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27 décembre 2024

France : vers une guerre civile et raciale ?


Olivier Mukuna

Vendredi 30 octobre 2020

Comment ne pas sentir la puanteur des rafales d’extrême-droite et d’islamophobie françaises depuis l’assassinat de Samuel Paty ?

Mais commençons par le commencement.

Mon hommage personnel à cet enseignant français tué dans l’exercice de ses fonctions. A la tristesse que provoque sa disparition abjecte, c’est aussi le symbole de l’école et de la liberté d’enseigner qui ont été mortellement agressés. Par un détraqué intégriste islamiste, âgé de 18 ans, d’origine tchétchène, abattu par la police et dont l’enquête judiciaire devra établir les éventuelles complicités…

Condoléances à la famille de Samuel Paty, à ses proches, à ses élèves comme aux enseignants qui ne pouvaient imaginer qu’un jour « les risques du métier » puissent mener à l’indicible. J’écris ces mots avec d’autant plus d’émotion que j’ai été, il y a longtemps, à 12 ans, sauvé du décrochage scolaire par un inoubliable professeur de français, auquel Samuel Paty ressemblait.

L’amalgame-roi

Revenons maintenant à cette société française qui – qu’on le reconnaisse ou le nie – influence durablement la nôtre. Depuis l’horrible assassinat, la sidération a très vite fait place à la médiatisation d’une colère haineuse. A flux tendu. Celle-ci continue d’hystériser médias, réseaux sociaux et responsables politiques. C’est une véritable tempête politico-médiatique ininterrompue autour de l’amalgame-roi : « musulmans = terroristes = attentats« . Puis, à écouter chaque postillonneur et postillonneuse de haine : si « ils » – comprenez les musulmans –  ne sont pas encore terroristes, « ils » sont proches de le devenir puisqu' »ils » pratiquent l’islam. La boucle infernale et mensongère est bouclée. Le « eux » contre « nous », toujours plus enraciné…

Sur les plateaux des chaînes d’infos : zéro débat ! En lieu et place, un magma de propos guerriers d’une violence raciste totalement débridée ; une alternance ahurissante entre la logique du bouc émissaire et les chants victorieux d’éditorialistes de droite extrême ou d’extrême-droite. Point d’orgue : les appels au meurtre signés par deux intégristes sionistes sur CNews et Arte. D’abord, celui de l’avocat-chroniqueur Gilles-William Goldnadel qui médiatise que « le plus bel hommage à rendre à Samuel, c’est de le venger !« … Puis, celui de l’écrivain Pascal Bruckner qui, en face de l’activiste afroféministe et musulmane Rokhaya Diallo, l’accuse « d’avoir armé les terroristes » ; soit les frères Kouachi qui ont assassiné à la kalachnikov 12 membres de la rédaction de Charlie Hebdo (2015)…

Jour après jour, depuis le 17 octobre, cet orchestre de haine islamophobe – de racisme ciblé prétextant « la liberté d’expression » – ne cesse de renouveler ses partitions médiatiques. Seuls certains journaux de presse écrite et médias alternatifs français, comme Mediapart, s’accrochent à la raison antiraciste : s’en tenir à l’enquête judiciaire, informer, analyser, expliquer… SANS accompagner ce tourbillon de haine qui amalgame coupables et innocents sous le seul vocable de « musulmans ».

Deux septuagénaires, de la presse et du judiciaire, ont aussi tenté de calmer la rage mortifère d’une partie croissante de leurs compatriotes. A l’image de Serge July, fondateur du quotidien Libération, qui a déclaré ceci sur LCI : « Il y a eu une sidération dans tout le pays, une émotion générale, mais c’est à ce moment-là qu’on fait des conneries… On va faire des lois d’opportunité, de circonstances : ce sont les pires ! »

Sur la même chaîne d’info, l’ex-président du Tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczveig, appelle aussi à la prudence : « Les deux mineurs qui ont contribué à identifié l’enseignant aux yeux du tueur :  étaient-ils conscients ou complices de se qui allait se passer ? Il faut rester prudent – on ne dispose que d’informations partielles pour le moment. Méfions-nous de la démarche qui consiste à tout raisonner à partir de la fin du film. Est-ce que c’était prévisible ? Sachant que tout n’est pas prévisible, tout ne peut pas être empêché… Donc, gardons-nous de porter des jugements sur ce qui a pu se dérouler et sur ce qu’on aurait pu faire pour l’éviter. »

