Une autre police est-elle possible ? L’exemple de Cuba
29 juin 2020
lecridespeuples
Suivi de réflexions de Fidel Castro sur les violences policières en Occident
Par Reese Erlich
Source : The Progressive, le 18 juin 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
Un groupe de policiers à la carrure imposante, portant des armes semi-automatiques et des matraques, se fraie lentement un chemin dans la foule à la fin d’un concert de salsa en plein air. Mes amis et moi avons une bouteille de rhum, et je me dis que les policiers la confisqueront, et peut-être même nous arrêteront.
Au lieu de cela, les policiers nous demandent de la boire, et nous nous exécutons rapidement. Ils confisquent la bouteille en verre pour qu’elle ne puisse pas être brisée et utilisée comme arme.
Cet incident s’est produit à La Havane il y a quelques années, et il en dit long sur ce qui constitue un bon maintien de l’ordre. Les policiers voulaient prévenir la criminalité, et non l’aggraver.
Contrairement à l’image traditionnelle d’un régime communiste brutal et répressif, la police cubaine offre un exemple instructif aux militants américains [et français]. Les policiers vivent dans les villes qu’ils patrouillent. Ils traitent généralement les citoyens avec respect. Comme je l’ai documenté dans mon livre Dateline Havana, les passages à tabac de criminels par la police sont rares et les meurtres par la police sont inexistants. Cuba a l’un des taux de criminalité les plus bas d’Amérique latine.
Les protestations en cours en défense des vies des Noirs aux États-Unis ont forcé un débat national sans précédent sur le rôle de la police. Faut-il dé-financer les services de police et détourner cet argent pour aider les communautés pauvres ? Faut-il abolir complètement la police ?
Cuba est aux prises avec des problèmes de police depuis la Révolution de 1959. Le gouvernement, tout en ayant certainement sa part d’échecs, a créé un système d’interaction entre la police et la communauté qui réduit la criminalité sans recourir à la force brute.
La lutte contre la criminalité à Cuba commence par un filet de sécurité sociale, qui offre à chaque Cubain une éducation gratuite, des soins de santé gratuits et des événements culturels subventionnés. Cuba ne souffre pas du fléau des sans-abri et de la toxicomanie causée par les cartels de drogue, malgré les tentatives régulières des trafiquants de faire entrer des drogues à Cuba depuis la Floride.
L’économie socialiste signifie que Cuba n’a pas de richesse ni de pauvreté extrêmes. J’ai visité les domiciles de hauts fonctionnaires qui vivent dans des quartiers à revenu intermédiaire. J’ai rencontré des policiers qui vivaient dans un modeste complexe d’appartements dans le quartier même où ils patrouillaient.
Cuba utilise la pression communautaire pour décourager la criminalité. Les Comités pour la Défense de la Révolution (CDR) ont été initialement créés au début des années 1960 pour faire face aux contre-révolutionnaires soutenus par les États-Unis. De nos jours, les CDR font la promotion de la santé publique et agissent comme des groupes de surveillance de quartier.
Humberto Carillo Ramirez, un leader national du CDR, m’a dit dans un documentaire radiophonique que les résidents locaux savent souvent qui sont les criminels.
« Si une famille n’envoie pas ses enfants à l’école ou si un jeune ne travaille pas et commence à avoir des ennuis… nous les rencontrons », dit-il. « Nous vivons dans [leur] quartier… Nous leur expliquons pourquoi c’est mauvais pour le pays et nous leur expliquons également les graves conséquences judiciaires que cela peut avoir pour eux. »
Lorsque des résidents sont reconnus coupables de crimes, les membres du CDR leur rendent visite en prison. « Nous voulons… les réintégrer dans la société après leur sortie », dit Carillo.
Au début des années 1990, Cuba a fait face à une crise économique massive provoquée par l’effondrement de l’Union soviétique et intensifiée par les efforts américains pour renverser le gouvernement. Les Cubains ont été confrontés à de graves pénuries d’essence, de nourriture et d’électricité. À partir de 1996, le pays a connu une forte augmentation des cambriolages de domiciles et de voies de fait ; il y a même eu une tentative de vol de voiture blindée.
Comparée à la situation aux Etats-Unis, la criminalité à Cuba restait légère, mais c’était plus que ce que les Cubains étaient prêts à accepter. En 1999, le gouvernement a adopté une loi qui a doublé certaines peines de prison. Les juges ont également autorisé moins de prisonniers à bénéficier de la libération conditionnelle. Des policiers étaient stationnés à chaque coin des zones touristiques. La répression a entraîné une baisse de 20% de la criminalité, m’a alors expliqué le juge de la Cour suprême, Jorge Bodes Torres.
