Depuis la ville isolée et historique de Ghat, dans le sud-ouest de la Libye, le maréchal Khalifa Haftar a de nouveau délivré un message au peuple libyen, l’encourageant à prendre en main son avenir dans un contexte d’impasse politique et de bouleversements dans le pays.

Dans son discours de lundi soir, Haftar s’en est pris durement à la classe politique libyenne, qu’il a rendue responsable de la direction « sombre » prise par la Libye ces dernières années. Haftar a décrit les politiciens libyens comme des « adorateurs de trônes en guerre », une référence claire à la lutte pour le pouvoir entre les deux gouvernements parallèles dirigés par Dbeibé et Bashagha.

« Il n’y a pas d’autre choix que le soulèvement et la révolution du peuple contre la réalité misérable du pays », s’est exclamé Haftar devant le public, dont il a fait les protagonistes de l’avenir politique de la Libye en tant que « source d’autorité ». Le maréchal de l’Armée nationale libyenne tient le même discours depuis des mois, critiquant vivement les faibles progrès de la Chambre des représentants et du Gouvernement d’unité nationale. 

Haftar n’a pas non plus réservé de compliments aux puissances étrangères ayant des intérêts en Libye, qu’il accuse de déstabiliser davantage le climat politique du pays. Ce message intervient quelques semaines après que la diplomatie turque a fait un pas en avant pour tenter de se positionner comme médiateur dans la crise libyenne. La proposition d’Erdogan n’aurait pas eu beaucoup de succès auprès des dirigeants libyens. La Turquie maintient toujours une forte présence militaire, ainsi que par le biais d’entrepreneurs, qui ont pris position autour de la capitale de Tripoli. Jusqu’à présent, rien n’indique que la Turquie ait l’intention de retirer sa présence militaire en Libye.

Selon un rapport de l’Institut espagnol d’études stratégiques rédigé par l’analyste Felipe Sánchez Tapia, le président turc Erdogan tente de pénétrer dans le pays pour accroître son influence en Afrique, accéder aux ressources énergétiques, faire face à la concurrence régionale de l’Égypte et délimiter les espaces de souveraineté en Méditerranée orientale. Avec ces intérêts, Ankara cherche une solution politique après que les affrontements entre groupes rivaux se soient intensifiés dans le pays.

REUTERS/ESAM OMRAN  -   El Mariscal libio Khalifa Haftar, en Bengasi, Libia, el 24 de diciembre de 2020
REUTERS/ESAM OMRAN  –   Le maréchal libyen Khalifa Haftar à Benghazi, en Libye, le 24 décembre 2020

“Le peuple n’a d’autre choix que de prendre ses responsabilités, sans représentants, pour parvenir au changement souhaité”, a déclaré le maréchal dans son discours, selon le média arabe Al-Arab. “La bataille pour la construction de l’État doit être menée par le peuple avec la collaboration de l’armée, pacifiquement et contre les hypocrites, les corrompus et les absurdités politiques », a ajouté le maréchal sous les acclamations de la foule à Ghat.

Haftar avait déjà prévenu que ses troupes ne resteraient pas inactives face au chaos libyen lorsque de violents combats ont éclaté à Tripoli fin août entre des milices proches de Fathi Bashagha et des miliciens du Gouvernement d’union nationale de Dbeibé. Depuis lors, l’ombre d’une intervention manu militari de l’Armée nationale libyenne plane sur la scène libyenne. Au moins, les avertissements de Haftar ont été répétés de ville en ville pendant plusieurs semaines. Cela pourrait être interprété comme une tentative du chef militaire de rassembler un soutien populaire suffisant avant de passer à l’étape finale.

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AP/YOUSEF MURAD  –  Les forces libyennes se déploient à Tripoli, samedi 27 août 2022. Des affrontements ont éclaté entre des milices rivales dans la capitale libyenne

La situation n’est pas encore critique. Les voies du dialogue sont ouvertes pour l’instant. La preuve en est le récent accord tacite entre l’Armée nationale libyenne et le Gouvernement d’unité nationale pour débloquer la production pétrolière de la Libye, la plus importante source de revenus du pays, qui était menacée par des milices proches de Bashagha au mois de mai. Ce n’était pas un cadeau d’Haftar. En contrepartie, le gouvernement de Dbeibé s’est engagé à payer les salaires des membres des forces armées sous le contrôle d’Haftar. Une condition indispensable pour éviter les mutineries et les désertions dans les rangs de ce qui est, jusqu’à présent, le groupe militaire le plus compétent de Libye.

Haftar a également conclu un accord pour placer un homme de confiance à la tête de la Société nationale du pétrole, Farhat bin Qadara. Le fait que l’exécutif de Dbeibé se plie aux exigences d’Haftar ferait pencher la balance en faveur des militaires. Si le GUN est si soucieux d’avoir les militaires de son côté, cela pourrait signifier un pronostic négatif pour la Libye et une préparation potentielle à une escalade du conflit.

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PHOTO/ Oficina de Prensa Presidencial via REUTERS  –  Erdogan et Abdul Hamid Dbeibé lors d’une cérémonie de bienvenue à Ankara

Il est possible que Dbeibé, dans une fuite en avant, cherche à obtenir davantage de soutien international pour renforcer son ancrage à Tripoli et assurer ses arrières en cas de changement de position de Haftar. Les analystes internationaux soulignent le danger que représente l’intention de Dbeibé de serrer la main d’Erdogan et d’impliquer davantage Ankara sur le plan militaire dans la région.