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18 novembre 2024

Le Qatar finance les groupes terroristes en Libye et au Sahel


Au lendemain de la chute de Mouammar Kadhafi en octobre 2011 en Libye, le Qatar a été soupçonné de financer les groupes terroristes islamistes au Sahel, sans preuves. Dans un nouveau volet de notre enquête sur l’argent noir de l’émirat, un courrier officiel – et explosif – prouve le double jeu de Doha et son soutien à ceux que la France combat depuis dix ans, entre Mali et Niger.

En matière de relations internationales, tout diplomate l’apprend vite, parfois à ses dépens : il faut autant se garder de ses amis que de ses ennemis. Mais au royaume de la realpolitik, on fait difficilement pire que ce que nous révélons aujourd’hui, document à l’appui.

La pièce manquante

Après les premiers volets consacrés à plusieurs personnalités françaises (les liens, au bas de cet article), nous poursuivons notre enquête sur les réseaux d’influence qataris. Toujours par le même canal, on nous a remis un document qui établit les liens troubles que le Qatar entretient avec la mouvance Al Qaeda au Sahel. Ce document, un courrier officiel de Doha, a circulé au plus haut niveau du pouvoir de l’émirat. Selon notre enquête et d’après nos recoupements, il est la pièce manquante d’un puzzle qui pointait du doigt le Qatar et ses pétrodollars, soupçonné d’être l’argentier du terrorisme islamiste en Afrique du Nord.

Document Blast : une lettre du ministre des Finances à la directrice de cabinet de l’émir. Son contenu est explosif..

Un printemps, comme une traînée de poudre

En ce début d’année 2011, alors que les grandes capitales occidentales n’ont rien vu venir, la carte géopolitique de l’Afrique du nord est sur le point d’être profondément chamboulée. Le Printemps arabe, parti de Tunisie fin 2010, va bientôt se propager à l’Égypte, puis à la Libye, déstabilisant durablement tous les pays du Sahel, désarmés face aux exactions des bandes de terroristes islamistes qui ont profité de la chute de Kadhafi pour se renforcer, gonfler leurs rangs et doper leur capacité de nuisance.

 

En France, une semaine avant la chute brutale du vieux président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali (lâché le 14 janvier 2011 par son peuple et son armée), un tout autre évènement fait la une des médias. Cette tragédie se joue à 3 500 kilomètres de Paris, à Niamey, capitale du Niger. Dans la soirée du 7 janvier 2011, six jihadistes d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (Aqmi) font irruption dans un restaurant et foncent sur deux jeunes Français, Antoine de Léocour et Vincent Deloroy. Le lendemain, avec ses deux otages, le groupe franchit au matin la frontière avec le Mali. Il est rejoint et renforcé par un deuxième commando.

Dans la matinée toujours, le convoi est repéré et pris en chasse par les forces aériennes françaises, placées en alerte dès que la prise d’otages a été connue. L’affrontement est inévitable, et le sang va couler : les terroristes islamistes assassinent les deux otages, avant d’être abattus pour la plupart par les militaires français.

La cote d’alerte

Cette réaction au bilan aussi brutal que définitif trahit l’extrême tension qui règne dans la région. A l’époque, au moment de l’attaque de Niamey, Paris tient depuis plusieurs mois une comptabilité angoissante : cinq de ses ressortissants sont détenus par Aqmi, lointain héritier du GIA algérien. En septembre 2010, ces salariés d’Areva ont été enlevés à Arlit, au Niger encore, où le groupe français exploite une immense mine d’uranium. Avec également deux autres salariés, l’un Togolais, l’autre Malgache. Cette fois, c’est en trop. Pas question de laisser le groupe terroriste, qui a déjà assassiné en 2010 l’otage Michel Germaneau, capturer d’autres concitoyens français.

Les milliardaires Qataris, le vent en poupe

Sur un autre terrain diplomatique, en revanche, tous les signaux sont au vert. En ce début d’année 2011 toujours, les relations entre la France et le Qatar sont au beau fixe. Entre amis, la lune de miel s’affiche publiquement. Quelques jours après un déjeuner à l’Élysée avec Michel Platini et Nicolas Sarkozy, l’émir Cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani a enlevé la coupe du monde de football 2022, le 2 décembre 2010, au nez et à la barbe des États-Unis, qui postulaient à son organisation. La sensation est énorme, à la hauteur de la surprise, générale. Pour le petit État du Golfe, c’est une immense victoire.

