Le meurtre de Georges Floyd est atroce
14 juin 2020
Le meurtre de George Floyd, conséquence d’une guerre contre la drogue conçue contre les minoritéspar lecridespeuples |
Des décennies de guerres de la drogue en Amérique ont conduit aux émeutes d’aujourd’hui
Par Niko Vorobyov, auteur de Dopeworld, une histoire de la guerre contre la drogue à travers le monde.
Voir ci-dessous Malcolm X sur les violences policières
Source : RT, 6 juin 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
Comme les émeutes à travers les États-Unis le montrent clairement, les règles américaines ne s’appliquent pas également aux Noirs et aux Blancs. Cela n’a jamais été le cas, et la plus grande inégalité depuis le début du XXe siècle a été la soi-disant guerre contre la drogue.
« De nombreux chefs de police, dont moi-même, veulent s’assurer que leurs officiers peuvent affronter de manière adéquate les armes automatiques auxquelles ils sont confrontés. Le problème, c’est que nous ne devons pas être en guerre contre notre peuple en premier lieu. »
Ce sont les mots que l’ancien chef de la police de Seattle, Norm Stamper, m’a dits il y a trois ans lorsque je l’ai interviewé sur les violences policières aux Etats-Unis.
Washington est en flammes. La mort de George Floyd a braqué les projecteurs sur les meurtres d’Afro-Américains entre les mains des autorités. Mais alors que les caméras sont tournées vers les manifestations et les émeutes, peu semblent mentionner les raisons systémiques sur le long terme expliquant que cela continue de se produire.
La transcription des propos de la police indique bien qu’ils ont parlé de drogue à deux reprises durant l’interpellation de George Floyd, alors que l’objet de leur présence n’avait rien à voir avec la drogue.
Le 13 mars, la police a fait irruption dans un appartement à Louisville, Kentucky. Ils ne se seraient pas annoncés comme des policiers (les policiers prétendent qu’ils l’ont fait, l’accusé affirme qu’ils ne l’ont pas fait), et quand les locataires surpris ont exercé leurs droits à la légitime défense et ont ouvert le feu sur les intrus armés s’introduisant en pleine nuit et par effraction dans leur maison, les policiers ont abattu Breonna Taylor, ambulancière de 26 ans, avec une grêle de balles. La mort de Breonna n’était que la dernière victime des raids « sans frapper à la porte » : l’idée étant que l’élément de surprise ne donnera pas aux suspects une chance de jeter de la drogue dans les toilettes. En fait, aucune drogue n’a été trouvée sur les lieux.
La guerre contre la drogue est la principale cause de profilage racial et de violences policières aux États-Unis. Plus d’hommes noirs américains sont maintenant derrière les barreaux, en probation ou en libération conditionnelle qu’ils n’y avait d’esclaves en 1850, et un pourcentage de Noirs plus élevé est emprisonné que celui de l’Afrique du Sud durant les derniers jours de l’Apartheid. Pourquoi ?
De nos jours, les sondages indiquent que de moins en moins d’Américains pensent que le cannabis devrait être traité plus strictement que l’alcool. Mais en 1937, le chef du Bureau fédéral des stupéfiants, Harry Anslinger, n’aimait vraiment pas le jazz. « C’est comme la jungle en pleine nuit », a-t-il dit. Beaucoup de joueurs de jazz fumaient le haschich, si bien qu’il a fait pression pour l’interdire afin d’empêcher les jeunes Blancs d’aller dans des bars dansants et (horreur) de fréquenter des gens de couleur. En même temps, la cocaïne a été interdite non pas parce qu’elle causait des crises cardiaques, mais après que le New York Times a prétendu qu’elle rendait les « Négros du Sud » fous furieux, et puisque c’est aussi un aphrodisiaque. Eh bien… des gars noirs en chaleur, des filles blanches « innocentes »… vous voyez l’idée.
Les autres races ne se portaient pas beaucoup mieux : fumer l’opium était considéré comme un sinistre loisir chinois, et ils ont même renommé le cannabis « marijuana » (comme dans Tijuana) pour le faire sonner plus mexicain. Même la prohibition de l’alcool qui a rendu Al Capone riche est née du chauvinisme de la Première Guerre mondiale contre les Allemands.
Les lois ont été appliquées de manière inégale dès le départ. Comme l’explique Johann Hari dans Chasing the Scream, Billie Holiday a eu une enfance difficile, a grandi dans une maison close et a été violée à l’âge de 10 ans, puis a lutté contre l’alcoolisme et la dépendance à l’héroïne le reste de sa vie. Mais elle avait la voix d’un ange et chantait des chansons comme Strange Fruit, sur les lynchages dans le Sud Profond. Anslinger a ordonné qu’on en fasse un exemple, pour s’assurer que les musiciens noirs restent à leur place. Les agents du Bureau Fédéral des Narcotiques (FBN) ont assisté à ses représentations en se faisant passer pour des fans, puis ont trahi sa confiance en plaçant de la drogue dans ses locaux. Ils l’ont pourchassée jusqu’à la fin, alors qu’elle était mourante, menottée à un lit d’hôpital, l’interrogeant sur le nom de son fournisseur. Elle est décédée en état de manque. Pendant ce temps, des Blancs puissants comme le sénateur Joe « Red Scare » McCarthy ont obtenu un laissez-passer gratuit pour leur propre consommation régulière de morphine.
