Par Me Maurice Buttin (30 juin 2023)*
Il y a trois mois la CPI délivrait un mandat d’arrêt à l’encontre de Vladimir Poutine. Une première ! Jamais un chef d’Etat, membre du Conseil de Sécurité, qui plus est, n’avait été poursuivi de la sorte.
Dans un livre récent au titre « Peut-on juger Poutine ? », Mathilde Philip-Gay, professeur en droit public à l’université Jean-Moulin 3 à Lyon, avec le juriste international franco-britannique Philippe Sands, plaide même pour la création d’un tribunal ad hoc pour juger le président russe pour l’invasion de l’Ukraine.
Interviewée par LA CROIX-Hebdo du 24 juin 2023, page 24 et 25, Mathilde Philip-Gaiy affirme « ne pas le juger reviendrait à faire primer la force sur le droit », et de poursuivre « Cela sonne la fin de l’impunité, y compris pour les responsables de premier ordre ». « J’ajoute, par ailleurs, dit-elle, que ce chef d’Etat est blanc de peau, et cela n’a rien d’anodin. Certains juristes déplorent, en effet, que l’action de la CPI vise principalement des hauts responsables africains. Cette critique n’est, à mon sens, que partiellement fondée, mais elle existe c’est un fait. Le mandat d’arrêt à l’encontre de Vladimir Poutine est, à cet égard aussi, un symbole fort ».
Je retiens l’excellent principe développer par l’autrice : « ne pas faire primer la force sur le droit ».
Certes, mais dans l’ordre ! Bien avant Vladimir Poutine, en effet, d’autres « hauts responsables » ne l’ont pas appliqué.
A tout seigneur tout honneur, comme dit le proverbe. Joe Biden, actuel président des Etats-Unis, membre du Conseil de Sécurité, qui n’hésite pas à affirmer que son pays est la première puissance au monde, n’a-t-il pas joué un rôle majeur dans la guerre en Irak (2003-2004) alors qu’il était sénateur du Delaware ?
Le site d’information Middle East Eye, basé à Londres, reprend le 12 mars 2021 un documentaire diffusé en février sur The Real News Network, qui rappelle précisément le rôle central joué par ce sénateur dans la déclaration de cette guerre. En octobre 2002, il fut l’un des 29 sénateurs démocrates à voter la résolution contre l’avis de 23 autres, et aux côtés des 48 élus républicains, permit au président de l’époque George W. Bush de déclarer la guerre au dictateur Saddam Hussein, sous le faux prétexte que l’Irak détenait des « armes de destruction massive menaçant les Etats-Unis et ses alliés ».
Invité spécial des « Dessous de l’Infox », vingt ans après, l’ancien premier ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin est revenu sur l’accumulation de mensonges en prélude de l’offensive étasunienne, sans aucun mandat des Nations Unies.
Terrible guerre : 4 500 soldats étasuniens tués, ainsi que des milliers de contractuels militarisés (les médias, à longue de journée, nous parlent de la milice Wagner. Le président russe n’a rien inventé, Peut-on à ce point oublier les milices utilisées par les Etats-Unis ?). Des dizaines de milliers de soldats et miliciens blessés. Des centaines de milliers d’Irakiens tués.
Guerre aux conséquences, dont les effets sont visibles jusqu’à aujourd’hui. Le président étasunien Barak Obama, alors en exercice, n’hésitait pas à dire que le Groupe d’Etat islamique (EI) était une conséquence directe d’Al Qaïda en Irak, née à la suite de l’invasion américaine.
Plus récemment, et bien avant Vladimir Poutine, comment ne pas citer les dirigeants israéliens, que ce soit par exemple le premier ministre Benyamin Netanyahou ou le général Ehud Barak, ex-premier ministre également, tous deux responsables du massacre contre les Gazawis en juillet-août 2014.
Pour la première fois cette « Opération protectrice », selon l’appellation officielle israélienne, a été reconnue par Israël comme la première guerre israélienne en Palestine ! Elle a été ainsi motivée par la durée de l’opération (50 jours) et la perte de 67 des « combattants israéliens qui ont payé le prix le plus élevé en luttant contre le Hamas et d’autres organisations terroristes », selon le ministre de la défense Moshé Yaalon le 1er décembre 2014, et 6 civils. Côté palestinien, cette guerre a fait près de 2200 morts, très majoritairement des civils – ce dont Israël se moquent éperdument – et d’immenses destructions immobilières.
La Palestine, inscrite à la Cour Pénale Internationale, son conseil Me Gilles Devers, avocat international inscrit au barreau de Lyon, représentant des dizaines de Palestiniens devant la CPI, a saisi la Cour « sur les crimes commis par Israël dans la Palestine occupée pendant la guerre de l’été 2014 ». Une enquête a été envisagée en 2019 par la procureure de la CPI, Fatou Bensouda. Celle-ci a confirmé son ouverture le 3 mars 2021.
L’enquête sollicitée est engagée contre les dirigeants israéliens couvrant des crimes commis par l’armée israélienne, mais aussi, éventuellement, contre les dirigeants du Hamas, responsables de crimes de ce Mouvement. La procureure a confirmé par ailleurs, que cette enquête n’avait pas à influer sur la question des frontières, qui « devront être déterminées par les autorités israéliennes et palestiniennes, lors de discussions bilatérales, en vue d’un accord ».
Officialisation de pure forme, mais causant un coup de tonnerre dans un ciel bleu ! Sans tarder, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou – dont le pays n’est pas inscrit à la CPI – a dénoncé, dans une allocution télévisée, cette décision qu’il a qualifiée « d’antisémite ». (Je note au passage qu’il est frappant de constater chez les dirigeants israéliens, comme chez leurs thuriféraires français du CRIF, par exemple, que toute critique de la politique israélienne est immédiatement qualifiée d’antisémite !) Et Netanyahou a promis de défendre « chaque soldat, chaque officier, chaque civil » contre d’éventuelles poursuites.
Comme par hasard, les Etats-Unis et plusieurs autres Etats ayant adhéré à la CPI, comme l’Australie et l’Allemagne, ont à leur tour dénoncé la décision des juges. Ils ont tenté et tentent toujours de tout faire pour que l’enquête sollicitée ne soit pas traitée de sitôt…
La procureure Fatou Bensouda a terminé ses neuf années de mandat en juin 2021. Son successeur, le britannique Karm Khan, a-t-il fait avancer l’enquête ?
Alors, oui, Mathilde Philip-Gay, Vladimir Poutine, le président russe, traduit devant la CPI. Mais, d’abord, le président des Etats-Unis Joe Biden et les hauts responsables israéliens dont les agissements criminels sont déjà en cours d’enquête à la CPI.
*Me Maurice Buttin est Président par intérim du « Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient », membre des C.A. de « Pour Jérusalem », des Amis de Sabeel-France et de « Chrétiens de la Méditerranée ».
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