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15 novembre 2024

Interview d’Alexandre Adler : « Le terme « corona » apparaît dans un rapport de la CIA dès 2005 »


Publié par Gilles Munier sur 1 Avril 2020, 10:42am

Par Rebecca Fitoussi (revue de presse : Public Sénat – 24/3/20)*

En 2005, Alexandre Adler préfaçait pour les éditions Robert Laffont « Le nouveau rapport de la CIA – Comment sera le monde demain », résultat de deux ans de travail de plusieurs dizaines d’experts évaluant la situation de la planète sur les quinze années à venir (2005-2020). Cette crise du Covid-19, les experts l’avaient prédite avec une précision saisissante. Alexandre Adler revient sur ce rapport et se projette dans l’après-crise. Selon lui, cette épidémie sera un tournant pour l’avenir du monde et annonce de profondes transformations.

Pourriez-vous d’abord nous recontextualiser la publication de ce rapport qui annonçait une épidémie mondiale et la façon dont vous avez été amené à le commenter ?

Oui, je dois quelques explications à nos lecteurs sur ce rapport de la CIA qui me donne un peu le statut de prophète. [rires] Je rappelle d’abord que les rapports de la CIA étaient réguliers, ils avaient l’habitude d’y évoquer la situation géopolitique avec des questions comme « La Russie va-t-elle rester dans une semi-démocratie ou va-t-elle connaître un épisode autoritaire ? Ou d’autres questions comme « la Chine représente-t-elle une menace ?». Des questions pour lesquelles j’avais une certaine compétence. Les éditions Robert Laffont me demandaient alors d’écrire des introductions où je prenais position sur ce que racontait la CIA. Cela intéressait beaucoup de monde, c’était une idée très intelligente de la CIA. Au lieu d’envoyer ce genre de rapport à quelques personnalités triées sur le volet, l’idée était de s’adresser à l’opinion publique et de la prendre à témoin, de se mettre au service du public.

Que prédisait ce rapport ? Quel était le scenario ?

Je l’avais moi-même oublié, mais le terme « corona » apparaît dans ce texte écrit dès 2005. « Corona » est un terme codé qui était utilisé par les épidémiologistes en Amérique pour nommer ce qu’ils considéraient comme la pandémie ultime. De pandémie en pandémie, nous allions avoir une pandémie qui allait véritablement s’étendre à la Terre entière. Pourquoi ? Et bien parce que la mondialisation avait atteint un stade très avancé. La CIA mettait en garde, et j’étais plutôt d’accord. J’étais assez critique, non pas de la mondialisation que je considérais comme un phénomène inévitable et qui comporte de nombreux éléments très positifs, mais elle avait aussi des éléments négatifs. Par exemple, et c’était ce à quoi la CIA était déjà sensible, le fait que les Etats-Unis, pour des raisons de coûts de court terme, s’étaient complètement mis à la disposition de la Chine qui fabriquait pratiquement tous les produits pharmaceutiques dont l’Amérique avait besoin. Le pays avait quasiment tiré un trait sur son industrie pharmaceutique, qu’il faisait faire à l’étranger. La CIA disait dans ce rapport que ce n’était pas très sage. Dans mes commentaires à l’époque, j’abondais dans ce sens parce que je savais que la France avait la tentation de le faire aussi. Elle l’a d’ailleurs fait malheureusement. Il fallait maintenir un certain nombre de productions stratégiques et de stocks nécessaires sur place.

Dans ce rapport, les précisions sur le virus, sur son mode de propagation, sont saisissantes… « apparition d’une nouvelle maladie respiratoire humaine virulente, extrêmement contagieuse », « voyageurs présentant peu ou pas de symptômes » qui « pourraient transporter le virus sur les autres continents ». Comment cela a-t-il été possible ?

Parce que c’était déjà arrivé. Cela nous ramène aux livres de Tom Clancy qui lui aussi écrivait à partir de l’expertise de la CIA. Il racontait de manière effrayante une épidémie d’Ebola. Et effectivement, à l’époque, Ebola n’était pas du tout maîtrisé. Entre temps, les Instituts Pasteur et leurs équivalents ont trouvé le vaccin pour Ebola, ce qui est presque un miracle. Nous n’avons plus d’Ebola, mais nous avons cette maladie qui est à la fois effrayante parce que nous n’avons pas encore trouvé le vaccin mais beaucoup moins dangereuse du point de vue de la mortalité.

