Pr. Noureddine AOUSSAT. Dix raisons pour refuser la charte des imams de France
24 décembre 2020
- 23 déc. 2020
- Par Noureddine.A
- Blog : Le blog de Noureddine.A Noureddine AOUSSAT : Réponse à la lettre ouverte de Felix Marquardt
Les dix raisons pour les quelles je refuse la charte des imams de France
Être imam en France n’est pas une mission aisée. Plus qu’un engagement moral et volontaire, pour nombre d’entre eux et moi inclus, c’est un véritable sacerdoce.
Nombreux ceux, y compris parmi les fidèles fréquentant les mosquées, qui croient encore qu’être imam c’est gagner des milles et des cents ; Ils tombent des nues lorsqu’ils sont informés du contraire. En effet, j’ai connu une génération d’imams qui, pendant de très longues années, étaient nombreux, à ne toucher aucun centime pour leur imamat. La plupart de ces imams qui officiaient le vendredi, jour de la grande prière de jumu’a, étaient des volontaires. Mieux encore, et j’insiste, car sans regret, nombreux furent ces imams à opter pour le temps partiel dans leurs jobs (quatre jours sur cinq 4j/5) pour être libre le vendredi et se rendre disponible pour la mosquée. Bref ! Mieux vaut abréger ce volet de l’imamat qui reste un sujet un peu douloureux à en tout dévoiler. Par ailleurs, bien qu’il ne soit nullement le propos de ce papier, le statut de l’imam en France me parait néanmoins -un tant soit peu- nécessaire à revisiter.
Nous ne disposons pas de suffisamment d’études sur les imams de France ; toutefois, les rares existantes publiées ces dix ou quinze dernières années sont de très bonne qualité informationnelle et analytique.
D’emblée, j’aimerai rappeler que quatre ou cinq associations prétendent exercer le rôle de fédérations des imams de France. Étrangement, elles sont toutes discrètes, silencieuses et presque clandestines pour certaines. On n’entend jamais parler d’elles ! : deux ou trois communiqués par an pour le CIF Conseil des Imams de France ; alors que son homonyme la CIF, Conférence des Imams de France lancée très opportunément par le benêt faux imam Chelghoumi, est intarissable.
Une fois encore, bref ! Mais on ne peut pas parler des imams de France sans souligner qu’ils sont très mal servis, y compris par eux-mêmes ; très mal représentés par leurs pairs ; et, là où le bât blesse, ils n’ont hélas pas bonne presse ni belle image dans la société française. Pourtant nombreux sont ceux qui font un travail social et sociétal formidable en plus de leurs missions religieuses et spirituelles.
Malheureusement, des hommes et femmes politiques, sans argument, et sans même se donner la peine du moindre effort d’explication aucune, se permettent depuis des années de dénigrer les imams. Les médias les ignorent totalement. Mis à part quelques rares articles publiés ici ou là par un ou deux quotidiens ces dix dernières années, les français ne savent pas grand-chose sur l’imamat et les imams de France. En revanche, quand survient un événement anecdotique ou une déclaration controversée parmi l’un d’entre eux, cela suscite des polémiques médiatiques interminables ; polémiques pouvant trouver relai bien haut, jusque dans la bouche du chef de l’Etat. François Hollande, par exemple, pour ne pas le citer.
Quelques années plus tard…, aujourd’hui en l’occurrence, nous arrivons au comble de ce qui touche les imams de France. Un Conseil National des Imams (un CNI) est en cours de création sans qu’ils n’en soient associés d’une manière ou d’une autre, ni consultés, tout au moins. Et, comme si cet irrespect envers les imams n’est pas suffisamment indigne, l’affront est désormais poussé plus loin encore avec cette sordide histoire de « charte » dite des valeurs qui leur tombe dessus. Le sous-entendu du « message » de cette idée de charte est très insidieux. Cette insinuation laissant entendre que les imams de France prêcheraient sans se référer à des principes, code ou valeurs, est insupportable. Même en absence de charte écrite, toutes les études et enquêtes sociologiques font ressortir que le discours des imams, -loin d’être toujours parfait, et, en dépit même de ses lacunes-, est conforme aux lois et principes de la République.
