Photo : D. R. – Le maréchal Haftar et le nouveau président libyen Mohamed Younes El Menfi
Par Mourad Sellami (revue de presse : El Watan – 13/2/21)*
Retour du nouveau président Mohamed Younes El Menfi en Libye de la Grèce, sa terre d’accueil. Originaire de Tobrouk et représentant l’Est libyen, il est rentré à Benghazi. Quoi de plus naturel ! Mais, sa première rencontre fut avec Khalifa Haftar. Grandes interrogations !
La Libye retient son souffle en cette phase de transition, où chaque pas compte. Et il va de soi que les observateurs s’interrogeaient sur la réaction de l’Est libyen, après la défaite de Aguila Salah, le président du Parlement et candidat «présumé» du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est. Plusieurs ont avancé que le nouveau président libyen, Mohamed Younes El Menfi, aurait du mal à se réconcilier avec ses origines cyrénaïques. Mais la réalité a démontré le contraire.
Surprise
A la surprise générale, El Menfi rentre de son exil choisi en Grèce directement vers l’aéroport de Bnina, à Benghazi, où il est accueilli par Abderrazek Nadhouri, le représentant du commandant général. Il va directement à la base d’Errajma, quartier général de l’armée de l’Est, où il rencontre Khalifa Haftar. L’échange fut très cordial.
Le commandant général de l’Armée nationale libyenne (ANL) a exprimé au Président choisi par le dialogue national politique son adhésion aux choix des négociateurs libyens, notamment celui de tenir des élections le 24 décembre prochain.
C’est certes une réponse à ceux qui s’interrogeaient sur les chances d’El Menfi d’arriver à un compromis avec l’Est. Mais, c’est désormais une grande question concernant les dessous des ponts désormais établis entre Haftar et El Menfi. Certains crient déjà à la trahison d’El Menfi, censé être au service de la Tripolitaine, puisqu’il a battu le «méchant» Aguila Salah, l’homme de Haftar.
La liste d’El Menfi a été portée à la victoire par une coalition de tribus de l’Est, avec des Touareg du Sud, un clan de Mesrata et de Frères musulmans. Pour preuve, le président du Conseil de l’Etat, le frère musulman Khaled El Mechri, s’est retiré de la course et a soutenu la liste El Menfi/Dbeiba. Et tout le monde connaît les liens très tendus entre El Mechri et Haftar.
Pour interpréter cette situation surprise, le politologue Ezzeddine Aguil avance deux thèses : «Soit que Khalifa Haftar et Younes El Menfi entretiennent d’anciens liens d’origine tribale. Leurs tribus respectives étant alliées. Ces liens ont servi pour faire de l’Est un passage obligé, par ses origines, avant d’aller vers la capitale Tripoli, pour exercer le pouvoir», comme première hypothèse.
Alors que l’autre, c’est que «les puissances étrangères, amies de Haftar, ont imposé ce détour à El Menfi. On pense à la France, la Russie et l’Egypte, amies de Haftar et de la Grèce, d’où vient El Menfi.» La réponse est loin d’être évidente.
Et maintenant ?
Mohamed Younes El Menfi est donc sous la protection de l’Armée nationale libyenne dans l’Est libyen. Cela pose déjà problème avec l’Ouest libyen, puisque les groupes armés sont, traditionnellement, en conflit avec l’ANL. Bon, El Menfi est censé réconcilier les deux bords de la Libye. Mais, c’est l’objectif pour lequel ONU et communauté internationale travaillent depuis des années.
Donc, ce passage par Benghazi a déjà posé un problème d’allégeance et de sécurité pour le président du Conseil présidentiel, fraîchement débarqué. Mais pour aborder pareille mission, on est censé disposer de plusieurs ficelles, ne serait-ce les réseaux de son allié de Misrata, le chef du gouvernement nominé Abdelhamid Dbeiba.
Dbeiba a annoncé qu’il est déjà en train de faire les démarches nécessaires pour former son gouvernement. Il dispose de 21 jours pour nommer son équipe et avoir l’aval du Conseil de l’Etat, avant d’obtenir la confiance du Parlement de Tobrouk. Aguila Salah a déjà appelé à une rencontre de concertation pour préparer la réunion d’octroi de la confiance.
Si El Menfi est venu à Benghazi, cela encourage normalement les députés à aller à Tobrouk et briser la glace du conflit. Il est certes plus difficile de le faire que de le dire. Mais, c’est le passage incontournable de tous les Libyens s’ils veulent enterrer la hache de guerre.
*Source : El Watan (Algérie)