Un fruit étrange, par Billie Holiday
Les arbres du sud portent un fruit étrange
Du sang sur les feuilles et du sang dans les racines
Des corps noirs se balançant dans la brise du sud
D’étranges fruits pendus aux peupliers
Scène pastorale du sud galant
Les yeux exorbités et la bouche tordue
Parfum de magnolias, doux et frais
Puis l’odeur soudaine de chair carbonisée
Voici des fruits que les corbeaux vont cueillir
Que la pluie va rassembler, que le vent va sucer
Que le soleil va pourrir, que les arbres vont faire tomber
Voici une récolte étrange et amère
Sous Nixon, la guerre contre la drogue a été utilisée pour détourner l’attention de la guerre de plus en plus impopulaire au Vietnam et a été militarisée contre des militants noirs et des membres de la gauche anti-guerre, tels que John Sinclair du White Panther Party. La FBN est devenue la DEA et les raids sans frapper à la porte ont obtenu le feu vert du Congrès, malgré toutes les histoires d’horreur de flics qui ont défoncé les portes des mauvaises maisons, ouvrant le feu et tuant ou blessant les familles à l’intérieur.
Nixon a officiellement déclaré la Guerre contre la drogue, mais Reagan l’a portée à un tout autre niveau. Les lois sur les drogues sont sournoises, car il n’y a pas de victime évidente (qui se dénonce pour avoir acheté un sachet de coke ?), et elles semblent neutre sur le plan racial, du moins en surface. Dans les années 1980, Reagan a adopté la loi de 1986 contre l’abus des drogues, qui accordait des périodes d’emprisonnement minimales de cinq ans sans libération conditionnelle pour seulement cinq grammes de crack, contre un demi-kilo pour la cocaïne en poudre. Ce n’est pas une coïncidence si la consommation régulière de coke était le remontant préféré des cadres d’entreprise blancs et des avocats à prix d’or, tandis que le crack, bien qu’il soit moins pur, avait un meilleur rapport qualité-prix et était plus populaire dans le ghetto. En d’autres termes, les Noirs purgeaient cent fois les peines de prison des Blancs.
Nixon et Reagan étaient Républicains, mais malgré toutes leurs références « progressistes », les Démocrates étaient tout aussi mauvais. Essayant de garder une longueur d’avance sur la pseudo-fermeté face à la criminalité, le Président Clinton a signé le projet de loi fédéral de 1994 sur la criminalité rédigé par un certain Joe Biden. Entre 1990 et 2000, la population carcérale a presque doublé.
Même si la plupart des policiers individuels ne sont pas racistes [affirmation douteuse ; en France, les manifestations risibles de la police française qui prétendent qu’il ne faut pas généraliser le comportement de quelques brebis galeuses explique mal pourquoi, par exemple, les milliers de membres des groupes Facebook y sont restés malgré les tombereaux de messages et photomontages ouvertement racistes], ils font partie d’un système raciste. La guerre contre la drogue a fait des jeunes Afro-Américains des cibles tentantes pour tout shérif local à la recherche de statistiques d’arrestations faciles et de confiscation d’argent liquide. Pour la confiscation des biens civils, il suffit d’être soupçonné d’un crime pour que les flics réquisitionnent vos biens : c’est un vol autorisé par l’État. Garder l’argent de la drogue est une incitation perverse pour les services de police sous-financés à effectuer davantage d’arrestations, ce qu’ils font en poursuivant les suspects habituels, c’est-à-dire les jeunes hommes noirs. Cela conduit à des rencontres policières mortelles et à la plus grande population carcérale de la planète, même devant les soi-disant « régimes tyranniques » comme la Russie et la Chine. Même si les études montrent que tout le monde vend et utilise des drogues à peu près au même rythme, plus de la moitié des prisonniers incarcérés dans des pénitenciers d’État pour des délits liés aux drogues, et près de 80% dans les prisons fédérales, sont Noirs ou Latinos. Une fois qu’on a fait un séjour en prison, il est difficile de trouver un travail normal, donc on retombe souvent dans la drogue. Avec autant de mères et de pères enfermés, est-ce vraiment surprenant que les personnes les plus en vue des quartiers soient les criminels les plus performants ?
Le crime urbain devient une prophétie auto-réalisatrice, laissant les quartiers dans des cycles interminables de peur et de désespoir. Prenez quelque chose que beaucoup de gens veulent, interdisez-le, faites monter les prix et faites en sorte que cela vaille la peine de tirer, de poignarder et de voler pour en obtenir, exactement ce qui s’est passé avec l’alcool dans les années 1920. Maintenant, certaines parties de villes comme Baltimore et Chicago ont des taux de meurtre comparables à ceux des zones de guerre. La plupart des victimes sont de jeunes hommes noirs. Et alors que les membres de gangs ont peut-être appuyé sur la gâchette, qui a créé la situation pour que cela se produise ? Nixon, Reagan, Clinton et Anslinger.