En effet, rappelons-le clairement, mis à part quelques assignations à résidence et mesures d’expulsions prononcées par des tribunaux administratifs, aucun imam de France, durant ces trente dernières années (ou davantage) n’a été mêlé de prêt ou de loin à un quelconque acte touchant la sécurité. La propagande islamophobe très médiatique et le discours idéologique de nombre de politiciens sont une chose, et les faits tangibles et avérés en sont une autre.
La question de l’imamat et des imams en France, bien loin des agendas politiques, mérite incontestablement une mise à plat et une révision profonde pour combler ses lacunes ; et l’inscrire davantage dans sa vocation spirituelle ainsi que son rôle dans la société française. Pour ce faire, un minimum de sérénité et d’apaisement sont de mise. Il va sans dire qu’on se passerait bien de cette insidieuse et sordide accusation de « dangerosité » ou de « discours radical » nécessitant « une charte » de bonne conduite. L’élaboration de cette dernière en catimini entre le CFCM et les services du ministère de l’intérieur -(d’après certains médias), sans la participation des imams, doit tous nous indigner en tant que citoyens musulmans ou non-musulmans.
Dans ce qui suit, très humblement mais résolument et solennellement, je tiens à exposer et porter à la connaissance de mes compairs imams, mes coreligionnaires musulmans et musulmanes, et, par-delà ces derniers, l’ensemble de mes concitoyens français et françaises, les dix raisons pour lesquelles je ne signerai pas cette charte. D’une manière générale, le CFCM, en piétinant le principe indérogeable de la concertation « Ash-Shûra » par sa mise en place de façon antidémocratique de ce Conseil National des Imams, il lui ôte automatiquement toute légitimité représentative. Dans ce qui suit, je ne m’attarderai donc pas sur ce conseil ; je me focaliserai surtout sur cette dite charte des imams.
Ces dix raisons qui me poussent à récuser cette charte et à refuser de la signer, sont de plusieurs aspects : Des principes et droits démocratiques indérogeables ; des principes éthiques et moraux qu’aucun imam digne de cette fonction ne saurait ignorer ; des considérations historiques de première importance, et, enfin et non des moindres, des considérations politiques conjoncturelles relevant de l’actualité qu’aucun imam responsable ne doive omettre. Je les énumèrerai sans chercher à les hiérarchiser ou à accorder plus de pondération aux unes par rapport aux autres.
- Je ne signerai pas cette charte parce que la France est un Etat laïc. Cette laïcité devrait se traduite et être incarnée par une séparation nette entre les religions et l’Etat. Or, en l’occurrence, il n’est un secret pour personne que l’initiative de l’idée d’élaboration d’une « Charte des imams » émane du pouvoir politique sous forme d’un ordre cinglant, assorti d’un délai d’exécution de surcroît ! Je refuse catégoriquement de piétiner ce principe fondamental de séparation des Églises et de l’État.
- Je ne signerai pas cette charte parce que celle-ci ne fait qu’entériner et cautionner un double tort que l’Etat français traine depuis plus d’un siècle dans sa politique musulmane. En effet, depuis le 9 décembre 1905, date de promulgation de la loi de « Séparation des Églises et de l’État » instaurant « la laïcité ; celle-ci n’a jamais été appliquée à l’Islam et aux musulmans. Il est impératif de rappeler ici, ce que tous les français doivent savoir, qu’en fait, par un décret du 27 septembre 1907, -qui ne devait être que provisoire et dérogatoire-, l’Etat a exclu le Culte musulman du bénéfice de cette loi de « neutralité de l’Etat ». Et ce tort n’a fait que s’accentuer au fil des ans. En effet, ce » décret décennal de 1907 est reconduit en 1917, puis en 1922 et 1932, et il devient sans limite de durée en 1941, au nom de l’intérêt politique » (Pierre Vermeren). L’Etat français, par son refus d’appliquer la laïcité au Culte musulman, a occasionné beaucoup de tort aux musulmans et à la laïcité qui se trouve donc vidée de ce qui fait son esprit et détournée de sa vocation. Par conséquent, je refuse de signer cette charte pour ne pas cautionner cet état de fait qui n’a que trop duré.