Il attribue le succès aux mesures de « maintien de l’ordre » et à l’organisation communautaire. « La majorité des gens participent à la lutte contre la criminalité », a-t-il dit. « C’est le facteur le plus important. »
Les (pseudo) dissidents politiques cubains récusent ce propos. Ils affirment que la police tabasse et emprisonne régulièrement des opposants au gouvernement. Cependant, comme je l’ai documenté, bon nombre de ces dissidents sont financés par Washington et diffusent régulièrement de fausses informations, de sorte que leurs allégations de violences systématiques manquent de crédibilité.
Certains Cubains ont des plaintes légitimes. J’ai interviewé des dizaines de jeunes hommes Afro-Cubains qui auraient été arrêtés et interrogés par la police parce qu’ils sont Noirs.
Pablo Michel, un jeune Afro-Cubain, me raconte qu’il a été détenu plusieurs fois par la police dans les zones touristiques de La Havane. À une occasion, il a conduit deux femmes, des touristes blanches, à l’aéroport de La Havane. La police l’a arrêté et l’a interrogé, le soupçonnant de diriger un service de taxi illégal. Il déclare que les Cubains Blancs qui emmènent des étrangers à l’aéroport « n’ont pas les mêmes problèmes ».
Pablo Michel et les autres personnes que j’ai interviewées affirment cependant que la police n’effectue pas de fouilles violentes et qu’elle ne passe pas à tabac les suspects, pas plus qu’elle ne leur tire dessus. Néanmoins, trop de policiers entretiennent des stéréotypes sur les Cubains à la peau sombre, les considérant volontiers comme des voleurs et des magouilleurs, souligne-t-il.
À la fin de l’année dernière, le gouvernement cubain a annoncé une importante campagne contre le racisme. Les responsables prévoient d’identifier des domaines spécifiques de discrimination, d’ouvrir un débat public et de sensibiliser la population.
« C’est un vrai pas en avant, après avoir combattu pendant tant d’années », a déclaré à Reuters en novembre dernier Deyni Terri, fondatrice de l’Alliance pour l’Unité des Races à La Havane. « C’est un bon début. »
De toute évidence, les institutions développées à Cuba ne peuvent pas simplement être transférées telles quelles aux États-Unis. Mais nous pouvons apprendre du concept de participation communautaire, explique Max Rameau, un organisateur du groupe populaire Action Communautaire Pan-Africaine basé à Washington, D.C.
« Nous avons besoin de différentes entités communautaires pour différentes tâches qui sont responsables de la sécurité et du bien-être du quartier », me déclare-t-il lors d’un entretien téléphonique. Par exemple, les groupes communautaires américains peuvent résoudre les problèmes de santé mentale et les conflits familiaux sans impliquer la police.
Mais Rameau ne soutient pas l’idée d’éliminer complètement la police.
Si un suprémaciste blanc attaquait une église noire, comme cela s’est produit en Caroline du Sud en 2015, dit-il, « Nous voulons nous assurer que notre équipe de sécurité communautaire peut répondre. Dans toute société avec différentes classes sociales, vous aurez des policiers. Mais nous devons avoir le contrôle sur eux. »
Le débat américain sur le maintien de l’ordre s’est nettement déplacé vers la gauche. Après le meurtre de Michael Brown par la police en 2014 à Ferguson, dans le Missouri, les politiciens ont demandé à la police de porter des caméras-piétons. Aujourd’hui, après le meurtre de George Floyd, le conseil municipal de Minneapolis a voté pour le démantèlement des forces de police, bien que les détails soient encore en cours de discussion.
Des groupes de lutte contre les violences policières ont élaboré divers plans pour décentraliser les services de police et les transformer en forces communautaires, régies par des commissions civiles.
Pour la première fois dans l’histoire récente, des personnes de tous horizons aux États-Unis discutent sérieusement de la manière de changer fondamentalement les forces de police. L’expérience de Cuba devrait faire partie de cette discussion.