Criminalisation

Une sagesse qui n’intéresse pas le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Le nez plongé dans le guidon de son vélo électoraliste dont les vitesses sont bloquées à l’extrême-droite. Entre autres effets d’annonce, Darmanin a promis la dissolution de plusieurs associations musulmanes, suspectées, à tort, d’intégrisme islamique voire de complicité avec de potentiels terroristes. Nommément citées : le CCIF – le Collectif Contre l’Islamophobie en France -, Barakacity ou Ummah Charity. Trois associations déjà soumises, depuis des années, à un harcèlement policier exercé par le pouvoir politique français. Sans jamais trouver traces, chez elles, du moindre projet criminel. Trois associations dont les responsables ne sont guère invités à s’exprimer dans les médias mainstream. Autant de raisons pour lesquelles, nous allons citer, ici, deux extraits du communiqué de presse du CCIF :

« Que s’est-il passé en dix ans ? Comment la pensée identitaire et raciste, héritière du fascisme et du totalitarisme, s’est-elle retrouvée au cœur même de l’État dans son gouvernement et son sénat ? Comment des idées, encore jugées d’extrême-droite, se sont normalisées dans le débat public ? C’est là tout le processus d’islamophobie que nous dénonçons en particulier depuis 2015, depuis l’état d’urgence, et qui nous vaut aujourd’hui cette attaque politique…

Ne sachant comment réagir aux attaques terroristes, le gouvernement a, à chaque fois, voulu faire des démonstrations de force, la plupart du temps illégales, en s’en prenant de manière violente et délibérée à des musulmans le plus souvent anodins, présentés comme « islamistes ». Cette stratégie a non seulement été inefficace – le terrorisme n’a pas disparu -, mais est également nocive et dangereuse, car elle répond précisément à l’agenda des terroristes. Elle valide leur modèle et confirme leur discours… Après avoir défendu des milliers de personnes physiques ou morales, ciblées par des mesures discriminatoires et injustes, c’est à notre tour d’en faire les frais : la mise en cause du CCIF ne correspond ni à une réalité factuelle, ni à une réalité juridique, mais à une volonté politique : criminaliser la lutte contre l’islamophobie. »

Démentant fermement être lié, de près ou de loin, à l’assassinat de Samuel Paty, le CCIF poursuit :

« En nous accusant, sans preuves, d’être responsables ou mêmes liés à cet acte abominable, le ministère de l’intérieur est en train de signer la fin de l’état de droit. Dans ces moments sombres, on a un choix à faire : soit on fait le jeu de division des terroristes en visant les musulmans, soit on fait société, en luttant à la fois contre le terrorisme et contre toutes les formes de racisme. »

En écho, le communiqué de presse de l’UJFP – l’Union Juive Française pour la Paix – ne se montre pas moins inquiet et sonne l’alerte avant « une nouvelle catastrophe » :

« Il y a quelque chose de totalitaire dans la nouvelle étape du discours raciste et islamophobe d’État qui vient d’être franchie, avec l’introduction frauduleuse dans le débat national du concept de « séparatisme » supposé qu’entretiendraient nos concitoyens de culture musulmane. De quelques fanatiques, on passe à des groupes entiers qualifiés d’islamistes, puis à toute organisation indépendante s’appuyant sur l’Islam telles que des ONG comme Baraka City ou l’organisation antiraciste CCIF.

Or, le véritable séparatisme, c’est la désignation assumée à la vindicte générale de pans entiers de notre société au seul motif qu’ils sont musulmanes et musulmans.

L’atmosphère empoisonnée d’aujourd’hui peut permettre de comprendre ce qui a dû se passer en France et en Allemagne pendant les années 1930. Comment une société entière a pu être, petit à petit, contaminée par des discours politiques et la presse antijuive, pour se retrouver embrigadée dans une croisade exterminatrice… Il nous appartient d’alerter nos concitoyens sur les dangers qui menacent nos sœurs et nos frères musulmans et, plus largement, notre société toute entière. Le temps nous est compté, si nous ne voulons pas que se produise à nouveau une catastrophe… »

Répliques

Qui, dans les médias audiovisuels français, se souvient des mots tenus en 2011 par le Premier ministre norvégien, Jens Stoltenberg, juste après l’effroyable attaque terroriste, perpétrée par l’intégriste chrétien Anders Brevik, qui s’était soldée par 77 morts et plus de 200 blessés ?

Oui, parmi vous qui n’êtes plus mes confrères, qui se souvient encore de ces mots lumineux : « Nous devons montrer que notre société ouverte peut faire face à cette épreuve. Que la meilleure réponse à la violence terroriste est encore plus de démocratie. Encore plus d’humanité. »  ?

