Anthony Blinken
« Aux États-Unis, on peut soutenir la pire des politiques étrangères de l’histoire moderne sans craindre aucune conséquence. Pire encore, vous en serez récompensés. »
Par Jake Johnson (revue de presse : Common Dreams.org – 23/11/20)*
Alors que les postes haut placés commencent à être pourvus et donnent le ton de la future politique étrangère du président élu Joe Biden qui, selon certains rapports de presse, aurait l’intention de nommer son conseiller de longue date Anthony Blinken au poste de secrétaire d’État, les progressistes tirent la sonnette d’alarme en rappelant que celui-ci avait soutenu les invasions désastreuses de 2003 en Irak et de 2011 en Libye et que, plus récemment, il était consultant auprès des grands industriels du tech, de la finance et de l’armement.
Blinken était adjoint au conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d’État adjoint sous l’administration Obama et comme l’a rappelé dimanche le Washington Post, « il est connu pour sa vision très centriste du monde » et « pour son goût pour l’interventionnisme ». « Il s’est démarqué de Biden une fois en soutenant l’intervention militaire en Libye par exemple » note le journal en faisant référence à la décision catastrophique prise par l’administration Obama de se joindre aux forces de l’OTAN pour bombarder le pays, déclenchant ainsi une guerre civile qui perdure aujourd’hui.
Quant à la politique américaine vis-à-vis de la Syrie, Blinken était un fervent partisan de mesures militaires plus agressives à l’encontre du gouvernement de Bachar al-Assad et aurait laissé entendre récemment que l’administration Biden laisserait des troupes américaines dans ce pays ravagé par la guerre.
Lorsque Biden en 2002, alors sénateur et président de la très puissante commission sénatoriale des Affaires étrangères, avait voté en faveur de l’invasion désastreuse de l’Irak par Bush, une décision qu’il a depuis lui-même qualifié d’erreur, Blinken n’était autre que le directeur du personnel démocrate de cette même commission.
Dans The Intercept, Ryan Grim fait remarquer, en juillet, que Blinken « avait façonné le soutien de Biden à la guerre en Irak ». Dans un entretien avec le New York Times au début de l’année, Blinken a expliqué que ce vote n’était autre qu’un « vote pour une diplomatie musclée ».
“Nous avons donc un président qui a soutenu l’invasion en Irak et un secrétaire d’Etat (Tony Blinken) qui a fait de même », a tweeté Medea Benjamin, co-fondatrice du mouvement contre la guerre Code Pink. « Aux Etats-Unis, on peut soutenir la pire des politiques étrangères de l’histoire moderne sans craindre aucune conséquence. Pire encore, vous en serez récompensés. »
Le choix de Blinken, qui devrait être rendu public mardi en même temps que d’autres nominations, n’a pas été unanimement critiqué par les progressistes. Matt Duss, le conseiller en relations étrangères de Bernie Sanders, a déclaré que c’était un « bon choix ». « Tony est un homme de confiance du président élu et a les connaissances et expériences nécessaires pour accomplir la tâche très importante de reconstruire la diplomatie américaine » a-t-il ajouté. « Ce sera aussi une bonne chose et une nouveauté que d’avoir un diplomate de haut rang qui est en contact régulier avec les bases progressistes».
Après avoir quitté l’administration Obama, Blinken a fondé en 2017 la société de consulting WestExec Advisors avec Michèle Flournoy qui, elle, est pressentie pour le poste de secrétaire à la Défense de Biden. Le American Prospect rapportait dès juillet :
« WestExec a seulement indiqué qu’elle travaillait avec des entreprises parmi « les 100 plus importantes » qui comprend les compagnies américaines les plus connues dans les domaines de la technologie, de la finance y compris les sociétés de gestion mondiale d’actifs, de l’aérospatiale et de la défense mais aussi des compagnies de technologies émergentes et des organisations à but non lucratif. Le journal confirme qu’elle compte comme client la compagnie israélienne d’intelligence artificielle Windward créée en 2010 par deux anciens agents israéliens du renseignement de la Marine s’appuyant sur des logiciels de surveillance des navires en temps réel. En dépit de nombreuses requêtes, ni la société, ni l’équipe de campagne de Biden n’ont accepté de fournir la liste des clients de la WestExec. « La transparence est une chose très importante à nos yeux » a déclaré un porte-parole de Biden. Blinken s’est retiré de WestExec, selon cette même équipe, mais son profil apparaît toujours sur le site web de la compagnie.
Suite à la nomination de Blinken et possiblement de Flournoy à deux des postes les plus importants dans la politique étrangère de son administration, Biden s’attirera surement l’ire des progressistes qui avaient exigé de lui qu’il instaure un gouvernement tourné vers la paix et la diplomatie, et libre de toute influence malsaine des fabricants d’armes, des grands groupes industriels de la défense et autres très puissants intérêts privés.
« Biden fait face à des législateurs démocrates et des groupes de défense progressistes qui lui demandent de mettre un terme aux passerelles entre le gouvernement et l’industrie de la défense », ont fait remarquer lundi matin Julia Rock et Andrew Perez du Daily Poster. « Un tiers des membres de l’équipe de transition chargée d’évaluer le département de la Défense était encore récemment employé par des organisations, des think tanks ou des compagnies qui soi reçoivent directement de l’argent de l’industrie de l’armement ou en sont membres », selon un rapport du In These Times.
« Au même moment, ajoutent Rock et Perez, les dirigeants de l’industrie de l’armement ne cessent de se vanter de leurs liens étroits avec Biden et sont confiants qu’il n’y aura pas beaucoup de changement dans la politique du Pentagone ».
Le député Ro Khanna (Californie), le premier vice-président du Caucus progressiste du Congrès – Congressional Progressive Caucus (CPC) – fait remarquer sur Twitter qu’à l’instar de Blinken, « Flouroy a soutenu la guerre en Irak et en Libye, a critiqué Obama sur la question syrienne, et a travaillé à faire monter la pression en Afghanistan ». « J’aimerais pouvoir valider le choix de Biden », ajoute Khanna, « mais Flournoy s’engagera-t-elle à retirer totalement nos troupes d’Afghanistan et à bannir les ventes d’armes à l’Arabie saoudite afin de mettre un terme à la guerre au Yémen ? »
La député Ilhan Omar (Minnesota), elle aussi membre du CPC, a fait remarquer à Khanna que «la vraie question est de savoir si Biden, lui-même, s’y engagera ? Au bout du compte l’équipe de Biden exécutera sa politique étrangère ».
*Source : Common Dreams.org
Traduction et Synthèse : Z.E