Au moment de la sortie de ce rapport, quelles ont été les réactions internationales ? A-t-il été pris au sérieux par les autorités des différents pays ?

Il n’y a eu aucune réaction ! Aucune ! Parce que c’était un rapport parmi d’autres. Et certainement pas en France. On n’a rien fait de particulier et c’est vrai de tous les pays européens. C’était chacun pour soi et tout le monde était tout à fait insouciant. Il y avait un sentiment, comme toujours quand on avance, où on pense que cela n’arrive qu’aux autres.

Dans ce rapport, la suite envisagée fait froid dans le dos. Il évoque de nouveaux cas de coronavirus qui apparaitraient par vague, très régulièrement et qui finiraient par tuer des millions de personnes… Quel crédit peut-on accorder à cette théorie ?

Je pense que la CIA a voulu provoquer un choc émotionnel à ses lecteurs. Leur disant, si vous ne faites rien, ces drames viendront et ne viendront pas une fois mais à plusieurs reprises. C’est parfaitement possible, sauf que maintenant que nous avons connu cette période de pandémie mondiale avec la première conjoncture mondiale qui affecte la totalité de la Terre, cela peut changer la donne. C’est quand même renversant de penser que nous sommes tous, au même moment, au même endroit, arrêtés. Et là je pense aux mots de mon maître Louis Althusser (ndlr : philosophe) qui avait lu cela chez Hegel, le philosophe allemand : « l’humanité avance toujours, mais toujours par sa négativité. » C’est-à-dire que c’est toujours par un phénomène négatif que des phénomènes par ailleurs massivement positifs arrivent, comme le fait que l’humanité est Une et que maintenant nous sommes tous dans le même bateau. Et bien pour y arriver, nous sommes passés par cette pandémie.

Comment trouvez-vous l’organisation du monde face à cette crise ? De nombreux Etats ont fermé leurs frontières… Les économies se referment sur elles-mêmes… L’heure est-elle au repli ? Cette crise sonne-t-elle le glas de la mondialisation ?

Pas du tout ! Les gens voient à quel point le repli, indispensable en ce moment pour prévenir l’épidémie, est grave pour les sociétés et pour les économies. Les gens sont certes préservés des pires fléaux, mais ils sont pauvres ! Ils sont appauvris comme nous le sommes aujourd’hui dans toute l’économie française par ces mesures de « containment » (ndlr : endiguement) qui sont nécessaires. Toutes les entreprises qui font faillite ou toutes celles qui ont des dettes épouvantables, le voient bien aujourd’hui. Donc on comprend comment le protectionnisme, les circuits courts, etc… Ce sont surtout les cerveaux courts, les circuits courts !

Toute la classe politique française, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, nous annonce un Après… Différent sur le plan idéologique, économique, social… Vous croyez à une révolution ? Un tournant ? Cela vous semble-t-il possible ?

Oui je le crois. Nous sommes sur une pente ascendante. Je le sens. Pendant la guerre, on a vu tant de Français et de braves gens qui sans mot d’ordre d’organisations de résistance, encore à peine développées, ont eu les bons gestes. Cacher des juifs, cacher des résistants, cacher le ravitaillement que les Allemands pillaient de façon éhontée… Tout cela, ce sont des gestes de survie de la société qui ont fait une autre société en 1945. Nous avons eu une société beaucoup plus fraternelle et beaucoup plus courageuse dans laquelle des gens jeunes ont remplacé des gens trop âgés et qui ont insufflé ce qu’on a appelé « Les Trente Glorieuses ». Ce genre de phénomène, nous l’avons déjà connu. Et dramatiquement, puisqu’il s’agissait là d’une tragédie sans précédent. Vous imaginez le choc qu’a été 1940, pour une France qui se pensait encore comme une grande puissance mondiale. Et du jour au lendemain, cette chute ! Puis cette remontée avec le Général de Gaulle. Il n’y a pas de De Gaulle en France aujourd’hui même si je trouve que notre Président Macron se débrouille avec beaucoup de courage et beaucoup de sang-froid dans une situation très difficile. Et d’ailleurs les sondages le prouvent. Les Français se disent : « heureusement qu’il est là quand même ! ». Un certain nombre de querelles sont en train de s’éteindre et elles ne reviendront plus. Cette période de profonde amertume que vous voyez à travers le monde est en train d’être dépassée.