Cadeaux d’amis

Ce n’est pas tout. Les milliardaires Qataris, le vent en poupe, ont de quoi être satisfaits des relations avec leurs alliés français. Ils ont obtenu la défiscalisation de leurs faramineux investissements immobiliers en France. Un cadeau de plusieurs centaines de millions d’euros.

Sur le terrain sportif, où influence et business vont de pair, ils avancent aussi leurs pions. Le PSG va bientôt tomber entre leurs mains – l’affaire est conclue en mai 2011, avec le rachat à Colony Capital du club par le fond souverain QSI (Qatar Investment Authority) -, des rêves de conquêtes européennes plein la tête. Dans la foulée, la création de la chaîne à capitaux qataris BeIn Sports offre une bouée de sauvetage inespérée au football hexagonal, distancié par les grands championnats voisins dont les budgets explosent. La Ligue nationale de football (LNF) saura en tirer le meilleur parti, faisant flamber les droits d’une Ligue 1 ronronnante.

Difficile d’imaginer ce qui se trame dans le dos des Français

Qui peut penser alors que le Qatar n’est pas un allié fidèle de la France ? Un allié avec qui la relation de confiance est telle que Paris lui ouvre les portes de ses banlieues. En retour, Doha s’engage à puiser dans sa cassette sans fond pour financer les projets d’entrepreneurs en herbe issus de ces quartiers défavorisés.

Un courrier à l’encre rouge

Et pourtant… Au Sahel, il en va tout autrement. Les poulains que le Qatar y parrainent sont d’un autre genre. Sur place, depuis les années 1980, l’émirat se livre à une course de vitesse avec l’Arabie Saoudite pour soutenir l’islamisation des pays d’Afrique du nord. En ce début d’année 2011, une nouvelle étape est franchie : comme le révèle le document que nous publions, Doha a décidé de financer directement les groupes terroristes islamistes présents sur zone, de la Mauritanie jusqu’au Tchad.

Retour au 9 janvier 2011. Le lendemain de l’enlèvement et de l’assassinat de nos deux compatriotes, Youssef Hussein Kamal, le ministre de l’Economie et des Finances du Qatar, envoie un courrier « confidentiel et urgent » à la Cheikha Hind bint Hamad Al-Thani, l’une des filles de l’émir – pas n’importe laquelle puisqu’elle est aussi sa directrice de cabinet (voir également notre encadré, en fin d’article). Objet de la lettre ? Tenir son altesse de père au courant des suites données à des instructions reçues cinq jours plus tôt.

Le courrier du ministre de l’Economie et des Finances du Qatar, que Blast a fait traduire

 

Ces ordres, le ministre les rappelle lui-même dans son courrier : l’émir lui a demandé de verser 15 millions de dollars « aux mouvements de l’opposition islamique dans le nord du Mali et dans les régions du Sahel et du Sahara ». Il s’est exécuté, puisqu’il informe la Cheikha qu’« une aide de 15 000 000 de dollars américains en espèces a été délivrée au Département de sûreté de l’État, représenté par Monsieur Abdullah bin Hamad Al-Naimi. » A charge pour ce dernier, membre de la Lekhwiya (la sécurité intérieure, comme le précise son profil LinkedIn) de répartir cette aide aux groupes terroristes ! Elle est d’ailleurs qualifiée d’«humanitaire » (sic), ce qui laisse voir le sens particulier des mots et des symboles de Doha au lendemain de l’assassinat des deux otages français…

Les infos du Canard

Le document que Blast s’est procuré confirme les informations publiées le 6 juin 2012 par le Canard Enchaîné : dans une enquête intitulée « Notre ami du Qatar finance le terrorisme au Mali », le très informé Claude Angeli, rédacteur en chef de l’hebdomadaire satirique, indiquait que le renseignement militaire français avait alerté le gouvernement sur le double jeu et les agissements de l’émirat au Sahel. « Je n’ai pas eu de démenti, ni du Qatar ni des autorités françaises », se souvient notre confrère, sollicité une décennie plus tard.

En 2013, dans les médias français, le maire de Gao au Mali avait aussi dénoncé publiquement ce soutien aux groupes jihadistes.

