Par Claude GAUCHERAND – Contre-Amiral (2S) – 29 janvier 2023
Le 30 novembre 2022 une déclaration conjointe d’intention était signée à Washington entre M. Sébastien Lecornu, Ministre des armées de la République Française et M. Lloyd Austin, Secrétaire à la Défense des Etats-Unis d’Amérique.
Cette déclaration que l’on peut consulter sur internet dans son intégralité, en français et en anglais, appelle quelques remarques préalables tant sur la forme que sur le fond.
Pour ce qui concerne la forme, il est à noter plusieurs erreurs d’orthographe et de ponctuation proprement inadmissibles dans un texte d’une telle portée.
Sur le fond, il semble que le sujet traité, proprement politique s’agissant des relations de coopération en matière de Défense, sujet d’ampleur beaucoup plus large qu’une simple coopération entre nos armées respectives, relève pour le moins du Premier Ministre sinon du Président de la République. Touchant à nos rapports avec l’OTAN, la Communauté Européenne, l’Ukraine, la dissuasion nucléaire et le cyberespace, on ne peut qu’être surpris que l’engagement de la France soit ainsi délégué à un simple Ministre des Armées.
Toujours sur le fond, une lecture attentive des cinq feuillets de la déclaration permet de conclure à l’abandon de la souveraineté de notre nation par la signature de monsieur le Ministre des armées, révélateur d’une indéniable servilité d’une France vassalisée et consentante, presque fière de l’être d’un maître aussi puissant, flattée d’en retenir l’attention. Abandon de sa souveraineté portant non seulement sur ses armées mais sur sa défense et sa diplomatie pour dire le moins, remise entre les mains de l’Union Européenne et de l’OTAN dont chacun sait que ces deux entités politiques et militaires, créations des Etats Unis, sont de fait placées sous l’autorité de la Maison Blanche et du Pentagone.
A titre d’illustration, voici un extrait, avec ses fautes de syntaxe, de ladite déclaration en précisant ce que l’on doit entendre par coopération sur tous les théâtres, c’est-à-dire la mise sous le commandement américain des éléments de force que la France engage, chose déjà vécue avec le porte-avions Charles de Gaulle, de quoi faire se retourner le Général dans sa tombe :
Nous réaffirmons notre soutien indéfectible àI’ amélioration de notre coopération sur tous les théâtres ou nos forces armées sont engagées dans des opérations conjointes, en particulier en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique, dans les Caraïbes, dans la région lndo-pacifique et le domaine maritime. Nous devons renforcer notre interopérabilité et consolider notre culture stratégique et opérationnelle commune par un échange régulier de personnels visant a rendre plus efficaces nos opérations conjointes.
(…………..).
Nous entendons poursuivre le développement de l’interopérabilité déjà engagèe entre chacune des composantes de nos Armées cant dans ses dimensions opérationnelle que technique, afin de pouvoir mener des opérations conjointes interarmées, y compris dans des conflits de haute intensité.
(………)
Sur le fondement de notre coopération historique, nous nous engageons à renforcer le partenariat stratégique OTAN / Union européenne.
Il est bien connu que lorsque l’on est invité à diner avec le Diable, il faut se munir d’une cuillère à long manche. Mais peut-être que M. Lecornu ne le savait pas.
Sans aucun doute il aurait dû relire ce texte où Georges-Marc Benhamou relate une prise de position du président François Mitterrand en 1994 au sujet des relations entre la France et les États-Unis :
« La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. »
Sans omettre cette autre déclaration d’un orfèvre en la matière quand, au printemps 2000, M. Robert McNamara, secrétaire d’Etat américain à la défense de 1961 à 1968, a estimé :
« Les Etats-Unis eux-mêmes, par leur tendance croissante à agir de manière unilatérale et sans respect pour les préoccupations des autres, sont devenus un Etat-voyou ».
Qui peut affirmer que François Mitterrand a été un grand Président ? Toutefois personne ne peut nier sa lucidité quand, toujours selon M. Benhamou, il a déclaré :
« Je suis le dernier des grands présidents. Après moi, il n’y aura plus que des financiers et des comptables. »
Ceci explique sans doute l’absence de vision historique de nos dirigeants concernant les relations de la France avec le monde en général et avec les Etats-Unis en particulier. Mais n’est-ce pas pour ce motif même qu’ils ont été sélectionnés pour accéder au pouvoir après avoir été adoubés du titre envié de Young Leader voire de celui de World Young Leader par le maître de Davos ?
Toutefois cela n’explique pas qu’une telle déclaration n’ait fait l’objet ni d’un débat à l’Assemblée Nationale ni d’une question écrite ou orale de l’opposition ni d’une réaction de la commission de la Défense et des forces armées, ni d’article dans les journaux de référence à l’exception notable du Figaro du 1ier décembre, au lendemain de sa publication.
L’actualité se complaisait alors dans les déboires conjugaux d’un député de l’opposition qui ont occupé tant le parlement que les médias. On attache de l’importance à ce que l’on peut. On monte en épingle le dérisoire pour mieux cacher l’essentiel. Alors, est-ce important la souveraineté de la France ? Pas vraiment. Circulez, il n’y a rien à voir ! Mais comment s’en étonner quand notre intervention dans le grave conflit entre la Russie et l’Ukraine ne fait l’objet d’aucune saisie du Parlement !
Ceci se passe au moment où les Atlantistes qui tiennent le haut du pavé, vouent publiquement aux gémonies sur les plateaux de télévisions, eux-mêmes inféodés à la grande finance, et dans les journaux à grand tirage appartenant aux mêmes, ceux qui ne partagent pas leur point de vue de bons serviteurs de l’Empire euratlantique, capitale Washington, sous-préfecture Paris. Allant jusqu’à leur dénier la qualité de patriotes… Eux, à propos de qui la question se pose pourtant de savoir si l’on peut être atlantiste sans trahir sa nation.
Charles De Gaulle ne disait-il pas qu’une nation n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts?
Qui donc ose affirmer sans trahir la vérité que les Etats Unis d’Amérique ont les mêmes intérêts que la France quand l’actualité démontre chaque jour le contraire à condition de bien vouloir s’informer et réfléchir et constater leur volonté de nous asservir dans tous les domaines, économique, culturel, militaire, ceux de la recherche, de la langue, du mode de vie.
Alors, atlantisme ou trahison ? Vous avez dit collaboration ? Cela rappelle de bien mauvais souvenirs.
Il est grand temps de décoloniser les esprits de nos « élites ».
Ore, le 29 janvier 2023