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15 novembre 2024

Vers une islamophobie d’État


Un collectif de citoyens strasbourgeois apporte son soutien à leur maire, Jeanne Barseghian, après les attaques des ministres Darmanin et Schiappa. En cause, la subvention accordée à une association turque en vue de la construction d’une mosquée. Sous le prétexte fallacieux de « lutte contre le séparatisme », « la dimension émancipatrice de la laïcité républicaine a été pervertie par une dérive ultra-laïciste qui a lieu en France depuis une trentaine d’années. »

Citoyens attachés aux valeurs humanistes et anti-racistes de la gauche, nous résidons à Strasbourg ou à proximité et nous tenons à affirmer notre soutien à la maire de cette ville, Jeanne Barseghian, et à son équipe municipale.

Les ministres Darmanin et Schiappa viennent en effet de lancer de virulentes attaques contre elle. Le motif invoqué est la subvention accordée par la Ville de Strasbourg à l’association turque Millî Görüş en vue de la construction d’une mosquée. Selon Marlène Schiappa, cette élue EELV « pactiserait » ainsi avec des « tenants d’un islam politique et radical ». Cet argument n’a aucune valeur : s’il était avéré que l’association en question représente un danger pour la République, le gouvernement aurait dû prendre les dispositions nécessaires pour qu’elle soit dissoute. Or, aucune mesure de ce genre n’a été envisagée. Au contraire, la préfecture du Bas-Rhin a autorisé en 2019 une composante de cette association à ouvrir une école élémentaire privée. Quelles que soient les réserves que peut inspirer Millî Görüş, et notamment sa proximité avec un régime autoritaire étranger, dans la mesure où l’on n’a pas affaire à un mouvement hostile à la République, un refus de subvention aurait une signification discriminatoire. Dans la lettre qu’elle a adressé à Emmanuel Macron, Jeanne Barseghian explique d’ailleurs que le versement de la subvention « est assorti de conditions strictes » : la « présentation d’un plan de financement robuste et transparent » et la « confirmation par le porteur de projet de son adhésion aux valeurs de la République ».

Il s’agit en effet d’un projet ancien, déjà acté par la précédente municipalité : en 2017, l’ancien maire Roland Ries avait posé la première pierre du chantier en compagnie du préfet sans que personne n’y trouve à redire. Comme la loi de séparation des Églises et de l’État ne s’applique pas en Alsace et en Moselle, la Ville de Strasbourg accorde de manière tout à fait légale des subventions aux institutions représentatives des différentes religions, qu’elles soient catholiques, protestantes, israélites, musulmanes ou bouddhistes. Elle a participé avec la Région et le département du Bas-Rhin au financement de la Grande Mosquée de Strasbourg, ce qui a permis de réduire de manière notable les financements provenant de pays étrangers. Que l’on soit opposé ou non au régime particulier de l’Alsace-Moselle, on doit admettre que le refus d’accorder dans ce cadre à un culte religieux ce que l’on accorde aux autres serait la manifestation d’une discrimination inacceptable.

Cette polémique politicienne contre la maire de Strasbourg vise une représentante de l’écologie sociale dont les candidat·e·s ont remporté plusieurs grandes villes lors des dernières élections municipales. De telles attaques sont symptomatiques de l’orientation islamophobe qui, sous le prétexte fallacieux de « lutte contre le séparatisme », caractérise de plus en plus le gouvernement actuel. Elles révèlent le vrai visage de cette « laïcité de combat » que prônent certains soutiens du gouvernement : cette pseudo-laïcité dévoyée consiste surtout à stigmatiser les musulmans. Il faut en effet reconnaître que la dimension émancipatrice de la laïcité républicaine a été pervertie par une dérive ultra-laïciste qui a lieu en France depuis une trentaine d’années.

Tout cela atteste de la position réactionnaire de ce gouvernement qui s’est déjà manifestée récemment dans les déclarations ridicules des ministres Blanquer et Vidal accusant les Universités d’être « gangrenées » par un ennemi imaginaire, le prétendu « islamo-gauchisme ». Une telle stratégie vise à disqualifier la gauche dans son ensemble et contribue à aggraver les tensions dans notre pays. En reprenant et en propageant ses thèmes de prédilection, elle favorise l’essor de l’extrême-droite. Elle prépare ainsi le terrain à l’instauration d’une islamophobie d’État.

Signataires: 

Anne-Véronique Auzet, professeure à la Faculté de Géographie de l’Université de Strasbourg
Véronique Bocquet, professeure de piano
Ragip Ege, professeur émérite à la Faculté de Sciences économiques de l’Université de Strasbourg
Georges Federmann, psychiatre
Franck Fischbach, professeur à la Faculté de Philosophie de l’Université de Strasbourg
Stefan Kristensen, professeur à la Faculté des Arts de l’Université de Strasbourg
Naïm Ksibi, chercheur
Mickaël Labbé, maître de conférences à la Faculté de Philosophie de l’Université de Strasbourg
Fleur Laronze, maître de conférences HDR en droit, Université de Haute Alsace
Josiane Olff-Nathan, chercheure retraitée, Université de Strasbourg
Jacob Rogozinski, professeur à la Faculté de Philosophie de l’Université de Strasbourg
Anja Vogel, journaliste

Source :  médiapart

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