Le Makhzen envoie les Marocains à la mort pour ses propres intérêts. D. R.
Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen
«Dès qu’un pays ou qu’une communauté de pays se permet de ne pas être en phase avec lui, le roi du Maroc passe aux représailles, un peu comme avec ses sujets», constate la secrétaire générale de l’Association française d’amitié et de solidarité avec les peuples d’Afrique (AFASPA). Interview.
Mohsen Abdelmoumen : Vous avez récemment lancé un appel au président Macron concernant la situation au Sahara Occidental. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs en quoi consiste cet appel ?
Michèle Decaster : Le président de l’AFASPA a lancé un appel au président de la République (française, ndlr) concernant le prisonnier politique Mohamed Lamin Hadi, membre du groupe de Gdeim Izik, alors en grève de la faim depuis 42 jours, sans qu’un dialogue sérieux ait été entrepris par les autorités marocaines pour répondre à ses demandes légitimes. Cet homme de 40 ans a passé le quart de sa vie en prison depuis 2010, dont trois ans à l’isolement à la prison de Tiflet, située à 1 165 kilomètres de Laâyoune, où réside sa famille au Sahara Occidental. J’ai assisté au procès du groupe devant le Tribunal militaire de Rabat en 2013 et au procès en appel devant un tribunal civil de Salé en 2017 où le même scénario de parodie de justice a pratiquement confirmé les condamnations allant de la prison à vie pour 9 militants sahraouis, et des peines de 30 ans à 20 ans pour ceux encore détenus. Ce jeune a reçu, contre son gré, une injection de vitamine à son 69e jour de jeûne ce qui a mis fin à sa grève de la faim, sans que ses demandes soient satisfaites.
Comment expliquez-vous le silence de la communauté internationale sur la situation au Sahara Occidental où les droits de l’Homme sont sans cesse bafoués par le Makhzen marocain ?
La communauté internationale est sensible aux manipulations et au chantage du Maroc. Le triste épisode de marchandage auquel on a assisté en décembre 2020 quand le président des Etats-Unis sortant a reconnu une souveraineté au colonisateur sur le Sahara Occidental contre la reprise de relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, répond à votre question. Plus récent, l’épisode du refroidissement des relations entre l’Allemagne et le Maroc qui reproche à cette dernière «des actes hostiles» et une «attitude négative» sur la question du Sahara Occidental et autre «complicité» à l’égard d’un ancien détenu politique, réfugié politique, accusé de terrorisme, ce qui a conduit le roi à rappeler son ambassadrice en Allemagne pour consultation au début du mois de mai. Dès qu’un pays ou qu’une communauté de pays se permet de ne pas être en phase avec lui, le roi du Maroc passe aux représailles, un peu comme avec ses «sujets» ! Ainsi, l’Espagne a «fait les frais» des décisions de la Cour européenne de justice qui a indiqué dans trois verdicts successifs relatifs aux accords commerciaux entre le Maroc et l’Europe que le Sahara occidental est un pays distinct du Maroc.
Le site Orient XXI indique qu’en 2020 «l’Espagne a vu affluer par la mer dans l’archipel des Canaries 23 023 immigrés clandestins. Un chiffre en hausse de 757% par rapport à 2019. Les Marocains y représentent une courte majorité. Ils sont partis, tout comme bon nombre de Subsahariens, des côtes du Sahara, un phénomène sans précédent». Frontex, l’agence européenne pour le contrôle des frontières, estime que 68% des migrants ont embarqué à Dakhla au Sahara Occidental occupé, une zone très contrôlée par les forces de police et l’armée marocaine, comme j’ai pu le constater en 2002 et 2013. Les choses risquent de ne pas s’arranger avec l’absence remarquée de l’Espagne à la conférence sur le plan d’autonomie au Sahara Occidental, sponsorisée par le ministère marocain des Affaires étrangères et le département d’Etat américain en janvier 2021 à laquelle aucun autre pays européen que la France n’a assisté.
Mais la communauté internationale, c’est aussi l’Union africaine que le Maroc a rejoint en demandant son adhésion en 2017, quand le roi espérait qu’avec ses largesses dans nombre de pays où il fait des affaires il recueillerait les moyens de faire exclure la République arabe sahraouie démocratique de cette assemblée.
