Par Richard Labévière (revue de presse : Proche-Orient.info – 27/1/20)*
« Keep cool… you know the rules… » avant un « so » frenchie accent qui tranche singulièrement avec son anglais habituel plus proche de Davos que de celui des docks de la Tamise ! Le Président Macron nous l’a joué mauvais remake de Jacques Chirac, lorsque ce dernier interpellait vivement les flics israéliens qui l’empêchaient de serrer les mains des Palestiniens de Jérusalem-Est en 1996.
Sans jurer que la réaction d’Emmanuel Macron ait été soigneusement fabriquée, les services de l’Elysée ne pouvaient pourtant ignorer que l’intrusion des flics israéliens dans le protocole des visites françaises en terre palestinienne est un classique du genre. L’auteur de ces lignes en a vécu quelques-unes.
En novembre 1997, la sécurité israélienne perd volontairement, sur une petite route de campagne, le cortège officiel d’Hubert Védrine qui se rend à Ramallah pour y rencontrer Yasser Arafat. Trois heures de retard sur le programme ! En mai 2003, les mêmes flics veulent entrer de force dans le consulat général de France, avant le ministre Dominique de Villepin. Des coups de poing sont échangés avec les gendarmes français des voyages officiels.
A chaque visite ministérielle ou présidentielle française, ces incidents se répètent, de même que les humiliations quotidiennes des Palestiniens aux check-points de l’armée israélienne : nous y avons vu des femmes accoucher dans des taxis, des agriculteurs de Bethléem se rendant au marché de Jérusalem devoir présenter tomate par tomate, poireau par poireau de leur cargaison aux vigiles qui font durer l’exercice jusqu’à l’heure où le marché fermera ses portes.
SAINTE ANNE, C’EST LA FRANCE !
Pourquoi les flics israéliens se comportent-ils de cette façon ? Parce qu’ils en ont reçu l’ordre ! Parce qu’ils doivent montrer qu’ils font ce qu’ils veulent dans les territoires palestiniens occupés, annexés ou en passe de l’être. Ils doivent impérativement montrer qu’ils n’ont à respecter, ni les règles du savoir-vivre diplomatique, ni les accords de siège, ni toutes autres règles internationales, parce qu’ils prétendent être ici chez eux, sans avoir à rendre de compte à quiconque, comme si l’Histoire les exonérait de toute espèce de légalité internationale. Depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948, plus de 470 résolutions du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale et de la Commission des droits de l’homme des Nations unies sur la question palestinienne ont été adoptées et aussitôt rejetées par le régime de Netanyahou !
Le dernier incident de l’église Sainte Anne de Jérusalem n’est pas non plus le premier, parce qu’à Jérusalem : Sainte Anne, c’est la France ! Située dans la vieille ville de Jérusalem-Est, l’église fait partie du domaine national français en Terre Sainte, tout comme le Tombeau des Rois, l’église du Pater Noster sur le mont des Oliviers et l’abbaye Sainte-Marie de la Résurrection d’Abu Gosh. Elle est administrée par les Pères blancs. De style roman, elle a été construite par les croisés en 1140 et a tout de suite été dédiée à Sainte Anne. En 1192, après la conquête de Jérusalem par Saladin, l’église est transformée en école de droit coranique, puis tombe en ruines au cours des siècles. En 1856, après la guerre de Crimée, la France reçoit l’église du Sultan Abdülmecid 1er en remerciement de son aide à la Turquie. Sainte Anne est alors restaurée et l’État français la confie en 1877 à Monseigneur Lavigerie et à sa Société des missionnaires d’Afrique. Entre 1882 et juin 1967, le lieu abrite le grand séminaire pour la formation des prêtres grecs-catholiques.
Actuellement, le site est toujours administré par les Pères blancs. Ayant beaucoup de projets en Afrique, leur travail à Jérusalem consiste essentiellement à la formation de séminaristes, mais aussi à l’accueil de nombreux pèlerins (qu’ils soient catholiques, protestants, anglicans ou orthodoxes).
Un accueil relativement difficile, du fait de la petite taille du site confronté à l’incessant harcèlement administratif israélien cherchant à décourager pèlerins et visiteurs. Ainsi, Sainte Anne de Jérusalem est la cible régulière de l’occupation israélienne parce qu’elle accueille une ONG chargée des rapports écrits sur les comportements des Israéliens et des Palestiniens lors des passages de check-points. Le nom de cette ONG est Ecumenical Accompaniment Programme in Palestine and Israel (EAPPI).
