Theodor Herzl, fondateur du mouvement sioniste et sa lettre. / D
Par Dahmani Youssef et Yassine Benargane (revue de presse : Yabiladi – 17/12/20)*
Au XVIIe siècle, un Marocain de confession juif tentera d’établir un Etat juif à Taza, profitant du déclin de la dynastie saadienne et l’arrivée des Alaouites de Tafilalet. Au début du XXe siècle, Theodor Herzl, fondateur du mouvement sioniste songeait aussi à établir un Etat pour les juifs au Maroc, avant que les dirigeants du mouvement n’optent pour la Palestine.
Après le déclin de la dynastie saadienne (1554-1659) et avant l’avènement des Alaouites vers 1631, l’anarchie et un vide politique régnaient au Maroc, qui failli se transformer en royaume des Taïfas. Des personnalités politiques ou disposant de statut social important avaient tenté de gouverner seules leurs territoires. Parmi eux, un Marocain de confession juive nommée Haroun bin Mishaal, qui vivait à Taza.
Dans «L’histoire diplomatique du Maroc des temps les plus anciens à la période alaouite», Abdelhadi Tazi raconte comment Haroun bin Mishaal a profité de la vacance du pouvoir à Fès pour tenter de créer une province juive, dans les environs de Bani Yazanassin et espérait devenir gouverneur de Taza et de Fès.
Le numéro 203 du magazine Daawat Alhaq – une publication du ministère des Habous et des affaires islamiques-, indique qu’Ibn Mishaal a profité du «danger guettant le Maroc et la dynastie saadienne». «Les Juifs ont donc cherché à réaliser leur rêve de restaurer l’Etat de David, mettant une première brique loin de leur temple, jusqu’à ce qu’ils puissent s’en approcher», décrit-on.
Un vieux rêve du sionisme
La même source rapporte qu’Ibn Mishaal devait ainsi «mettre en place son État juif, dans la région orientale, près des frontières de l’État turc dans le pays algérien». Ainsi, «le judaïsme avait planifié son Etat et placé son premier château ou kasbah, connu sous le nom de Dar Ibn Mishaal», ajoute le magazine.
L’historien marocain Abdelhadi Tazi note dans un article intitulé «L’État alaouite et la féodalité d’Ibn Mashaal» que «l’État d’Israël était sur le point de prendre d’assaut Taza» pour inclure Fès ainsi que d’autres régions du pays. Il a noté que «le pouvoir détenu par Ibn Mishaal, que ce soit en termes d’argent ou d’équipement, sa réputation d’homme voulant du bien pour les plus riches et les plus pauvres et la stabilité pour le pays poussaient les opprimés ou les confus à lui faire confiance».
Cependant, le règne d’Ibn Mashaal sur Taza et son rêve d’établir une patrie pour les Juifs sur la terre du Maroc, sera réduit en poussière. L’historien marocain raconte ainsi comment un incident avec une femme causera la mort de celui qui se rêvait en souverain juif.
«Ibn Mashaal passe un jour et vient se tenir devant une femme portant un petit enfant avec un pot d’eau à la main. Il lui demande alors de lui donner à boire – une tentative probable pour savoir ce qu’elle ressentait envers lui -, et elle refuse. Il prend ainsi l’enfant et le jette (provoquant ainsi sa mort, ndlr). La mère récupère la dépouille et retourne au village pour soulever le peuple contre Ibn Mashaal.»
Abdelhadi Tazi, «L’État alaouite et la féodalité d’Ibn Mashaal»
Cet incident a coïncidé avec le début de l’émergence des Alaouites au Tafilalet. «Moulay Rachid, l’un des membres de cette famille, était étudiant à l’Université Qarawiyyin de Fès. Vivant dans la ‘réalité marocaine’, les livres d’histoire indiquent qu’il a été touché par les actions d’Ibn Mishaal dans l’Est du pays et décide ainsi de frapper le fief d’Israël», ajoute l’historien.
Selon le livre «Al Isstiqssa Fi Akhbar Al Maghrib Al Aqsa» d’Ahmed Ben Khaled Naciri, Ibn Mishaal avait «des sommes énormes d’argent et des munitions précieuses» et méprisait les musulmans et l’islam. Ainsi, Moulay Rachid parvient à le tuer et s’empare de son argent qui sera distribué à ceux qui se sont joints au futur Chef du Tafilalet.
La fortune d’Ibn Mishaal servira ainsi pour équiper l’armée du prince de Tafilalet, qui prendra le contrôle de la ville de Fès, et renforce son armée avant d’affronter celle de son frère, Moulay Mohamed Ben Chérif, qui sera vaincu et tué lors de la bataille d’Angad près d’Oujda, le 2 août 1664.
Dans son 203ème numéro, le magazine Daawat Alhaq indique que la forteresse d’Ibn Mishaal restera en place, même après son élimination : «Les armées turques la visitaient de temps en temps et l’occupaient, tantôt comme barrière face aux forces marocaines, tantôt comme un point de départ pour les attaquer.»
Un rêve d’un Etat juif qui renaît de ses cendres
Des centaines d’années après le meurtre d’Ibn Mishaal, le rêve des sionistes d’établir une patrie est revenu au premier plan au début du XXe siècle. Des médias israéliens ont récemment rapporté un message mystérieux et secret, selon lequel Theodor Herzl, premier ayant œuvré à la création d’un État juif, aurait tenté de promouvoir un plan visant à établir un État au Maroc.
Le journal Yediot Aharonot indique que le «plan Ouganda» d’installation des juifs en Afrique de l’Est est à l’étude dans les livres d’histoire, mais peu ont eu vent d’un plan alternatif préparé par Herzl. Son «plan marocain» visait, selon une lettre qu’il rédige en avril 1903, à installer dans le royaume des juifs russes.
Selon le même site, Herzl pensait «proposer un site différent pour l’Etat juif dans la région sud-ouest du Maroc».
«Il y avait une très grande concentration de Juifs là-bas, que ce soit au Maroc même ou dans la région de l’Afrique du Nord en général. Il faut comprendre que Herzl était un homme très pragmatique. Il voyait d’une part le problème avec les Juifs persécutés qui souffraient principalement en Europe de l’Est et d’autres pays, d’autre part le Maroc avec sa communauté juive florissante et des centres de juifs actifs.»
Yaakov Hagoel, président de l’Organisation sioniste mondiale
Le professeur Yosef Shitrit du Département d’hébreu de l’Université de Haïfa a déclaré au même journal que l’option d’un Etat juif international sur la terre du Maroc avait également été présentée par les frères Baruch et Yaakov Moshe Tolidano, deux fils de parents immigrés du Maroc et militants sionistes bien connus à l’époque.
Il a ajouté que «Baruch s’est adressé à Herzl, plusieurs mois avant sa mort, et a ensuite transmis son appel au rabbin français Vidal de Fès, proche de la monarchie et du gouvernement marocains, pour établir un territoire indépendant pour les juifs». «Le rabbin français, qui connaissait très bien la politique intérieure savait qu’il s’agissait d’un plan illusoire qui ne tenait pas compte de la situation intérieure du Maroc et a mis (ce projet) dans un tiroir», raconte-t-il.
Cependant, la mort de Herzl en 1904 précipita la fin du plan, comme de nombreuses autres stratégies envisagées par les sionistes, qui finiront par opter pour la terre de Palestine.
*Source : Yabiladi