Malgré les gesticulations du Maroc pour que la réunion du Conseil de paix et de sécurité n’ait pas lieu, celle-ci s’est tenue le 19 mars 2021 sous la présidence d’Uhuru Kenyatta, président du Kenya, séance boudée par le représentant du Maroc. Les décisions prises marquent le souci du Conseil de «permettre à l’UA de réactiver son rôle dans la recherche d’une solution politique à ce conflit de longue date». Le communiqué du CPS ne va pas dans le sens espéré par Mohamed VI quand il a sollicité le retour de son pays au sein de l’Union africaine.
Le CPS a demandé à ce que la troïka, composée des présidents d’Afrique du Sud, du Kenya et le Sénégal reprenne d’urgence son travail avec le Maroc et la RASD. Il a interpellé le Conseil de sécurité de l’ONU afin qu’il s’acquitte de son mandat, demandé au secrétaire général «d’accélérer la nomination d’un envoyé spécial pour le Sahara Occidental» qui sera invité «à travailler en étroite collaboration avec l’UA», d’obtenir du Conseil juridique de l’ONU un avis sur «l’ouverture de consulats dans le territoire non autonome du Sahara Occidental». Il a demandé aux parties au conflit de cesser immédiatement les hostilités afin de créer un climat propice aux négociations. La Commission de l’UA est priée «de prendre d’urgence les mesures pour la réouverture du Bureau de l’UA à Laâyoune, au Sahara Occidental, afin de permettre à l’UA de réactiver son rôle dans la recherche d’une solution politique». L’envoyé spécial de l’UA au Sahara Occidental est «encouragé à reprendre d’urgence son engagement auprès des parties au conflit, afin de soutenir les efforts menés par les Nations unies». On se souvient que le Maroc avait interdit à Joaquim Alberto Chissano, ancien président du Mozambique, de se rendre au Sahara Occidental.
Pourquoi, d’après vous, les médias ne parlent-ils pas de la souffrance du peuple sahraoui qui subit sans répit l’oppression du Makhzen marocain ?
Ils n’en parlent pas plus sur ce sujet important que sur les informations politiques comme celles que je viens d’évoquer à l’Union africaine. Le Sahara Occidental est, à ma connaissance, le seul pays au monde où un journaliste indépendant ne peut enquêter sans se faire immédiatement expulser. Les correspondants accrédités au Maroc viennent au Sahara Occidental encadrés par les services de communication à Laâyoune et Dakhla où le Maroc a installé des consulats fantoches qui n’ont d’activité que le nom. Depuis janvier 2014 nous sommes 283 personnes de 20 nationalités, venues de 4 continents, à avoir été expulsées ou empêchées d’entrer au Sahara Occidental par la puissance qui occupe ce territoire non autonome. Les agences de presse sont très prudentes et communiquent peu par peur de représailles. Et par choix, les médias qui font état d’informations sur des atteintes aux droits de l’Homme dans certains pays ignorent celles diffusées par des journalistes sahraouis en territoire occupé. Ces derniers qui ont fait leurs preuves sur le terrain subissent des représailles judiciaires et des saisies de leurs matériels professionnels à répétition.
Pourquoi la France continue-t-elle à soutenir le Maroc ?
La France a toujours été partie prenante de l’occupation coloniale dans cette région de l’Afrique, en intervenant militairement comme en février 1958 pour soutenir l’Espagne, puis en 1975 pour soutenir le Maroc et la Mauritanie. Nombre de dirigeants français ont des intérêts au Maroc, d’autres sont accueillis, comme Michel Rocard, qui a raconté avoir constitué son gouvernement au bord de la piscine de la Mamounia. La classe politique française est encore emprunte de l’idéologie colonialiste qui a également marqué les institutions. L’armée de métier n’a pas digéré ses défaites successives devant le peuple vietnamien puis le peuple algérien. Tous les présidents de la Ve République ont soutenu les revendications territoriales marocaines, ses exactions coloniales ou celles perpétrées sur son propre peuple.
Ne pensez-vous pas que le continent africain doit se libérer de la Françafrique ?
C’est une idée qui fait son chemin parmi les populations d’Afrique qui se rendent compte du manque de souveraineté de leur pays plusieurs décennies après l’indépendance et du rôle néfaste de la France à leur égard quant au choix des dirigeants de leurs pays, adoubés par l’ancienne puissance coloniale.
Les multinationales continuent à piller le continent africain alors que les peuples s’appauvrissent de plus en plus. A votre avis, les peuples ne devraient-ils pas se mobiliser pour sortir de cette domination impérialiste ?
