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18 novembre 2024

L’Iran et l’Afghanistan se disputent l’eau du Helmand sur fond de réchauffement climatique


Publié par Gilles Munier sur 13 Juin 2023, 08:53am

Catégories : #Afghanistan, #Iran

Texte par : Bahar MAKOOI  (revue de presse : France 24 – 9 juin 2023)*

Les tensions entre l’Iran et l’Afghanistan autour de l’approvisionnement en eau se sont soldées par un échange de tirs à la frontière fin mai. Les deux États se disputent le débit de la rivière Helmand dont l’Iran dépend pour irriguer des terres dans le sud aride du pays. La construction de barrages côté afghan est venue changer la donne ces dernières années, faisant de l’or bleu l’objet d’intenses tractations.   

Objet de convoitise, de tractations, monnaie d’échange… L’or bleu afghan est devenu un enjeu de plus en plus crucial à mesure que la planète se réchauffe. La rivière Helmand, dont les eaux turquoises prennent leur source dans le centre du pays avant de se déverser près de 1 000 kilomètres plus loin en Iran, est de plus en plus convoitée par Téhéran. Les Taliban l’ont bien compris et en ont fait un outil diplomatique.

La répartition de cette eau, dont dépend l’irrigation de larges terres agricoles dans la province du Sistan-Baloutchistan, dans le sud-est de l’Iran, est source de tension depuis des décennies. Pour tenter de résoudre leur différend, Téhéran et Kaboul ont signé en 1973 un traité donnant le droit aux Iraniens d’utiliser 22 mètres cubes par seconde, plus éventuellement quatre mètres cubes supplémentaires.

Mais l’Iran a accusé récemment l’Afghanistan de ne pas respecter cet accord, reprochant notamment au barrage Kajaki, l’un des principaux barrages hydroélectriques d’Afghanistan, de limiter son approvisionnement en eau.

Une mise en garde du président iranien Ebrahim Raïssi a mis le feu aux poudres. Ce dernier a demandé le 18 mai à l’Afghanistan de laisser couler l’eau du Helmand pour son pays, appelant Kaboul à considérer « sérieusement » son avertissement pour « ne pas se plaindre ensuite ».

Le 27 mai, des échanges de tirs ont eu lieu entre les forces iraniennes et les Taliban déployés de part et d’autre de la frontière, faisant deux morts selon les autorités talibanes.

« Ces accrochages résultent des tensions autour de la redistribution de l’eau » confirme Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran pour le centre de recherche Etopia à Bruxelles. « Le Helmand est une rivière de grande importance pour l’Iran parce qu’elle permet aux zones agricoles du Sistan-Baloutchistan de se développer. Et cela devient d’autant plus important que nous sommes dans une situation où l’accélération des séquences de sécheresse et la réduction de précipitations mettent ces régions agricoles en péril. »

Un lac à sec et des tempêtes de poussière 

Pays aride, l’Iran connaît de plus en plus d’épisodes de sécheresse, notamment dans le Sistan-Baloutchistan, où le lac Hamoun, alimenté par le Helmand, est désormais tari alors qu’il était auparavant au cœur de la septième zone humide au monde.

Autour du lac, la faune et la flore, l’agriculture et le bétail, ainsi que les villages ont disparu, laissant place à un paysage de désolation.

D’autres phénomènes viennent aggraver les effets du tarissement de l’eau du Helmand : des tempêtes de poussière venant du sud tendent à s’accroitre et elles touchent plus particulièrement cette région. « Ces tempêtes de poussière, lorsqu’elles arrivent sur un sol sec et pauvre, raclent encore plus les terres, soulèvent encore plus de poussières, de sable, et de sel, et détériorent les zones agricoles en bon état un peu plus loin », explique Jonathan Piron, qui mène des recherches sur l’eau en Iran depuis plusieurs années.

 

Les nouveaux barrages afghans 

 

L’eau est une denrée précieuse côté afghan également, car elle irrigue les champs agricoles dans un pays en crise, où l’enjeu alimentaire est crucial. « Il y a une volonté de la part des Taliban de reprendre le contrôle du Helmand et de favoriser une redistribution de l’eau pour leur propre population afin d’affirmer leur légitimité à gouverner », analyse Jonathan Piron.

