Comment la propagande israélienne s’insinue dans votre divertissement quotidien sur Netflix : La déshumanisation et la désinformation de Fauda
18 octobre 2021
Publié par Gilles Munier sur 14 Octobre 2021, 07:17am
Catégories : #Palestine, #Gaza
Par Raghad Zughayer (revue de presse : ISM – 6/10/21)*
04.10.2021 – Avec d’autres médias, le cinéma israélien a toujours été utilisé comme une arme contre les Palestiniens et leur lutte sous l’occupation israélienne depuis des décennies. L’histoire du cinéma israélien prouve de manière éclatante que le récit tend à éclipser cette lutte en cherchant à humaniser les Israéliens et à présenter le colonialisme de peuplement comme un « conflit israélo-arabe ».
La plupart du temps, les Palestiniens n’ont même pas la possibilité de s’exprimer pour présenter leur version de l’histoire, car non seulement les Israéliens dominent la distribution et le récit, mais ils parviennent également à convaincre un large public qu’ils sont capables de présenter une image soi-disant objective du « conflit », notamment dans le cas de Fauda, comme un « conflit israélo-arabe ».
Ce constat ne signifie pas qu’il est devenu normal pour les acteurs et actrices palestiniens de participer à une émission télévisée de propagande israélienne, mais il souligne à quel point il est absurde pour les Israéliens de proclamer qu’ils peuvent être suffisamment honnêtes pour produire un récit impartial concernant le « conflit » alors qu’ils commencent par essayer de dissimuler l’existence du colonialisme de peuplement.
Considérée comme un « récit objectif », la série israélienne Fauda a récemment connu un succès international sur Netflix après trois saisons intégrales à repaître le public de désinformation sur la cause et la lutte palestiniennes.
Fauda est une série télévisée israélienne qui raconte différentes histoires de « Mista’arvim », une unité d’infiltration des forces spéciales Israéliennes, qui se consacre à la lutte contre « l’extrémisme palestinien », tel qu’il apparaît aux téléspectateurs.
L’utilisation de leurs vies personnelles, d’événements traumatiques et de leur héroïsme est la méthode indirecte que Fauda utilise pour humaniser une force extrèmement violente et ses agressions aux yeux du public international.
Le subconscient à l’écran
Lior Raz, co-créateur de Fauda et protagoniste de la série, dans l’une de ses récentes interviews dans un talk-show américain, est apparu comme en costume civil, pour révéler qu’il s’est appuyé sur son expérience dans les forces spéciales, l’unité d’infiltration, pour produire son travail, sauf que dans l’unité, il a dû « se battre pour sa vie ».
Cette interview a eu lieu après l’annonce de sa participation à une nouvelle série israélienne intitulée Hit & Run, qui a récemment fait son apparition sur Netflix pour humaniser à nouveau les Israéliens. Il y a peu de temps, cet homme qui a servi dans une force spéciale de l’armée, a publié sur son compte Instagram, lors du dernier soulèvement, un message demandant l’arrêt de la « violence », s’adressant aux deux camps en anglais, en arabe et en hébreu.
Alors qu’il est tout à fait ambivalent de demander aux personnes que vous avez nourries de discours de haine contre les Palestiniens d’arrêter la violence une fois pour toutes, ce genre de contradiction dans le subconscient de Raz est l’incarnation précise d’un « sioniste libéral » ou d’un « sioniste de gauche » qui prétend souhaiter la coexistence mais qui est toujours un extrémiste se cachant derrière une apparence civile pour que le monde voit ses « principes moraux » contre la violence, tout en essayant de cacher sa haine et son arrogance en tant que colon.
Le co-créateur, qui présente un combattant de la liberté palestinien comme un « terroriste » dans son récit, montre la haine qu’il a intériorisée en tant que colon et aide à comprendre que c’est ainsi que l’« État d’Israël » a été édifié, au début.