Il est clair qu’aux entreprises des anciens colonisateurs sont venues s’ajouter celles des nouvelles puissances impérialistes : Canada, Chine, Etats-Unis, Turquie, Brésil, Arabie Saoudite, particulièrement agressives dans le domaine de l’extraction des métaux précieux des terres rares et de l’accaparement de terres pour la production d’huile de palme et autres produits de l’agrobusiness. Les échanges sont rarement d’intérêts réciproques, les matières premières n’étant pas payées au juste prix.
D’après vous, la France est-elle vraiment guérie de son passé colonial ?
Les faits prouvent que non. Et les derniers épisodes tant au Burkina Faso avec le sauvetage du dictateur Blaise Compaoré et la bénédiction donnée à la succession familiale d’Idriss Deby en sont l’illustration, à laquelle il faut ajouter le dramatique exemple de ce qui se révèle de plus en plus sur le rôle de la France dans son soutien aux génocidaires du Rwanda.
Ne pensez-vous pas qu’un front mondial anticolonialiste et anti-impérialiste est plus que nécessaire ?
Tous les peuples en ont besoin, y compris ceux des puissances impérialistes. Les logiques qui président à l’économie libérale aboutissent à une accumulation de richesses inouïes pour les privilégiés, d’un côté, et à l’appauvrissement de la grande masse de la population, de l’autre. La planète souffre également de cette économie à courte vue qui pille le bien commun de ses ressources et tourne le dos à un codéveloppement raisonnable au profit de tous.
Quelle est votre opinion à propos de la situation catastrophique qui prévaut en Libye ? Ne croyez-vous pas que Sarkozy doit rendre des comptes à la justice sur son intervention criminelle en Libye ?
Ce qui se passe en Libye et dans les pays du Sahel était tout à fait prévisible après l’agression qui ne visait qu’à éliminer un chef d’Etat gênant pour les visées impérialistes sur l’Afrique. Le mauvais scénario qui a prévalu à l’intervention militaire de 2011 était illustré de mensonges. Ses auteurs, le duo Sarkozy/Cameron et leur scribe BHL, ont reçu l’approbation d’Obama, la décision du Conseil de sécurité de l’ONU de lancer les armées était assurée, d’autant que La Ligue arabe était partie prenante de l’affaire. Les opinions publiques internationales ont été bien préparées pour accepter une coalition d’opérations militaires aux noms de codes séducteurs : Harmattan pour la France, Ellamy pour le Royaune-Uni, Odyssey Dawn pour les Etats-Unis, Mobile pour le Canada, Unified Protector pour l’OTAN. Qui peut croire que la sécurité des habitants de Benghazi était l’objet d’une telle armada ? Si Sarkozy a joué un rôle moteur dans cette tragédie pour la Libye et le Sahel, les complices devront aussi rendre des comptes aux Africains.
A votre avis, comment peut-on combattre efficacement le néocolonialisme ? N’est-il pas dans l’intérêt des peuples de la planète de se débarrasser des calamités telles que le capitalisme, l’impérialisme et le néocolonialisme qui détruisent tout sur leur passage ?
Il me semble que la prise de conscience des peuples sur les dangers du néocolonialisme ne peut être dissociée de la même prise de conscience devant les dégâts de l’économie libérale sur le vivant. La course aux profits effrénée nous conduit dans le mur. On ne peut dissocier la lutte pour la préservation de l’environnement, la lutte pour les droits des femmes, la lutte contre les inégalités scandaleuses face à l’accès aux soins du contexte global que vous avez justement nommé : capitalisme, impérialisme et néocolonialisme.
Pouvez-vous nous parler de votre association et de ses actions ?
L’Association française d’amitié et de solidarité avec les peuples d’Afrique (AFASPA) est une organisation anticolonialiste et anti-impérialiste qui informe en France sur les réalités historiques et contemporaines de l’Afrique, politiques, sociales et culturelles. Nous participons à divers collectifs de solidarité en France et à l’international, nous menons et participons à des campagnes pour dénoncer des atteintes aux droits de l’Homme et des peuples, le pillage des ressources naturelles du sous-sol et des océans, les accaparements de terres et l’agrobusiness qui met en cause l’agriculture vivrière. Nous soutenons les luttes d’émancipation des peuples d’Afrique pour leur souveraineté, des accords économiques d’intérêts réciproques, la fin de l’ingérence des puissances économiques qui interfèrent dans la libre détermination des peuples à choisir leurs dirigeants, contre les interventions militaires et la présence de troupes étrangères en Afrique et pour l’amitié entre les peuples et préserver la paix.
M. A.
Source : Algérie Résistance
https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/…