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Fidel Castro sur les violences policières : « En Occident, les forces de l’ordre ressemblent à des cosmonautes »
Traduction : lecridespeuples.fr
« Tel est l’esprit généreux et bienveillant dont fait preuve notre peuple. Et les enseignants l’ont démontré ; par exemple, lorsqu’on a demandé aux enseignants d’être volontaires pour des missions au Nicaragua, vous vous souvenez que 30 000 se sont proposés ; et lorsque certains enseignants ont été assassinés, 100 000 se sont proposés. C’est ça, notre pays !
Allez donc dans un pays capitaliste chercher (une telle abnégation), (allez la chercher) dans leur démocratie qu’ils veulent transplanter chez nous, au lieu de la nôtre, qui est cent fois plus démocratique que la leur, et mille fois plus humaine, avec une participation constante des citoyens à toute la vie publique, depuis le délégué de circonscription. (A Cuba), c’est le peuple dans son ensemble qui propose. Vous savez très bien comment les choses se passent au sein des circonscriptions : ce n’est pas un petit groupe qui propose ici et un autre là-bas. Le Parti n’intervient pas dans ces questions ; c’est le peuple qui réclame et qui élit, et plus de 90% de la population vote à chaque élection, bien que ce ne soit pas obligatoire.
Aux États-Unis, ils n’atteignent pas 50%. Ils viennent d’élire un Président [Bill Clinton] avec 24% des électeurs de ce pays. Ah, mais comme ils nous abreuvent de belles paroles sur la démocratie et les droits de l’homme ! Rien de tout ce dont nous avons parlé ici [les succès de Cuba en matière sociale et son aide humanitaire aux pays pauvres] n’est humain, ni le fait qu’il n’y ait jamais eu de meurtre politique ici. De quel pays voisin pouvez-vous dire cela ? Quel autre pays que Cuba n’a jamais eu d’escadrons de la mort, de personnes disparues, de torture ? Et vous, qui êtes enseignants et en contact permanent avec les gens, vous le savez mieux que quiconque.
De temps en temps, nous voyons dans les documentaires de tous ces pays développés, appelés démocratiques, l’usage de la cavalerie contre le peuple, les coups contre le peuple. Il n’y a qu’à regarder ce qu’on voit tous les jours à la télé, ces policiers en tenues de scaphandriers et avec plein de gadgets, en train de cogner, alpaguant les gens dans la rue et les extirpant (violemment) de leurs voitures. Ce sont les méthodes par lesquelles ils maintiennent ce système d’exploitation et d’injustice ; à travers cela et à travers les mensonges, à travers la disposition des médias à manipuler (l’opinion), face à un monde de plus en plus rebelle, car la tendance à une rébellion croissante est observée dans tous ces pays en raison des mesures anti-populaires qu’ils prennent. Ce même système est celui qu’ils veulent implanter dans le monde, et c’est pourquoi ils ont tant de haine contre la révolution cubaine. » Fidel Castro, Discours à l’occasion du 35e anniversaire de la campagne d’alphabétisation Lazaro Pena, 22 décembre 1996
« [Clinton] prétend que notre ministère de l’Intérieur doit disparaître. Personne ne sait qui s’occupera de ceux qui seront tentés de voler quelque chose, quel type de policiers, s’il veut les remplacer par des forces de l’ordre comme celles de Miami. Pouvez-vous imaginer des policiers (cubains) comme ceux de Miami ?
Ah, il dit qu’il faut avoir un sens de l’ordre, oui. Ces scaphandres de cosmonautes dont ils harnachent leurs forces de police ne suffiront pas, car la police ressemble à des cosmonautes chez eux : nous les voyons à la télévision, surarmés de casques, de boucliers, de matraques, de gaz lacrymogène, de canons à eau, et toute la journée, on voit des nuages de fumée monter au ciel. Et cela arrive même en Europe, ne croyez pas que ce n’est qu’en Amérique latine : ils utilisent des chevaux contre le peuple, des forces anti-émeute contre le peuple. De tels phénomènes sont inconnus à Cuba. » Fidel Castro, Discours durant le Congrès Pedagogia 97, le 7 février 1997
« Sans le socialisme, chaque citoyen n’aurait pas le même droit de recevoir gratuitement des services d’éducation et de santé, quel qu’en soit le prix, et sans que personne ne lui demande quelles sont ses idées religieuses ou politiques.
Sans le socialisme, nous n’aurions pas un pays sans drogues, sans maisons closes, sans casinos de jeu, sans crime organisé, sans disparus, sans escadrons de la mort, sans lynchages ou exécutions extrajudiciaires.