CHIRAC, UNE CERTAINE IDEE DE LA DIPLOMATIE FRANCAISE
Dans cette ruelle toute proche du Saint Sépulcre, dans la vieille ville de Jérusalem, tous les anciens se souviennent de la scène. « On voulait serrer la main du Président Chirac, mais les agents de sécurité israéliens nous repoussaient », raconte Amjad, un vendeur ambulant. Alors votre président s’est énervé et il a dit : « c’est de la provocation ! Vous voulez que je reprenne mon avion et que je retourne en France, c’est ça ? ».
C’était le 22 octobre 1996, le désormais fameux « You want me to take my plane and to go back to France ? » entrait dans l’Histoire. Yasser Arafat ne tarira jamais d’éloges sur le « docteur Chirac », venu le voir sur son lit de mort à Paris en novembre 2004. Les Palestiniens n’ont jamais oublié. A l’occasion du départ de Jacques Chirac de l’Elysée, en 2007, la municipalité de Ramallah a inauguré une rue Jack-Chirac. Un homme d’affaires palestinien, Khaled Musleih vivant à Jérusalem-Est, non loin du lieu de l’incident, rappelle : « pour nous, Chirac n’était pas seulement celui qui a osé défier les Israéliens, c’est aussi l’homme qui refusa de faire la guerre en Irak en 2003 ou de faire pression sur Yasser Arafat comme l’exigeaient les Américains. Une indépendance rare chez les grands de ce monde ».
Avant sa visite, Jacques Chirac avait pu arracher un cessez-le-feu aux Israéliens qui pilonnent régulièrement les Territoires palestiniens occupés. A sa demande, la diplomatie française participait activement aux différentes tentatives de relance des négociations entre les deux parties. A cette époque, notre pays avait encore une diplomatie digne de ce nom, qui comptait aux Proche et Moyen-Orient.
Devant Sainte Anne de Jérusalem, la dernière protestation polie d’Emmanuel Macron est intervenue dans un tout autre contexte géopolitique. Face au conflit israélo-palestinien qui fait toujours rage, la besace diplomatique française est aujourd’hui vide, désespérément vide ! Non seulement Paris n’a rien – strictement rien – à proposer sur ce dossier historique, mais ce qui est beaucoup plus préoccupant est de voir notre diplomatie s’aligner sur les orientations décidées à Washington et Tel-Aviv, sinon s’applaventrir devant celles-ci !
Traditionnellement, après chaque bombardement israélien de Gaza ou de Cisjordanie, le Quai d’Orsay se fendait toujours d’un communiqué officiel, condamnant, à tout le moins, « la violence d’où qu’elle vienne », selon une formule usitée et consacrée par les porte-paroles successifs du Département depuis des décennies. Aujourd’hui, plus rien de tel, pas même le service minimum, comme si la question palestinienne était sortie des écrans radar de notre diplomatie.
AUJOURD’HUI OU EST LA FRANCE ?
La mise en retrait substantielle de la diplomatie française aux Proche et Moyen-Orient peut être datée de mars 2012, lorsqu’Alain Juppé décide de fermer l’ambassade de France à Damas. Alors que la crise syrienne fait rage depuis une année, c’est justement dans de telles circonstances que nos diplomates et services spéciaux auraient dû donner leur pleine mesure. La France, qui pouvait s’appuyer en Syrie sur un passé et une mémoire, aurait pu s’imposer comme médiateur possible. Au lieu de cela, Paris décidait de rejoindre la ligne américano-israélienne : faire en Syrie ce qui avait été fait en Irak, « changer le régime » et renverser le « boucher Bachar al-Assad », le seul boucher de la région, c’est bien connu !
Partant de là, les pays de la région – qui restaient pourtant très attachés à la troisième voie française – s’adresseront directement à Washington, Tel-Aviv, Moscou, sinon Pékin. Si, à partir de mars 2012, la descente aux enfers s’est accélérée, on ne peut pas ne pas rappeler qu’elle a commencé avec un Chirac finissant, en juin 2003 au G-8 d’Evian. George W. Bush – qui fait payer à la France son « non » à l’invasion anglo-américaine de l’Irak de toutes les manières possibles – boude ostensiblement le sommet. Symboliquement, le président américain passe la nuit à Genève et fait une brève incursion dans la ville d’eau savoyarde, moins d’une vingtaine de minutes – montre en main -, sans tenir sa traditionnelle conférence de presse, pour bien souligner son hostilité à cette réunion internationale sur sol français…
L’auteur de ces lignes assiste à la scène : sous l’hélicoptère d’Air–Force-One qui s’élève dans le ciel lémanique pour ramener George W. Bush à Genève, Jacques Chirac se tourne vers ses collaborateurs présents – Jean-David Lévitte (ambassadeur de France à Washington), Maurice Gourdault-Montagne (sherpa/conseiller diplomatique) et Stanislas de Laboulaye (conseiller politique) – en s’exclamant : « il va falloir trouver quelque chose pour calmer ce connard que je vais devoir me refarcir dans une semaine sur les plages du Débarquement… ». En effet, le 6 juin 2003 débutait sur les plages de Normandie, la 49ème commémoration du Jour-J en présence notamment des deux présidents français et américain1.
