Des Palestiniens participent à une manifestation à Gaza, le 10 novembre 2021,
contre la décision israélienne de déclarer « organisations terroristes » six groupes palestiniens
de défense des droits humains. (Photo: Mahmoud Nasser/APA Images)

Par Shahd Qaddoura

 

Je travaille pour l’un des groupes palestiniens de défense des droits humains récemment déclarés « organisations terroristes » par Israël. Des amis ne cessent de me demander ce que cela fait d’être membre d’une « organisation terroriste ». Je réponds toujours : il semble que nous faisons quelque chose de bien.

Je travaille pour l’une des principales organisations palestiniennes de défense des droits humains, Al-Haq, qui a récemment été déclarée « organisation terroriste » par le régime israélien, ainsi que cinq organisations de premier plan de la société civile en Palestine. Amis et connaissances ne cessent de me demander ce que cela fait d’être membre d’une « organisation terroriste ». Je réponds toujours en disant : il semble que nous faisons quelque chose de bien.

Le 7 novembre 2021, le commandant militaire israélien en Cisjordanie a ratifié une ordonnance militaire qui ajoute six importantes organisations palestiniennes de la société civile, Al-Haq, Addameer for Prisoner Support and Human Rights, Defense for Children International- Palestine (DCI-P), le Bisan Center, l’Union of Palestinian Women’s Committees, et l’Union of Agricultural Work Committees, à la liste des organisations interdites dans les Régulations (d’urgence) de la Défense de l’ancien mandat britannique de 1945. Cette décision a été précédée par la désignation par Israël de ces six mêmes organisations comme « organisations terroristes » deux semaines plus tôt, en se référant à la « Loi (intérieure) pour combattre le terrorisme » de 2016, une des lois du régime délibérément vague, discriminatoire et répressive. Avec l’émission de cette ordonnance militaire éhontée et arbitraire, les bureaux des organisations sont menacés, de manière effective et imminente, d’être pris d’assaut et fermés par les forces occupantes israéliennes, les membres de leur personnel courent le danger d’être mis en détention et leurs avoirs sont en péril, paralysant le travail critique des six organisations.

Pourquoi est-il permis que cela se produise ? Parce que la communauté internationale fait beaucoup de choses mal.

Dangereux, et pourtant sans surprise

Alors que cette désignation et l’ordonnance militaire impliquent de dangereuses conséquences, cette attaque n’est pas surprenante. En fait, c’est ce que vous attendriez d’un régime colonial d’occupation et d’apartheid.

Cette dernière escalade ne devrait pas être envisagée dans le vide. Elle représente la suite de décennies de dénigrements et de campagnes de délégitimation ciblant les organisations de la société civile palestinienne et les défenseurs des droits humains, orchestrés par les autorités israéliennes occupantes et activement soutenus par leurs organisations affiliées notoires, dont l’ONG Monitor. Israël a, depuis sa fondation, visé à dominer et à contrôler la population palestinienne autochtone, ce qui est intrinsèque à son régime colonial d’occupation et d’apartheid. Ses politiques et ses pratiques répandues et systématiques d’assassinats hors-la-loi, de punitions collectives, de raids militaires, de détentions arbitraires, de torture et autres mauvais traitements, et de surveillance 24h sur 24, 7 jours sur 7, parmi beaucoup d’autres choses, en sont des preuves.

Ceci, plus que n’importe quoi, montre que toute forme de résistance des Palestiniens à leur oppression est interdite par Israël. Même quand ils utilisent le droit international, qui est lui-même lié aussi de manière inhérente aux héritages coloniaux, les Palestiniens sont étiquetés « terroristes ». Les Palestiniens savent que le colonisateur trouvera toujours une manière d’opprimer et de contourner les manifestations contre ses actions hideuses. Ce que les sionistes devraient comprendre, c’est que le colonisé, inébranlable et résistant, ne se reposera pas avant d’obtenir la libération et la justice.

Exprimer des « inquiétudes » et ne rien faire

Beaucoup de choses ont été dites depuis l’annonce de la désignation, pourtant bien peu a été fait. Nous sommes habitués à ce que la communauté internationale exprime ses inquiétudes, mais aussi, de manière frustrante, échoue à contextualiser les causes profondes de la lutte palestinienne et à prendre des actions concrètes, ce qui sape les possibilités de justice.

Mon espoir et ma confiance reposent sur les peuples du monde, plutôt que sur leurs gouvernements. Appelez les choses par leur nom. Occupez-vous de la réalité vécue des Palestiniens sous apartheid israélien. Reconnaissez que l’apartheid israélien est un outil pour maintenir sa domination coloniale sur le peuple palestinien. Réclamez la fin du statu quo.

« Business as usual »

Avec la culture de l’impunité dont il jouit illégalement, Israël continue son « business as usual ».

Depuis l’annonce de la désignation et l’émission de l’ordonnance militaire, les forces d’occupation d’Israël ont tiré sur un Palestinien de 15 ans, Mohammad Da’das et l’ont tué, et elles ont continué à offrir protection et soutien aux colons israéliens attaquant des Palestiniens. La puissance occupante a de plus approuvé la construction de plus de 3000 nouvelles unités d’occupation en Cisjordanie occupée, elle continue à détenir six Palestiniens en grève de la faim qui protestent contre leur détention administrative, parmi les quelque 500 Palestiniens qui sont actuellement emprisonnés sans charge ni procès, et elle persiste dans son plan illégal de nettoyer ethniquement les Palestiniens du quartier Sheikh Jarrah de Jérusalem, afin de les transférer par la force et de les remplacer par des colons israéliens illégaux.

Nous faisons quelque chose de bien

Je n’ai pas rejoint Al-Haq parce que je croyais que, en tant qu’organisation de la société civile, elle « donne une voix aux sans-voix ». Je pense que cette affirmation est absurde. Les Palestiniens et tous ceux qui sont opprimés ont une voix. C’est juste l’oppresseur qui essaie de réduire au silence ces voix et la communauté internationale qui refuse d’écouter. J’ai rejoint Al-Haq parce que je reconnais l’importance de documenter les violations des droits humains et de s’opposer à l’impunité d’Israël.

Israël veut fermer les organisations des droits humains. Et c’est ce que je veux aussi, mais pas tout de suite. La seule différence est qu’Israël veut qu’elles soient fermées pour n’avoir personne à ses trousses quand il exécute ses crimes internationaux et ses violations des droits humains. J’espère qu’un jour Al-Haq et toutes les autres organisations de défense des droits humains en Palestine ne seront plus nécessaires, parce que les coupables rendront des comptes, parce que les violations des droits humains ne seront plus commises impunément, parce que la Palestine sera libre et que nous pourrons enfin jouir de notre droit à l’auto-détermination. Malheureusement, nous n’en sommes pas là. Jusqu’à ce que ce moment arrive, notre voix continuera à résonner fortement pour la justice.

Shahd Qaddoura

Shahd Qaddoura est chercheuse en droit et responsable de la mobilisation à Al-Haq. Elle est actuellement en congé sabbatique pour poursuivre un master en droit international des droits humains au Centre des droits humains de l’Université nationale d’Irlande, à Galway.

Trad. CG pour l’Agence Media Palestine

Source : Mondoweiss

Source : Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/blog/…