Durant les décennies de guerres qui ont frappé le pays, les structures hydrauliques n’ont pas été entretenues, ce qui a « favorisé les Iraniens », puisque l’eau s’est écoulée au détriment de l’Afghanistan. Le précédent gouvernement afghan avait d’ailleurs accusé Téhéran de favoriser l’instabilité autour des sites de barrages afghans en soutenant des groupes armés, afin que l’eau puisse continuer de s’écouler vers la frontière.

Mais depuis quelques années, l’Afghanistan a décidé de reprendre en main son potentiel hydraulique en accélérant la construction de barrages hydroélectriques et de systèmes d’irrigation. C’est ainsi que le barrage Kamal Khan, a enfin été inauguré en mars 2021 sur le Helmand, à la frontière avec l’Iran, après six décennies d’interminables travaux.

Objet de la discorde avec Téhéran, le fameux barrage de Kajaki a lui aussi fait l’objet de grands travaux achevés récemment. Bâti dans les années 1950, l’ouvrage avait été abandonné en 1979 lors de l’invasion soviétique. Ça n’est qu’après la chute des Taliban en 2001, que les Américains l’ont remis en marche après de grands travaux qu’ils ont finalement revus à la baisse. Puis l’État afghan a pris en charge de nouveaux chantiers en 2013, après avoir appelé une société turque à la rescousse.

La dernière série de travaux a été achevée en août 2022, permettant de faire passer la production de 33 à 51,5 mégawatts, avec un objectif de 100 mégawatts dans le futur. D’après l’agence turque Anadolu, un autre projet d’augmentation de la capacité du stockage d’eau du barrage est envisagé par les Taliban, ajoutant 12 mètres à la hauteur totale de la retenue d’eau.

« Aucune des deux parties n’a intérêt à faire perdurer les tensions » 

Une reprise en main qui agace Téhéran depuis quelques mois plus particulièrement. L’Iran a ainsi averti le 19 mai qu’il se « réservait » le droit de prendre des mesures pour capter l’eau de Helmand. « Dans la pratique, les dirigeants afghans n’ont pas honoré les engagements pris dans le cadre du traité [de 1973] et n’ont pas offert la coopération nécessaire pour fournir à l’Iran ses droits légaux en matière d’eau », a indiqué le ministère iranien des Affaires étrangères, qui a estimé que la situation était devenue « inacceptable ».

Il a également qualifié de « contradictoire et fausse » une déclaration faite par les Taliban au pouvoir, selon laquelle le manque de précipitations et une grave sécheresse seraient à l’origine de l’arrêt de l’acheminement de l’eau vers l’Iran, le niveau du fleuve ayant baissé.

L’Iran, qui partage une frontière de plus de 900 km avec l’Afghanistan, ne reconnait pas le gouvernement formé par les Taliban, mais le pays voisin avait gardé jusqu’ici des rapports cordiaux avec les nouveaux maîtres de Kaboul.

« Aucune des deux parties n’a intérêt à faire perdurer les tensions », estime Jonathan Piron. L’Iran a besoin d’un Afghanistan stable et les Taliban préfèrent vivre avec un voisin non menaçant et économiquement coopératif.

Téhéran et Kaboul ont d’ailleurs immédiatement cherché à calmer le jeu après les tirs échangés à la frontière fin mai. « La situation (est) actuellement maîtrisée », a ainsi indiqué le porte-parole du ministère de l’Intérieur des Taliban, Abdul Nafy Takor, sur son compte Twitter dès le jour de l’incident, ajoutant que son gouvernement « ne veut pas de guerre avec son voisin. »

L’eau comme monnaie d’échange 

Depuis leur retour au pouvoir en août 2021, les Taliban cherchent plutôt à s’attirer les faveurs de Téhéran, partenaire commercial majeur. Et dans ce jeu diplomatique, ils se servent de l’eau comme d’une pièce maitresse des négociations.

Ainsi, en janvier 2022, ils avaient décidé d’ouvrir le robinet de l’Afghanistan vers l’Iran en déversant de l’eau du barrage de Kamal Khan dans le lac Hamoun, quelques jours après une visite de leur ministre des Affaires étrangères à Téhéran. Un geste alors salué par l’Iran.

Certains observateurs vont plus loin, affirmant même que les Taliban troquent l’eau en échange de barils de pétrole, de gaz ou d’électricité. Une information confirmée par le Figaro, qui indique qu’après l’échange de tirs de la fin mai, « selon des fuites de presse, les talibans auraient alors proposé l’échange suivant : 10 litres d’eau en Iran contre 20 litres de diesel iranien à destination du marché afghan ».

 

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