- Je ne signerai pas cette charte parce qu’elle est une consécration de la gestion coloniale de l’islam. Or, à mon sens, aujourd’hui en décembre 2020, d’autant plus que cela fait plus de deux décennies qu’on ne cesse de nous rabâcher » il faut construire un islam de France » , il est grand temps de montrer que cet « islam de France » est un islam citoyen à part entière et non un islam sous contrôle de l’Etat, comme au triste temps de la colonisation.
- Je ne signerai pas cette charte parce qu’elle est directement liée à la réaction de l’exécutif (Macron et son gouvernement) suite à l’horrible assassinat de Samuel Paty et du tragique attentat de l’église de Nice. En effet, cette charte, -indépendamment de son contenu-, annoncée en ce moment, dans la foulée de l’arsenal des mesures autoritaires déployées « pour lutter contre le séparatisme » ou « le terrorisme », risque de conforter les infamantes accusations de la prétendue « implication des mosquées » et « des imams » d’une manière ou d’une autre dans ce terrorisme ; alors que le CFCM est le premier à ne pas ignorer que ces accusations n’ont aucun fondement. Ce qui me ramène à la cinquième raison.
- Je ne signerai pas cette charte parce qu’évidemment, à l’instar des pasteurs, curés, rabbins et autres hommes de cultes, toutes les lois de la République en vigueur engagent les imams également. Au même titre et sans distinction ni discrimination, les imams logent à la même enseigne que tous, ni plus ni moins. Cette charte, requérant un engagement spécifique et solennel, exigé des seuls imams -séparés des hommes de culte des autres religions-, est à mon sens une atteinte grave au principe d’Egalité de tous devant la Loi. Autrement dit, l’Etat ruse avec ses valeurs et ses principes (comme nous l’avons vu plus haut aux raisons 1 et 2) pour ne pas appliquer la loi de séparation. Et il pratique à contrario une sorte de « séparatisme », en exigeant des imams ce qu’il n’exige pas des autres hommes de culte.
- Je ne signerai pas cette charte des imams, ni d’une manière générale n’adhérerait à aucun projet visant l’organisation de l’Islam de France, si les imams et les acteurs associatifs musulmans n’y sont pas associés, consultés et sollicités de manière démocratique et en toute transparence.
- Je ne signerai pas cette charte des imams parce que les conditions antidémocratiques de son élaboration relèvent, à ne pas en douter, d’une grave régression. Alors que tous les pans de la société française affichent des progrès en réclamant plus de démocratie représentative et plus de participation des citoyens dans les prises de décision, le CFCM semble vivre sur une autre planète en prenant le chemin totalement inverse. Le comble, d’après les fuites publiées par certains médias, les fédérations composant le CFCM ne sont d’accord que sur un point : l’étouffement de la voix des imams. Autrement, entre-elles, et c’est là que le bât blesse, elles continuent à jouer à la surenchère des propositions, à se tirailler et agir de façon négative et dommageable ; pour ainsi dire, dans une conjoncture éminemment sensible, elles desservent les intérêts des musulmans de France.
- Je ne signerai pas cette charte parce qu’elle ne répond ni à un besoin réel, ni ne représente un quelconque caractère urgent ou important. Pis, on peut même penser que celle-ci va encore servir de tremplin pour davantage de stigmatisation des imams et des mosquées lors des prochains débats parlementaires sur la « loi réconfortant les principes républicains ». En réalité, force est de croire qu’en l’absence d’un débat sérieux et responsable sur le rôle véritable des imams et des mosquées ces vingt ou trente dernières années, la promulgation et signature de cette charte dans le contexte actuel, ne fera qu’apporter davantage de grain à moudre aux hommes et femmes politiques, déjà mus par une méconnaissance de l’islam de France et nourris par toutes sortes de préjugés. Je n’ose même pas imaginer l’exploitation qu’en feront celles et ceux, politiques, essayistes et journalistes dont le discours islamophobe ne recule devant aucune précaution intellectuelle ni morale.
