir une belle part des ressources gazières. L’intervention turque en Libye permet à Ankara de se positionner comme un interlocuteur privilégié en méditerranée, surtout face à l’Europe. Enfin, par son intervention en Libye, la Turquie semble vouloir déplacer les factions armées qui lui sont liées en Syrie, afin d’éviter leur éparpillement sur son territoire à l’issue de la bataille d’Idleb, en Syrie.
Plusieurs acteurs interfèrent dans la crise libyenne, ayant chacun ses propres intérêts et sa propre stratégie, prenant parti pour Fayez Sarraj ou pour Khalifa Haftar. Tandis que d’autres envie les richesses naturelles de la Libye ainsi que sa place géographique.
La confrontation en Libye est multidimensionnelle, elle comporte en premier lieu une guerre entre les forces libyennes de Sarraj et de Haftar, puis une confrontation européenne notamment entre l’Allemagne et la France. L’affrontement est également entre la Turquie et l’Égypte. Enfin, l’Algérie tente d’impliquer les pays africains voisins à la Libye afin d’unir leurs efforts, contribuant à une solution viable. Toutefois, elle demeure dans une confrontation implicite avec le Maroc dans le dossier libyen.
Une chose est certaine est que la guerre en Libye continue bel et bien, sans avoir à l’horizon une solution politique quelconque ou un cesser le feu durable.
Reçu d’Antoine Charpentier pour publication