Jameleddine El Hajji
Le Temps 12/01/2021
Ou le dialogue ou la guerre !
Ghannouchi gère mal sa solitude Au détour d’une déclaration « bénigne » sur les perspectives du dialogue national, Rached Ghannouchi, patron incontesté (jusqu’à maintenant au moins) du parti islamiste Ennahdha, a jeté cette petite formule pas très démocratisante : Ou bien le dialogue, ou bien la guerre !Sans préjudice au caractère ouvertement provoquant et manichéen de la part du chef islamiste, cette déclaration a suscité plusieurs commentaires à travers la presse, les médias et les réseaux sociaux, portant sur les mobiles réels de Ghannouchi, allant jusqu’à mettre en doute ses intentions réelles derrière ce choix de mots, lequel peut être compacté en : Ou bien vous faites ce que nous voulons, ou bien c’est la guerre. L’élixir de cette formule est la concertation de toute la classe politique avec le parti Ennahdha et ses satellites, un courant d’idées et de politique qu’il considère toujours comme étant le « pivot » autour duquel doit s’articuler toute entente nationale, en gardant bien entendu au parti islamiste son statut de « parti dominant » sur une scène qu’il ne domine pas et qu’il ne dominera pas, au vu de son bilan et de ses scores électoraux depuis dix ans.Un langage d’un autre tempsActuellement, la véhémence de Ghannouchi peut s’expliquer de plusieurs manières. Sur le dossier du remaniement du gouvernement Mechichi, l’orientation prise par le chef du gouvernement ne semble pas trop plaire à Ghannouchi. Mechichi opérera certes un remodelage à large échelle de son équipe, mais toujours sous l’étiquette d’un gouvernement non partisan. Rien que la volte face de Iyadh Elloumi dans la matinée de lundi 11 janvier est de nature à tempérer toute menace que Ghannouchi a voulu installer face à la Kasbah, mais surtout face à Carthage. Plus curieux encore, les déclarations d’Iyadh Elloumi ont été « accompagnées » par un post de Saïd Ferjani, responsable à Mont plaisir, où il cherche une faille lui permettant un quelconque contact avec Nabil Karoui à Mornaguia. Ce chant en chorale de la part des responsables de Qalb Tounes et d’Ennahdha ne peut être perçu que comme un tour de vis « chanteur » vis-à-vis de Ghannouchi et de Mechichi, afin de s’interposer en faveur de Nabil Karoui, via la Justice. Décidément, la ceinture parlementaire de Mechichi commence à lâcher. Puisque ce sont les partis qui le soutiennent, qui demandent franchement des mesures extrajudiciaires afin de soustraire l’accablant allié à ce qui l’attend au tribunal. Toutes ces péripéties ne plaident aucune force que Ghannouchi voulait faire passer à travers ses menaces de violence.Et si Ghannouchi ne s’adressait même pas à la scène politique tunisienne ? Et s’il s’adressait à des parties étrangères qui viennent de commencer une traque en règle contre les fonds des Frères musulmans de par le monde ? La presse égyptienne vient de dévoiler les premiers résultats des investigations des renseignements égyptiens et européens, sur les « richesses » et les affaires que les Frères musulmans, classés comme organisation terroriste dans plusieurs pays, entretiennent actuellement à travers le monde. De ce rapport, on écrit : D’Ennahdha des Frères musulmans, Rached Ghannouchi et ses enfants, possèdent une fortune qui s’élève à environ un milliard de dollars (trois milliards de nos dinars tunisiens), gérée par ses deux fils Souheil et Moadh, et Rafik Abdessalem, son beau-fils et époux de sa fille Soumaya. Parmi ces propriétés, on relève trois entreprises opérant déjà en France. L’enfer, c’est l’étrangerA ce niveau ; les choses prennent une autre tournure. Ghannouchi n’est pas à la hauteur des promesses de violence et des menaces qu’il profère. Et si le chef de l’ARP entend se défendre auprès de ces milieux étrangers par le chantage. La stabilité de la Tunisie contre son immunité propre ? Comment qualifier donc cette manière de gérer la politique, du haut du perchoir de l’ARP tunisienne ? Ce qui donne plus de crédibilité à cette lecture, est que Ghannouchi a toujours été laconique sur les thèmes de la corruption, la contrebande et l’argent sale dans les élections. Rien que le repérage de cet argent coulant en flots à l’étranger, les perspectives de toute échéance électorale future sont déjà sérieusement compromises pour le parti islamiste Ennahdha. La série « noire » des démissions du parti rime plus et mieux avec les déclarations fermes et inconciliables du Président de la République Kais Saïed, lequel semble conditionner son appréciation de l’évolution politique du pays, entre autres, par le traitement de ces questions de délits et crimes économiques et financiers qui soutiennent la force fictive que le chef du parti Ennahdha n’arrête pas de ressasser à chaque opportunité.Il est difficile, après ces déclarations menaçantes, de ne pas conclure à un moment de solitude dans lequel le chef d’Ennahdha et de l’ARP se trouve embourbé. Sur tous les tableaux, à commencer par son propre parti, où il est de plus en plus contesté, mais pour des raisons et mobiles qui sont tout sauf célestes. Le cheikh semble pris dans le piège du renoncement qu’il chérissait le jour de son débarquement à l’aéroport de Tunis-Carthage en 2011. A l’ARP où de plus en plus de blocs parlementaires ont du fil à retordre avec sa manière de gérer les affaires de la députation. Dans sa relation avec la Présidence de la République en face de laquelle il accumule les gestes d’animosité, en particulier par ce genre de déclarations téméraires, voire irresponsables.A ce rythme-là, il n’est plus surprenant de se réveiller un jour sur une ARP sans tête, son président s’étant évaporé dans « l’open sky », ou bien évaporé par un mandat d’arrêt que le Président de la République, maître de la diplomatie, aura négocié à l’abri du populisme régnant, avec des ayant droits étrangers, loin de la populace gavée en 2011, 2014 et 2019, par des fonds qui n’étaient pas si halal que ça.Un épilogue auquel il faut penser dès maintenant. En dépolitisant la tête de l’ARP
.Jameleddine EL HAJJI