Quelles pourraient être les conséquences de cette crise mondiale sur le plan politique et géopolitique ? Imaginez-vous une montée en puissance de leaders populistes ? D’Etats totalitaires ? Vers qui, vers quoi les peuples auront-ils envie de se tourner ?

Ils vont se tourner vers des hommes politiques rationnels qui n’ont pas raconté n’importe quoi, qui n’ont pas sombré dans l’hystérie, qui ne sont pas roulés par terre devant le public. Ils vont se tourner vers des hommes politiques, qui tout en étant des gens raisonnables, sont aussi des gens qui savent faire preuve d’autorité. L’autorité, ce n’est pas la dictature et c’est exactement ce qu’on souhaite aujourd’hui. On a bien vu aux Etats-Unis comment Franklin Roosevelt – dont les réactions n’étaient pas toutes très bonnes et qui n’était pas un homme exemplaire – a maintenu les Etats-Unis dans une démocratie où les élections se sont tenues, où la liberté d’expression n’était pas étouffée alors qu’il a mené la guerre la plus importante de toute l’histoire américaine et qu’il l’a gagnée. Cet exemple qui est aussi celui de Winston Churchill en Grande-Bretagne, c’est la preuve que les démocraties sont capables dans des circonstances exceptionnelles de faire les sacrifices et de manifester une certaine forme d’autorité sans sacrifier les libertés fondamentales. Nous sommes dans un monde pluraliste, un monde qui n’est pas encore unifié par une démocratie unique et généralisée, mais qui va dans le bon sens, c’est évident !

Vous ne voyez pas dans cette crise du Covd-19 un risque de déstabilisation géopolitique et celui d’une multiplication de conflits armés ?

Non, au contraire, je vois l’inverse. Je vois par exemple que devant la difficulté que traverse le Moyen-Orient, nous avons une coopération, évidemment forcée et évidemment grommeleuse, mais qui naît aujourd’hui les Israéliens et les Palestiniens par exemple, parce qu’ils sont exactement dans le même bateau, que la maladie est la même. Il y a autant d’Israéliens qui voyagent aux Etats-Unis ou en Inde ou ailleurs qu’il y a de Palestiniens qui sont en contact avec des Libanais, et avec des Syriens ou des Iraniens, mais le résultat est le même, la maladie est dans tout Israël, et Israël est dans le confinement comme tout le monde, et ils sont en train de trouver une voie d’union nationale et un compromis.

A la lueur de ce que vous savez, de ce que vous observez, et pour terminer cette interview comme on l’a commencée, c’est-à-dire sur de la prospective : comment imaginez-vous le monde en 2040 ?

Je pense que d’ici 2040, nous allons vers des transformations énormes. Hitler qui était très superstitieux croyait au Reich de mille ans, parce qu’un certain nombre de voyants lui avaient dit qu’après cette grande épreuve qu’est la guerre, il mènerait un monde millénaire et ce serait la grande époque de l’Allemagne. En fait l’Allemagne a explosé à la suite de ses folies et nous n’avons pas eu ce monde millénaire. Mais en même temps, ce qui est vrai, c’est qu’au lendemain de ces épreuves terribles auxquelles nous sommes confrontées, se préparait quelque chose d’autre. Et ce « quelque chose d’autre » est là maintenant. Nous sommes dans un monde qui va se libérer des hydrocarbures, qui va trouver des moyens de produire beaucoup plus proprement, qui a compris que la nature ne nous appartient pas… Bref ! Nous sommes dans un monde qui est en train de prendre connaissance d’un certain nombre de nos folies et notre grande folie, on la connaît depuis toujours, c’est la folie Prométhéenne : celle qui a donné le feu aux Hommes, c’est bien ! Même de nous donner l’atome, c’était pas mal ! Mais avec des dangers très grands ! Ces dangers, nous en sommes enfin conscients, c’est cela qui se passe à l’échelle mondiale.

*Source : Public Sénat

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