Sans le socialisme, les familles cubaines ne pourraient pas voir leurs enfants grandir en bonne santé, éduqués, préparés, sans craindre que quelqu’un les incite à la drogue ou au vice, ou qu’ils ne meurent dans leurs écoles aux mains de leurs propres camarades de classe.
Sans le socialisme, Cuba ne serait pas, comme c’est le cas aujourd’hui, la barrière la plus solide de l’hémisphère contre le trafic de drogue, au profit même de la société nord-américaine.
Sans le socialisme, Cuba ne serait pas un pays où la répression et les violences policières sont inconnues depuis 42 ans, alors qu’elles sont si courantes en Europe et dans d’autres endroits où les voitures anti-émeute, des hommes avec d’étranges scaphandres qui semblent débarquer d’une autre planète armés de boucliers, de matraques, de balles en caoutchouc, de gaz lacrymogènes, d gaz poivré ou d’autres moyens, attaquent la population.
Les Occidentaux ont du mal à comprendre pourquoi rien de semblable ne se produit à Cuba. Ils n’ont même pas la moindre idée de ce que l’unité, la conscience politique, la solidarité, le désintérêt et l’altruisme, le patriotisme, les valeurs morales et les engagements émanant de l’éducation et de la culture peuvent apporter à la société humaine, ni de toute la justice qu’une vraie révolution apporte.
Sans le socialisme, des centaines de milliers de Cubains n’auraient pas effectué de missions internationalistes, notre patrie n’aurait pas pu apporter un seul grain de sable dans la lutte contre le colonialisme en Afrique, et leurs enfants n’auraient pas versé une seule goutte de leur sang en combattant les forces réputées invincibles du système honteux de l’apartheid, du racisme et du fascisme [Cuba a participé militairement à la guerre de Libération de l’Angola, combattant les troupes sud-africaines et contribuant à la fin du régime d’Apartheid]. » Fidel Castro, Discours lors de la commémoration du 40e anniversaire de l’annonce du caractère socialiste de la Révolution cubaine, le 16 avril 2001.
« Lorsqu’ils voient leurs modèles économiques s’effondrer comme un château de cartes, de nombreux dirigeants deviennent abjects dans leur comportement.
Les manifestations populaires sont réprimées avec une violence inégalée. Les gaz lacrymogènes, les hommes traînés dans les rues, la brutalité avec laquelle les forces de l’ordre frappent les gens, armés de boucliers, revêtus des pieds à la tête de sortes de scaphandres étranges et de vêtements qui leur donnent l’air d’avoir récemment débarqué d’une planète lointaine, constituent les méthodes avec lesquelles ils défendent la démocratie et les droits de l’homme des citoyens. De telles scènes n’ont jamais été vues dans notre pays. Jamais, depuis plus de quatre décennies, la force n’a été utilisée contre la population.
Le processus révolutionnaire est basé sur l’unité et la coopération les plus étroites de tous les peuples, un consensus sans précédent nulle part ailleurs, impossible à imaginer et même inconcevable dans une société d’exploiteurs et d’exploités. Un peuple cultivé et rebelle, composé de braves et de héros, comme le peuple cubain, ne peut pas être gouverné par la force, pas plus qu’il n’existe de force capable de le gouverner, car il est lui-même la force. Il ne se rebellerait jamais contre lui-même, car il est la révolution, il est le gouvernement, il est le pouvoir, qui, avec son courage, son intelligence et ses idées, a réussi à se défendre contre les agressions de l’empire le plus puissant qui ait jamais existé.
Un tel phénomène politique ne s’est jamais produit dans notre hémisphère. La force a toujours été utilisée par l’oligarchie et l’empire contre le peuple. » Fidel Castro, Discours de commémoration de la fête des travailleurs, 1er mai 2002.
« Les informations en provenance des États-Unis et de leurs alliés de l’OTAN, leurs complices, parlent de leurs méfaits. Les villes les plus importantes des États-Unis et d’Europe sont constamment le théâtre de véritables batailles de rue entre des manifestants et des policiers bien entraînés et bien nourris, équipés de véhicules blindés et de scaphandres, matraquant, attaquant à coups de pied et aux gaz [lacrymogènes] des femmes et des hommes, tordant les mains et les cous de jeunes et de vieux, commettant à la face du monde de lâches actions contre les droits et la vie des citoyens de leurs pays. Jusqu’à quand une pareille barbarie durera-t-elle ? » Fidel Castro, Le monde merveilleux du capitalisme, 1er avril 2012