Par conséquent, le sioniste moyen continue indéniablement à promouvoir le même discours de haine et à justifier l’agression israélienne et même le colonialisme de peuplement, ce qui réduit à néant l’idée que son récit est en quelque sorte impartial ou rend justice aux Palestiniens.
Un cinéma sioniste « modéré »
Le discours de haine raciste de Fauda repose entièrement sur la désinformation, ainsi que sur l’arrogance et la supériorité coloniales habituelles. La première saison place la mista’arvim dans une confrontation avec l’un des combattants les plus « radicaux » du Hamas, la Panthère. Au cours de cette saison, on découvre une fois de plus l’arrogance et la fierté des Israéliens, qui pensent que leur système de sécurité ne peut jamais être vaincu, même s’il a ses faiblesses.
Les notions contradictoires que Fauda présente sur la fierté d’un soldat israélien infiltré et le sentiment d’auto-victimisation fonctionnent ensemble pour faire d’une pierre deux coups, c’est-à-dire qu’elles aident à dépeindre que l’« État d’Israël » est invincible puisque sa boussole est pointée là où elle doit l’être : combattre le terrorisme, mais elles ont aussi d’autres niveaux de lecture, car elles humanisent les personnages israéliens aux yeux du public, qui peut voir ces soldats venus d’un État civilisé pour défendre leur pays contre la terreur et les menaces qui les encerclent.
Quel genre d’image Fauda renvoie-t-elle des Palestiniens ?
Les trois saisons représentent le côté palestinien comme un réseau de terrorisme, mais l’imagination des créateurs va loin dans la saison 2 lorsqu’ils ajoutent Daesh au tableau. L’un des combattants palestiniens de cette saison, selon les scénaristes, n’est plus satisfait de combattre pour le Hamas et veut aller plus loin dans l’extrémisme.
Sans oublier les nombreuses scènes dans lesquelles le mouvement de résistance palestinien est associé à Al-Qaida pour que Fauda réussisse à diaboliser la lutte armée, les Palestiniens et la violence inhérente à l’identité nationale palestinienne.
Fauda prend également clairement position contre l’« extrémisme » palestinien, alors que les Palestiniens de Fauda ne semblent pas avoir de véritable ennemi au départ, ce qui est mis en lumière dans la saison 3 lorsque le public voit un message Facebook d’un Palestinien « suicidaire » en guise d’adieu avant sa tentative de poignarder un Israélien, alors que ce jeune Palestinien utilise des verbes au passif pour décrire la misère palestinienne.
Ainsi, Fauda s’efforce explicitement de disculper « Israël » et d’accuser les Palestiniens de leur « extrémisme ». Une fois que le mal est fait, et que les Palestiniens sont déshumanisés aux yeux des internationaux, les téléspectateurs ont une idée de « l’État d’Israël », de ses valeurs et de sa morale plantée dans la tête.
Aucune place n’est accordée à la sympathie pour le côté palestinien, tandis que toute forme d’auto-victimisation israélienne est immédiatement niée. Mais encore une fois, à quel point faut-il être inconscient pour s’attendre à un récit israélien impartial ?
La base irréaliste
La désinformation que Fauda déverse sur ses téléspectateurs ne s’arrête pas à la diabolisation de la société palestinienne. L’aspect géopolitique de la série est suffisamment trompeur pour dessiner une carte différente et de nouvelles frontières en fonction de ce récit. Elle ne se contente pas de cacher l’existence des colonies illégales, elle se concentre également sur l’idée que la Palestine et « Israël » sont deux États voisins qui se battent dans le seul but d’assurer leur sécurité nationale.
Fauda utilise cette nouvelle représentation trompeuse pour saisir toutes les occasions possibles pour exonérer « l’État d’Israël » de sa responsabilité dans les circonstances inhumaines qui prévalent dans les territoires palestiniens occupés, en particulier à Gaza. Alors que les mista’arvim se préparent à une nouvelle mission sur le terrain dans la bande de Gaza assiégée dans la saison 3, il n’est pas question du siège paralysant ni des checkpoints qui existent : tous semblent être contrôlés par le Hamas, le plus grand cauchemar israélien. Quant au contexte historique, Fauda entend laisser ses téléspectateurs dans le brouillard puisque le seul ennemi des Israéliens dans la série est l’« extrémisme » palestinien.
