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18 novembre 2024

Biden et la CIA


Biden et la CIA

Publié par Gilles Munier sur 23 Novembre 2020, 11:02am

Catégories : #CIA

Par Melvin Goodman (revue de presse : Counterpunch – 18/11/20)*

Une des décisions les plus importantes pour tout nouveau président est la nomination du directeur de la Central Intelligence Agency (CIA). Malheureusement, elle intervient souvent tardivement dans le processus de transition, n’obtient pas l’attention qu’elle mérite, et finit par un choix médiocre. Les présidents ont nommé des libéraux qui n’ont pas survécu au processus de confirmation (Ted Sorenson et Tony Lake); d’anciens analystes et agents de la CIA qui ont tous échoué pour diverses raisons (Richard Helms, William Colby, Robert Gates, John Brennan, ainsi que l’actuel directrice Gina Haspel) ; des vétérans du Congrès  qui ont politisé l’institution (les représentants Porter Goss et George Tenet); des personnalités éclectiques qui n’ont jamais su faire preuve de leadership dans la période post Guerre-Froide (John Deutch, Général David Petraeus, Général Michael Hayden, Leon Panetta, and Jim Woolsey).

Nommé par le président Bill Clinton, Woolsey est l’archétype d’un choix voué à l’échec. Sa nomination est intervenue vers la fin de la période transition. Clinton n’avait aucun candidat en vue et Woolsey était parfaitement inconnu des conseillers qui entouraient le président élu. Mais il avait une qualité : c’était un pur et dur, théoriquement démocrate, et les conseillers de Clinton pensaient ainsi apaiser les communautés du renseignement et militaire en choisissant une personne à la droite du parti.

La réunion entre Clinton et Woolsey à Little Rock, dans l’Arkansas, est un classique du genre. Ce dernier ne savait pas pourquoi il avait été invité, et la discussion avait essentiellement porté sur le football au collège. Il n’y avait eu aucune discussion substantielle. Les deux hommes n’ont jamais établi une relation de travail et Woosley, un introverti, a travaillé seul, s’aliénant les directeurs de la CIA et réussissant même à se mettre à dos les membres démocrates et républicains des commissions du renseignement au Congrès.

Les directeurs de l’agence issus du milieu du renseignement, représentaient, eux, un groupe hétéroclite. Haspel est principalement connue pour son rôle dans les programmes de torture sadiques et autres abus de la CIA. Elle n’aurait jamais dû être considérée pour ce poste. Brennan, qui occupait un poste haut placé pendant la planification et la mise en place de ce programme, n’a jamais bronché. Le directeur de la CIA Willian Casey (un ancien du Bureau des services stratégiques) a trouvé en Bob Gates un parfait lèche-bottes, et, ensemble, ont mis au point un programme de politisation des renseignements sous la présidence de Ronald Reagan. James Schlesinger, Porter Goss, et George Tenet ont, eux aussi, excellé dans l’art de la politisation.

Sans parler de l’inoubliable Helms qui, après avoir témoigné devant le Congrès que « des hommes honorables » travaillaient au sein des services secrets américains, s’est vu infliger une amende de $2000 et une condamnation à 2 ans de prison avec sursis pour parjure devant le Comité sénatorial des relations internationales. Le général Hayden s’est, lui, démarqué par son rôle au sein de l’Agence de sécurité nationale (National Security Agency) où il a enfreint le 4ème amendement sur les perquisitions et les saisies illégales, et de la CIA, où il a fait pression sur le Congrès pour autoriser les agents de la CIA à torturer et commettre des abus sur toute personne suspectée de terrorisme en totale violation du 8ème amendement.

La CIA a chancelé à des moments clés à cause d’un manque de stabilité et d’expérience à son sommet et de la « culture du secret » qui a souvent altéré le jugement de nombreux de ses dirigeants qui ont su la manipuler à des moments clés. Il n’y a probablement aucun profil parfait pour le poste de directeur de la CIA, mais ni l’armée, ni Congrès ou la CIA elle-même semblent fournir le terreau approprié pour former un leader solide qui comprenne le rôle central que joue l’analyse des données de renseignement et soit capable de « dire la vérité aux puissants ».

De mon côté, je suggèrerais volontiers au président-élu Joe Biden de considérer un département qui n’a jamais produit un seul directeur de la CIA – le département d’État. Dans les années 50, le président Harry Truman voulait que le directeur du département de la Politique d’État et de la planification, George Kennan, prenne les rênes de la CIA. Mais ce dernier refusa, privant ainsi l’institution d’un chef qui saisissait l’importance de la collecte et l’analyse de renseignements et aurait été un ardent défenseur de rapports et d’évaluations détaillées. Le président Bill Clinton était à deux doigts de nommer l’ambassadeur Thomas Pickering à ce poste, mais a jugé qu’il était plus adapté au poste d’ambassadeur en Russie au lendemain de la chute de l’Union Soviétique. J’ai longtemps fait campagne pour Pickering mais à l’âge de 89 ans, il n’est plus dans la course même dans un monde où les dirigeants sont vieillissants.

Heureusement, il reste un vétéran du département d’État, William Burns, qui serait un choix parfait même s’il semblerait qu’on pense à lui pour le poste de secrétaire d’État, en remplacement de Mike Pompeo. Burns est actuellement le président de la Carnegie Endowement of International Peace. Après une carrière brillante de 33 années dans le service diplomatique, il a pris sa retraite en tant que secrétaire d’État adjoint. Burns connaitrait les limites de la « culture du secret » et les écueils des opérations secrètes. Plus important encore, il aurait une vision stratégique d’ensemble que peu de directeurs de la CIA ont eu et qui donnerait au renseignement un rôle central dans l’identification des défis et des opportunités pour les décideurs.

Mon inquiétude principale tient au fait que l’équipe de Biden regarde une liste vieillissante de candidats pour le poste de directeur de la CIA, sur laquelle apparait le nom de l’ex directeur par intérim Michael Morell. Comme beaucoup “d’hommes des Lumières” tels que John Brennan et John McLaughin, il n’a jamais été d’accord avec le rôle joué par la CIA dans la brutalisation des suspects terroristes et a décrit comme viciée l’étude commanditée par la commission du renseignement au Sénat sur la torture et autres abus. Toutes ces études blanchissent la CIA. Il y a aura toujours une tension forte entre le besoin de secret et la démocratie et Biden nuira fortement à cette dernière s’il nomme une personne plus intéressée à cacher des informations aux Américains plutôt qu’à garder secrètes des informations pour les protéger.

Melvin A. Goodman est chercheur principal au Center for International Policy et professeur en études gouvernementales a l’université  Johns Hopkins.  Ancien membre de la CIA, Goodman est l’auteur de plusieurs livres:  Failure of Intelligence: The Decline and Fall of the CIA, National Insecurity: The Cost of American Militarism,et  A Whistleblower at the CIA. Son livre le plus recent est “American Carnage: The Wars of Donald Trump” (Opus Publishing).  Son prochain ouvrage s’intitule “The Dangerous National Security State” (2020).” Goodman est journaliste spécialiste du renseignement  pour counterpunch.org. 

*Source : Counterpunch

Traduction et Synthèse : Z.E

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