Après cet épisode très chiraquien, Jean David Lévitte proposera trois choses : 1) consolider les forces françaises anti-terroristes aux côtés des Américains en Afghanistan ; 2) exfiltrer d’Haïti le très anti-américain père Aristide vers un pays africain ; 3) à partir du Liban, lancer une initiative diplomatique forte destinée à aider Washington qui commençait à s’enliser en Irak. Ce sera le début de la rédaction franco-américaine de la résolution 1559 du conseil de sécurité des Nations unies. Cette résolution tirera un trait sur quarante années de diplomatie gaulliste, sinon gaullienne aux Proche et Moyen-Orient.
En 2008, Nicolas Sarkozy achèvera la besogne en faisant revenir la France dans le commandement intégré de l’OTAN. François Hollande confirmera la tendance et le tropisme d’une diplomatie alignée sur les options de Washington et de Tel-Aviv. Recevant le premier ministre Benjamin Netanyahou après les attentats terroristes de Montauban, il tient dans cette ville une conférence de presse commune avec l’homme de Tel-Aviv qui engage les Juifs de France – victimes de l’antisémitisme – à émigrer en Israël… A ses côtés, François Hollande – président de notre pays – ne pipe mot, laissant le criminel de guerre Netanyahou trainer la France dans la boue ! Honte, quelle honte !
ETAT D’APARTHEID
Une honte similaire devrait agiter quelque peu Emanuel Macron, qui va faire des ronds de jambe devant le même Benjamin Netanyahou, en posture difficile avec la justice de son pays, pris la main dans le pot de confiture de corruptions aggravées. Mais le plus scandaleux est d’assister à une instrumentalisation lamentable de la 75ème commémoration de la fermeture des camps d’Auschwitz-Birkenau, de Gross-Rosen, de Buchenwald, d’Ohrdruf et de Dora-Mittelbau pour accuser les « tyrans de Téhéran » d’être les plus antisémites de la terre. Comme ses flics, Netanyahou n’en reste pas là et dépasse toutes les bornes pour faire l’apologie de son « Etat juif ».
Proclamé comme tel – « Etat juif » – par Benjamin Netanyahou lui-même et la Knesset2, voilà une régression politique qui devrait être condamnée par la terre entière ! Depuis le traité de Westphalie (24 octobre 1648), qui mit fin à trente ans d’une guerre religieuse particulièrement meurtrière, on pouvait penser qu’une laïcisation des relations internationales était, si ce n’est définitivement acquise, du moins constituait un progrès irréversible. Erreur : en 1947, les Britanniques quittent l’Inde en favorisant la création du Pakistan – « le pays des purs » -, fondé sur les textes sacrés musulmans.
Avec son « Etat-juif », Netanyahou remet le couvert, instaurant une citoyenneté à deux vitesses, fondée sur une distinction religieuse : seuls les « Juifs » seront des citoyens de plein droit, quant aux autres ils devront se soumettre… Autant dire, qu’on est en pleine réhabilitation d’un système d’Apartheid que la communauté internationale a mis des décennies à vaincre en Afrique du Sud… Cette invention théocratique viole, non seulement le droit international, mais aussi l’histoire et les principes mêmes des fondateurs de l’Etat d’Israël de 1948.
En définitive, la commémoration de la fermeture des Camps de la mort aurait dû se faire en Allemagne et en Europe, sur les lieux mêmes de cette industrie de l’extermination. Car se sont bien les Nazis et leurs complices européens qui furent les protagonistes de cette horreur, non les Palestiniens et autres Arabes… Ce détournement de mémoire a, aussi un autre objectif : imposer l’idée que Jérusalem puisse être – un jour – la capitale d’Israël. Conformément aux résolutions 242 et suivantes des Nations unies, Jérusalem demeure un territoire occupé par une armée étrangère depuis juin 1967 et ne saurait être l’improbable capitale d’un Etat colonial ! De plus, plusieurs résolutions du conseil de sécurité consacrent le statu international de Jérusalem, siège universel des trois religions du Livre. Que cela plaise ou non au criminel de guerre Benjamin Netanyahou, le droit international n’est pas encore complètement aboli !
Bref, en marge des éructations idéologiques de Netanyahou, en marge de cérémonies officielles détournées, la soldatesque israélienne continue à tuer quotidiennement femmes et enfants dans les Territoires occupés palestiniens, à annexer de nouvelles terres et à déporter des populations… Pour quelle raison, le régime de Netanyahou peut-il imposer de telles indignités à la face du monde, sans encourir la moindre des sanctions ?
*Source : Proche et Moyen-Orient.info