Le vétéran du Fateh devrait présenter sa candidature à la présidentielle prévue pour juillet 2021, depuis sa cellule de prison.
Par Stéphanie Khoury (revue de presse : L’Orient-Le Jour – 30/1/21)*
Il est en prison, mais populaire au point d’être devenu l’une des « icônes » de la lutte nationale palestinienne, certains n’hésitant plus à le comparer à Nelson Mandela. Pour les Israéliens, Marwan Barghouti n’est certes guère plus qu’une figure du terrorisme palestinien – arrêté, jugé et détenu pendant près de 20 ans pour son rôle dans des attaques meurtrières lors de la seconde intifada, au début des années 2000.
Mais qu’importe : même derrière les barreaux, peut-être même grâce à son statut de prisonnier politique, cet ancien proche de Yasser Arafat a poursuivi son activité politique et maintenu sa présence médiatique. Surtout, il a évité les dérives du reste du leadership palestinien, dont la légitimité s’est largement dégradée au fil des années, à mesure que grossissaient les accusations pour corruption, inaction et collaboration avec Israël. « Les Israéliens sont parvenus à arrêter mon corps, mais pas mon âme », déclare-t-il dans une interview donnée en 2008 depuis sa cellule à la chaîne indépendante Journeyman Pictures. Son aura lui vaut même une nomination, en 2016, pour le prix Nobel de la paix, qu’il n’obtiendra pas. Le cogagnant tunisien du prix en 2015, Fadhel Moussa, lui décernera néanmoins la récompense symboliquement lors d’une cérémonie à Tunis en présence de la femme du détenu, Fadwa Barghouti.
L’homme est revenu une nouvelle fois au-devant de la scène ces derniers jours, à la faveur d’informations circulant quant à sa possible candidature à l’élection présidentielle. La nouvelle arrive peu après l’annonce par décret, mi-janvier, de la tenue de scrutins législatifs et présidentiel en mai et juillet prochains – les premiers en 15 ans. La candidature du leader palestinien n’est certes pas encore confirmée – d’autant que les élections ont déjà été repoussées plusieurs fois par le passé. « Les élections sont encore loin, d’ici à juillet beaucoup de choses peuvent changer, mais il est certain qu’il n’est pas invraisemblable qu’il se présente », note Hamada Jaber, consultant au Palestinian Center for Policy and Survey Research. Selon les déclarations de la famille du détenu au média en ligne Middle East Eyes, une réunion prévue prochainement au Caire entre les différentes factions palestiniennes devrait éclaircir la situation. En attendant, l’homme serait en négociation avec le Fateh.
Ce ne serait pas la première fois que le militant participe à des élections tout en étant derrière les barreaux. En janvier 2006, il était le premier candidat à se présenter aux législatives depuis une prison israélienne, renouvelant son siège au sein du Conseil législatif palestinien. En 2004, suite au décès de Yasser Arafat, il se présente à la présidentielle, avant de retirer sa candidature. À partir de là, l’ombre de Marwan Barghouti plane sur la présidence, et la possibilité d’une candidature ressurgit à intervalle régulier. Une manière également « de faire pression sur les Israéliens en les poussant à le libérer » précise Hamada Jaber.
Double légitimité
Mais pour Mahmoud Abbas, le militant pose une menace sérieuse malgré sa détention. Car ce qui fait la force d’une possible candidature de Marwan Barghouti est surtout son ancrage populaire. Un sondage réalisé en décembre par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, basé à Ramallah, indique que Marwan Barghouti sortirait gagnant si sa candidature se confirmait, quels que soient ses rivaux dans la course à la présidentielle. Selon le sondage, 52 % de la population interrogée à Gaza et en Cisjordanie voit la candidature de Mahmoud Abbas à la présidentielle comme un mauvais choix pour le Fateh – 42 % lui préfèrent Marwan Barghouti ; 10 % Mohammad Dahlan, surtout populaire à Gaza ; et 7 % Mohammad Shtayeh, le Premier ministre actuel de l’Autorité palestinienne. Même dans l’éventualité d’une rivalité avec le candidat du Hamas, Ismaïl Haniyeh, Barghouti recevrait 61 % des votes, contre 37 % pour Haniyeh. Le clan Barghouti est également donné gagnant pour les législatives : 25 % des Palestiniens voteraient pour une liste indépendante formée par des proches de Barghouti, contre seulement 19 % pour la liste officielle du Fateh.
Pour comprendre ce qui lui vaut cette cote de popularité, et ce que représente Marwan Barghouti, il faut revenir quelques années en arrière. Barghouti est considéré comme l’un des ténors du Fateh, qu’il rejoint par le biais de la section jeune, alors qu’il est encore étudiant à l’université de Birzeit, et auquel il restera fidèle jusqu’à aujourd’hui malgré les dissensions et ruptures passagères. Mais contrairement au reste du leadership de l’AP, il n’est pas vu comme un collaborateur des autorités israéliennes. Plutôt l’inverse : « Je n’avais que 15 ans la première fois que j’ai été emprisonné. J’en avais à peine 18 lorsqu’un interrogateur israélien m’a forcé à écarter les jambes, nu dans la salle d’interrogation, pour me frapper sur les parties génitales », rappelle-t-il dans une tribune au New York Times publiée en avril 2017.
La suite est une longue série d’allers-retours entre exils forcés et « come-backs » politiques. Suite à son activité lors de la première intifada (1987-1993), il est arrêté et envoyé en Jordanie, d’où il ne reviendra qu’après la signature des accords d’Oslo, en 1994. En 1996, il est élu en tant que député lors des premières élections législatives palestiniennes. Jusqu’à sa dernière arrestation, à Ramallah en 2002, en raison de son activité durant la seconde intifada. Barghouti bénéficie donc d’une double légitimité, acquise dans les urnes mais également dans la rue.
Son capital sympathie est d’autant plus fort qu’il représente une figure perçue comme stable et intègre de la lutte à Israël. Une résistance au visage désormais pacifique, qui s’incarne aujourd’hui par ses appels à la grève de la faim, sa présence médiatique ou sa participation aux élections depuis sa cellule du nord de Tel-Aviv. « Les gens le soutiennent également par solidarité », remarque Hamada Jaber. « D’autant que les dirigeants palestiniens, qui eux ne sont pas en prison, ne réalisent aucun programme et ne représentent plus aucun idéal, ils ne font plus que répéter en boucle la solution à deux États », estime ce dernier.
L’insistance à refuser toute coopération avec Israël lui vaut également la sympathie du Hamas, envers qui il nourrit un discours conciliant. En prison, l’homme s’est également rapproché de certains membres du mouvement au pouvoir à Gaza depuis 2007, ce qui fait de Barghouti un personnage « en mesure de restaurer l’unité palestinienne entre le Hamas et le Fateh », observe Hamada Jaber.
Son statut de prisonnier oriente également sa position politique : en dénonçant le régime d’apartheid depuis une prison israélienne, notamment en plaidant pour une société égalitaire, il adopte un langage qui se démarque du paradigme dominant de la classe dirigeante. Or « les Palestiniens sont dans l’attente d’une telle proposition, d’une alternative à la solution à deux États », estime Hamada Jaber.
*Source : L’Orient-Le Jour