L’enquête du Canard avait notamment posé des noms sur les bénéficiaires des largesses financières de l’émir. Identifiant plusieurs de ces groupes dopés aux pétrodollars qataris : les insurgés Touaregs du MNLA, ainsi que les groupes terroristes jihadistes Ansar Dine, Aqmi et Mujao. Les… mêmes qui ont ensuite tenté de prendre le contrôle du Mali, obligeant la France à lancer en 2013 les opérations Serval, puis Barkhane ! Des opérations dans lesquelles notre pays est aujourd’hui toujours engagé, dans ce qui ressemble à l’échelle française à un petit Vietnam – en référence à la façon dont les États-Unis se sont embourbés en Asie du Sud-Est, avant d’abandonner tout espoir de réussite militaire, et quitter les rivages de la mer de Chine sur la pointe des pieds.

Le prix du sang

Engluée depuis une quasi-décennie dans les sables du Sahel pour essayer de contenir la poussée jihadiste, la France a dépensé près d’un milliard d’euros par an, pour ses opérations. Cinquante militaires sont déjà morts sur le terrain. Et les pays du Sahel sont quotidiennement confrontés aux massacres perpétrés par les terroristes islamistes.

A Paris, sur une stèle édifiée parc André Citroën, une plaque de marbre égrene les noms des soldats français tombés au Mali. Bernard Nicolas (C)

Devant les exactions commises par les jihadistes financés par le Qatar au Sahel, la France a-t-elle changé d’attitude vis-à-vis de l’émirat, à qui elle a déroulé le tapis rouge sur son propre sol ? Après Nicolas Sarkozy, puis François Hollande, il faudra attendre décembre 2017 pour voir le président Emmanuel Macron demander à l’émir du Qatar de mettre fin au financement des groupes terroristes islamistes. Une demande très courtoise, adressée du bout des lèvres (1) au cours d’un voyage officiel à Doha. « Je n’accuse personne, mais je veux une méthode professionnelle et simple », avait lancé le visiteur, dans une formule toute macronienne. En réponse, face à cette démonstration de fermeté, son hôte avait poliment assuré que son pays menait évidemment la lutte contre le financement du terrorisme – ce fléau qui frappe aussi les pays musulmans.

Tout à son « en même temps », le chef de l’État français prétendait sans rire marquer une ligne jaune infranchissable (celle du soutien au terrorisme) en… tendant la main. Il est vrai que les nombreux contrats d’armement qu’il était venu passer avec le Qatar (dont la France est le premier fournisseur) ne toléraient aucune brouille diplomatique. Face aux montagnes d’argent de ce très cher ami, le sang des militaires français et des populations locales est visiblement peu de chose.

(1). Cette intervention d’Emmanuel Macron a été encouragée par une sortie de son homologue américain Donald Trump, quelques mois plus tôt : en juin 2017, le locataire de la Maison Blanche avait tapé du poing sur la table, désignant le Qatar comme un État « financier du terrorisme ».

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Une femme d’influence

 

Loin d’être un exécutant ou un second rôle, la destinataire directe du courrier de 2011 dont nous révélons l’existence, la Cheikha Hind bint Hamad Al-Thani, est un personnage central dans le fonctionnement et la gouvernance du régime. La fille de l’émir d’alors, sœur de l’actuel souverain (Cheick Tamim bin Hamad Al-Thani), est devenue en 2016 directrice générale de la Qatar foundation. Instrument d’influence de son pays, cette organisation milite officiellement pour une société du savoir. Elle a ainsi passé un partenariat avec HEC pour implanter une antenne de l’école française à Doha.

Pourtant, la même fondation a été mise en cause pour ses… liens avec le terrorisme. Au point d’essuyer un affront cinglant sur un terrain, le football, également très prisé des qataris dans leur stratégie d’influence et de conquête diplomatique.

En 2010, la Qatar foundation avait signé un contrat avec le prestigieux FC Barcelone, alignant pour l’occasion 150 millions d’euros. Mais ses liens troubles entretenus avec le terrorisme avaient poussé le président du club de foot catalan, sous pression, à dénoncer cet encombrant sponsoring. Au moment où la Cheikha Hind, qui en est aussi aujourd’hui la vice-présidente, en était devenue la figure de proue.

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