La question sérieuse qui a été négligée est « Quelle est l’histoire ? », surtout que Fauda laisse les gens en suspens pendant une saison entière. L’arrière-plan du « conflit » est abordé lors d’une vague discussion dans la saison 2, lorsque le terroriste de Daesh rend visite à une Palestinienne qui lui raconte qu’avant le déclenchement de la première Intifada, les Palestiniens et les Israéliens vivaient paisiblement et se rendaient même visite.
C’est dire à quel point il est idiot de prétendre qu’une série comme Fauda ne fournit pas un contexte honnête à ses téléspectateurs, un point de vue objectif. Surtout que ce qui est mentionné dans cet article n’est qu’une parcelle de la désinformation que Fauda utilise délibérément pour insulter l’intelligence de ses téléspectateurs.
Qu’est-ce que Fauda, en particulier, et le cinéma israélien contemporain tentent d’accomplir à travers leur propagande ?
Dans sa critique de la littérature sioniste, Ghassan Kanafani a expliqué comment la lutte juive a été politisée au profit du projet sioniste et comment elle s’est employée à convaincre les juifs qu’ils devaient contourner un tel projet colonial pour mettre fin à leur lutte.
Ce sentiment d’auto-victimisation a commencé là et est toujours utilisé par le même projet colonial pour justifier ses atrocités. Comme l’a écrit Ella Shohat dans son livre Israëli Cinema « le sionisme a inventé, pour ainsi dire, la nation israélienne en partie par le biais de son récit littéraire et cinématographique », mais le cinéma israélien contemporain n’est plus en mesure de convaincre le monde que « Israël » a le droit d’exister après avoir politisé le judaïsme, mais il est actuellement dans une position où il doit continuellement se blanchir et convaincre le monde de sa moralité.
En humanisant l’ennemi israélien et le criminel de guerre, le cinéma israélien a bien servi l’État colonial expansionniste d’« Israël ». Les ramifications de la ré-humanisation des colons israéliens au détriment de la lutte palestinienne ont été récompensées après des années passées à convaincre le monde, y compris les Arabes, que les Israéliens ne sont que des êtres humains qui se battent pour leur droit à l’existence.
La récente vague de normalisation dans le monde arabe a révélé une minorité d’Arabes qui ont intériorisé ce type de propagande, car ils ne considèrent plus « Israël » comme un ennemi ou une menace, en partie grâce à ce type de ré-humanisation. Enfant gâté et élève du colonialisme européen, « Israël » s’est vu offrir sur un plateau d’argent des années d’orientalisme et de stéréotypes préjudiciables pour assurer sa place dans les médias occidentaux et sur des plateformes comme Netflix afin de rayer la cause palestinienne de la carte.
Si la propagande israélienne a peut-être réussi à laver le cerveau de certains internationaux et à enflammer certains Arabes, les efforts désespérés d’Israël restent vains car ils n’ont jamais réussi à effacer la mémoire collective de générations de Palestiniens qui savent qu’ils ne peuvent se lier d’amitié avec le colonisateur israélien ni l’humaniser.
Le véritable échec de la propagande cinématographique israélienne ne peut pas passer inaperçu car elle n’a jamais réussi à fasciner les Palestiniens ou à les empêcher de résister à un projet colonial aussi funeste.
Raghad Zughayer, écrivaine palestinienne, vit à Jérusalem.
*Source : ISM
Version originale : Al Mayadeen
Traduction : MR pour ISM
Sur le même sujet, lire aussi :
Netflix : Le démontage de « Fauda » par le CICR touche un point sensible
Etonnant : le Mossad cherche à recruter via Netflix, Hulu et Apple TV