Et, toujours parmi vous, qui aura le courage d’observer et d’exprimer, au plus grand nombre, qu’à l’inverse de la police française, la police norvégienne a capturé le terroriste Anders Brevik vivant. Afin de le traduire et de le condamner en justice. Comme il se doit, dans toute société dite démocratique ?

Sans surprise, la situation n’est guère plus « réjouissante » en Belgique. Où les répliques de haine islamophobe « à la française » n’ont pas tardé à exciter nombre de petits cerveaux belgo-blancs.

Exemple : sur les ondes de la RTBF, le 20 octobre, l’éditorialiste néolibéral Alain Gerlache dénonce l’assassinat de Samuel Paty. Pour mieux l’amalgamer à la lutte d’égalité menée par nos concitoyennes belges qui portent le foulard. Les yeux en boules de Lotto, à deux doigts de retrouver l’uniforme de son service militaire, le sergent Gerlache crie : « Ce n’est pas le moment de reculer sur la neutralité de l’Etat ! » Et de conclure son prêche islamophobe par un martial : « L’heure n’est pas à la soumission ! » (1)

Autre cible, plus politique, mais toujours d’origine maghrébine : Rajae Maouane, la coprésidente d’Ecolo. Après la diffusion, sur Instagram, d’une story répondant à une nouvelle sortie raciste de Gérald Darmanin (2), la trentenaire s’est prise une volée de tweets accusateurs du MR et de la NV-A. En tête d’escadrille, le président sous tutelle du parti de droite francophone, Georges-louis Bouchez, toujours pas guéri de sa « fière » manie de l’ouvrir quand il devrait la fermer. Ce qu’il avait pourtant réussi à faire lorsque tomba la 4 ème inculpation pour corruption de son mentor Nicolas Sarkozy

En ambuscade, Assita Kanko, l’afro-islamophobe de service des séparatistes de la NV-A. Entre deux selfies et changement de tenue vestimentaire, la nationaliste trouve le temps de tweeter ceci : « Rajae Maouane souhaite à tous une bonne journée, à l’exception du gouvernement français. Juste après que Macron a annoncé que l’islam radical serait plus difficile à combattre et renvoyé 231 immigrants illégaux radicalisés. Coïncidence ? Ecolo choisit l’islam radical. Ce ne sont pas nos valeurs.  »

Immédiatement défendue par des cadres d’Ecolo, Rajae Maouane finira par clouer le bec à ses nullissimes et malhonnêtes détracteurs. Courte pause avant l’inévitable récup’ du Vlaams Belang. Comme une mouche se ruant sur un étron, le parti d’extrême-droite flamand s’est empressé de sponsoriser une pub Facebook appelant à « interdire les organisations islamistes« . Normal, souriront les cyniques. Sans doute. Normal aussi les plus de 300 partages et 3700 « likes » en moins de 36h ?

Pour celles et ceux qui y auraient échappé, voici la déclaration officielle du Vlaams Belang Brussels, en date du 23 octobre : « La France s’est réveillée samedi dans l’incompréhension et la douleur : comment a-t-on pu en arriver là ? Elle opte pour des mesures fortes, et le Vlaams Belang veut la même chose en Belgique : dissoudre et interdire IMMEDIATEMENT les organisations islamistes ! »

Focalisé.e.s sur la galopante propagation du Covid-19 ou attéré.e.s par notre place de « lanterne rouge » d’Europe en matière de gestion néolibérale catastrophique de la pandémie, d’aucuns, afro-descendant.e.s et allié.e.s blancs, pourraient penser que cet article n’évite pas l’écueil de l’exagération ou de l’alarmisme.

A l’adresse de ceux-ci, sûrement trop nombreux, je reprendrai une citation de Frantz Fanon. En me permettant d’y modifier un seul mot :

« Lorsqu’ils parlent des musulmans, tendez l’oreille, c’est de vous qu’ils parlent. »

Olivier Mukuna
[Chronique LDC n°8, 22 octobre 2020]

[1] Le mot « islam », traduit en français, signifie « soumission »…

[2] Le mardi 20 octobre, le ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, a tenu les propos suivants : « Moi, ça m’a toujours choqué de rentrer dans un supermarché et de voir, en arrivant, un rayon de telle cuisine communautaire et de telle autre à côté. C’est comme ça que commence le communautarisme. »

 

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Source : Olivier Mukuna
http://oliviermukuna.canalblog.com/…
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