- Je ne signerai pas cette charte, parce qu’assurément celle-ci ne servira que de masque par lequel, Macron et son ministre de l’intérieur à l’instar de leurs prédécesseurs ces trente ou quarante dernières années, ils continueront à entretenir l’islam consulaire, au lieu d’un islam porté par et pour les musulmans de France. Le rôle que la FGMP, fédération de la Grande Mosquée de Paris joue dans l’élaboration de cette charte, n’était déjà pas rassurant ces dernières semaines ; désormais il devient totalement pernicieux et insidieux, suite aux dernières déclarations du représentant de la chancellerie algérienne en France. Le 17 décembre, lors d’une cérémonie à la Grande Mosquée de Paris, ce dernier déclara : « La Grande Mosquée de Paris est d’abord algérienne et ne sera jamais autre chose, et c’est ça le plus important ». Le fait que l’ambassadeur algérien puisse tenir un tel propos avec le silence complice des responsables politiques français, en dit très long. Cet « islam consulaire », -forcément et foncièrement « islam politique »- toléré et couvert par la République ôte tout crédit à cet « Islam de France » qu’on nous rabâche. D’ailleurs, la prochaine loi « réconfortant les principes de la République », présentée en conseil des ministres le 9 décembre 2020, ne prévoit rien pour mettre fin à cet enjeu politique et pas du tout spirituel des grandes mosquées de France gérées par les chancelleries marocaines et algériennes. À ce propos, il y a fort à parier que cette charte va très probablement s’aligner sur cette position de l’exécutif. Autrement dit, l’islam de France est-il condamné à rester toujours corseter entre les consulats étrangers et les préfets français ?
- Enfin, the last but not the least, je ne signerai pas cette charte parce qu’étant moi-même imam en France depuis plus de trente-trois ans, il m’insupporte que tant de préjugés négatifs soient portés sur les imams. Aussi, à ce propos, aujourd’hui plus que jamais, les imams de France doivent être fier de leur rôle et dignes de leurs prédécesseurs, notamment l’AOMA, Association des Oulémas Musulmans Algériens. Voilà soixante-dix ans, précisément au mois de mai 1950, l’AOMA adressa un mémorandum au Gouverneur Général d’Algérie et l’assemblée, les invitant à appliquer le principe de Séparation des Eglises et de l’Etat. À la lecture de ce mémorandum de vingt pages, nul doute que tout imam digne de cette fonction, ne peut que faire sienne cette exigence de l’application de la loi de séparation de 1905, qui n’a jamais été appliquée à l’islam et aux musulmans. Un imam doit être loyal et totalement fidèle à sa religion, et irréprochable dans sa probité et la sincérité de son attachement aux véritables principes et valeurs de la République que sont la Liberté, l’Egalité et la Fraternité. Autrement dit, tant du point de vue spirituel que du point de vue temporel, les imams de France doivent s’unir et élever leur voix pour exiger que l’Etat abandonne ses manœuvres politiques à travers cette « loi sur le séparatisme » ; Ensuite qu’il applique enfin au Culte musulman la loi de séparation qu’il n’a jamais fait depuis 1905.
En somme, et en guise de conclusion, -nonobstant la teneur de cette charte des imams que nous découvrirons dans les jours qui viennent, qui ne nous intéresse pas ici-, force est d’avouer que le Président Macron, qui a pourtant promis de réorganiser l’islam de France et réviser la loi de la laïcité, a d’ores et déjà définitivement échoué. Quant à Gérald Darmanin, en tant que ministre de l’intérieur « chargé des cultes » de surcroît, en déclarant qu’il est « choqué » par les rayons halal et casher dans les supermarchés, n’a-t-il pas choqué nombre de français par sa conception de la laïcité ? Indéniablement oui ! Loin d’être anecdotique, cette déclaration nous révèle, ô combien il est important de se rendre à l’évidence, que les hommes politiques de notre pays doivent faire attention que la laïcité ne se transforme en laïcisme antireligions. Et, manifestement, avant de chercher à soi-disant réconforter les valeurs de la République en promulguant de nouvelles lois, commencer réellement par mettre en application pour tous les cultes présents en France, la Loi française mère de toutes les valeurs de la République : La loi de Séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905.
Paris, le 23 décembre 2020
L’imam et professeur Noureddine AOUSSAT