Comme l’explique l’avocate Michelle Alexander dans The New Jim Crow, dans plusieurs États, les ex-détenus perdent leur droit de vote, privant ainsi de leur droit 1 Noir américain sur 13, de la même manière que le faisaient les lois d’avant les droits civils dans les années 1950. Cela empoisonne également l’eau du puits : alors que dans le passé, vous aviez des militants respectables comme Rosa Parks et le prédicateur Martin Luther King [et Malcolm X], où pouvez-vous trouver un drogué ou un ex-détenu « respectable » ? Qui veut les écouter ou défendre leurs droits ?
Voir Les émeutes de l’ère Covid-19 sont le ‘langage des sans-voix’, dépouillés par l’oligarchie
Même aujourd’hui, la mémoire de personnes noires innocentes comme Philando Castile, abattu devant sa petite amie lors d’un banal contrôle routier ; Botham Jean, abattu à son domicile par un policier de Dallas qui n’était pas en service ; et Sandra Bland, qui se serait pendue dans une cellule après une dispute avec un agent de la circulation ; tous sont calomniés par l’insistance sur le fait qu’ils avaient des traces de cannabis dans le sang ou dans leur appartement, comme si cela avait le moindre rapport avec leur mort [on voit le même rite macabre pour le meurtre d’Adama Traoré ; avoir un passif de délinquant, ou de prétendus antécédents de santé —souvent découverts commodément par l’autopsie de la police, comme pour l’assassinat de Cédric Chouviat— justifierait d’être tué]. De toute évidence, les histoires du « nègre rendu fou par la drogue » ne sont pas encore du passé.
Enfin, l’Amérique est le pays des Big Mac et des gros pistolets, et la police locale reçoit en dotation des surplus de l’armée pour affronter des trafiquants de drogue lourdement armés, littéralement des armes de guerre. Mais contrairement aux lance-roquettes ou grenades que l’on voit dans des films comme Scarface, dans la vie réelle, la plupart des membres de gangs s’en tiennent aux traditionnelles armes de poing. La menace de la drogue a créé une mentalité guerrière parmi les forces de l’ordre, utilisée pour justifier des opérations de style militaire et des raids sans frapper aux portes comme celui qui a tué Breonna Taylor.
« Ils ne sortent pas en se disant ‘Je vais tuer des Afro-Américains aujourd’hui’, mais leur mentalité est que nous sommes la police, vous ne pas », m’a dit Stamper. « On est les boss. Et ce genre de mentalité en fait des arbitres des lois, des politiques et des pratiques. »
Il ne suffit pas de chasser quelques flics brutaux ou racistes et de dire qu’on est quittes lorsque le problème est l’ensemble du système. Les États-Unis sont en guerre avec leurs propres citoyens [et la France leur a emboîté le pas, étant passé d’une guerre ciblant essentiellement les banlieues & minorités, à celle contre la population entière représentée par les Gilets Jaunes].
***
Malcolm X sur les violences policières et la complicité des médias
Discours du 20 mai 1962 durant les funérailles de Ronald Stokes, musulman Noir abattu par la police de Los Angeles devant sa mosquée le 27 avril.
Vidéo : http://www.youtube.com/watch?
Transcription :
[…] La presse contrôlée, la presse blanche, enflamme le public blanc contre les Noirs. La police peut l’utiliser pour dépeindre la communauté noire comme un élément criminel. La police peut utiliser la presse pour faire croire au public blanc que 90% ou 99% des Noirs de la communauté noire sont des criminels, et une fois que le public blanc est convaincu que la majeure partie de la communauté noire est un élément criminel, alors cela ouvre automatiquement la voie à l’intrusion de la police dans la communauté noire en exerçant des tactiques de Gestapo, en arrêtant tout homme noir qui se trouve sur le trottoir, qu’il soit coupable ou innocent, qu’il soit bien habillé ou mal habillé, qu’il soit instruit ou ignorant, qu’il soit chrétien ou musulman ; tant qu’il est Noir et membre de la communauté noire, le public blanc pense que le policier blanc a raison d’intervenir et de fouler aux pieds les droits civils et les droits de l’homme de cet individu.
Une fois que la police a convaincu le public blanc que la soi-disant communauté noire est un élément criminel, elle peut y aller et interroger, brutaliser, assassiner des Noirs innocents et non armés, et le public blanc est suffisamment crédule pour les soutenir. Cela fait de la communauté noire un État policier ; cela fait des quartiers noirs un Etat policier. Ce sont les quartiers les plus lourdement contrôlés [en France, on a pu le voir en comparant le nombre de contrôles et de contraventions à Paris ou à Saint-Denis durant le confinement]. Il y a plus de policiers dans ces quartiers que dans tout autre quartier, mais il y a plus de criminalité là-bas que dans tout autre quartier. Comment peut-on avoir plus de policiers et plus de crime ? Pourquoi donc ? Cela vous montre que les policiers doivent être de mèche avec les criminels [par exemple, les archives ont révélé que le FBI a détruit les Black Panthers en introduisant la drogue dans ses communautés]. […]
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