La nature contre-révolutionnaire du soutien féministe libéral à Gaza
12 mars 2024
Cet article est une analyse historique du libéralisme, de sa nature impériale, avec une focalisation sur la nature contre-révolutionnaire des mouvements féministes qui ne manifestent pas de soutien à Gaza.
Par Tala Alayli (revue de presse : ISM-France – 10 mars 2024)*
Dans son analyse des libéraux blancs, Malcolm X explique que le libéral ne peut être distingué du conservateur que par sa ruse, dissimulée en soutien aux opprimés, dont il exploitera plus tard la vulnérabilité et les souffrances dans le jeu du pouvoir pour des bénéfices politiques. La solidarité du libéral n’est donc qu’un stratagème pour gagner la faveur des opprimés, exploiter sa lutte, puis le rejeter dans le fossé dont il avait promis de le sortir.
Dans ce cas, le féminisme libéral peut également être considéré comme une section de ce que Malcolm X a mis en avant, notamment dans le cas de Gaza et des événements survenus depuis le 7 octobre 2023.
Le féminisme libéral, par définition, se concentre sur la réalisation de l’égalité des sexes par le biais de réformes politiques et juridiques dans le cadre de la démocratie libérale et s’appuie sur une perspective de droits de l’homme.
Cependant, le paradigme comporte deux lacunes majeures : l’essence de la démocratie libérale et la perspective erronée des droits de l’homme. Comme tous deux proviennent d’un fondement capitaliste, suprémaciste blanc et exploiteur, on ne peut pas considérer qu’ils contribuent à l’égalité. C’est aussi parce que, essentiellement, lorsque nous parlons de libéralisme, nous faisons référence à ce que Malcolm X a posé : la nature imparfaite et traître de la solidarité libérale qui, en fin de compte, remonte toujours à ses racines oppressives.
C’est ce que nous voyons lorsque des Occidentaux libéraux utilisent le drapeau palestinien pour montrer leur solidarité avec Gaza mais diabolisent sa Résistance en l’accusant de viol, réfuté à plusieurs reprises, dans le cadre de la manifestation de ce qu’ils considèrent comme une défense féministe intersectionnelle.
Depuis que le New York Times, un média pro-”Israël”, a publié un article selon lequel des combattants du Hamas auraient agressé sexuellement des captives israéliennes, les manifestants occidentaux « pro-palestiniens » ont décidé de montrer leur activisme et leur solidarité en condamnant l’offensive militaire israélienne à Gaza, mais en condamnant simultanément, encore plus vigoureusement, ce qu’ils prétendent que le Hamas a fait.
Avant de discuter de ce qu’implique leur activisme, deux questions doivent être analysées : pourquoi le récit du New York Times est faux et pourquoi l’Occident ne semble pas vouvoir le laisser tomber.
Le New York Times démystifié
Le New York Times a toujours eu un parti pris en faveur d’”Israël”, que ce soit par le langage dilué qu’il utilise pour décrire les crimes commis par l’occupation à Gaza, ou par ses affiliations avec des lobbyistes pro-israéliens, à travers ses liens avec le Comité pour l’exactitude des rapports sur le Moyen-Orient et d’analyse (CAMERA), et son emploi de personnel ayant des liens directs avec les soldats des FOI.
Pour être plus clair, le rédacteur en chef du New York Times, Joe Kahn, se trouve être le fils d’un membre du conseil d’administration de CAMERA, un comité qui préserve l’image d’”Israël” dans les médias. CAMERA a obligé à plusieurs reprises le New York Times, entre autres médias, à modifier sa formulation alors qu’il semblait en réalité neutre envers la cause palestinienne.
Mais je suis prête à accorder au NYT le bénéfice du doute et à considérer que son comité de rédaction n’interfère pas dans la publication d’articles écrits par d’autres auteurs qui se révèlent moins biaisés en faveur d’”Israël”. Cela laisse deux autres conflits d’intérêts majeurs.
Premièrement, un rapport d’Intercept a révélé que quelques rédacteurs du New York Times obtiennent leurs articles de soldats de l’OIF qui s’étaient portés volontaires dans l’armée israélienne. Non seulement cela diminue l’intégrité d’une histoire en cours, mais cela la raconte sous un angle totalement unilatéral qui n’inclut pas tous les faits, et projette la propagande israélienne biaisée sur une histoire que des millions de personnes peuvent lire.
Deuxièmement, concernant l’histoire du New York Times selon laquelle des combattants du Hamas ont exploité sexuellement des captifs israéliens, l’histoire a non seulement été retirée par l’organe d’information, mais elle a également réfutée par le personnel interne et les familles des captifs qui avaient participé à l’histoire.
Lorsque les rédacteurs du NYT eux-mêmes expriment leur amertume lorsqu’un article trompeur est publié et que leur lieu de travail est dénigré, c’est une indication claire que ledit média avait compris que l’article nécessitait davantage de recherches, mais l’a publié malgré tout. La raison devient évidente : diaboliser le Hamas par tous les moyens possibles pour justifier ce qu’”Israël” fera ensuite.
De plus, plusieurs témoignages ont établi que l’histoire en cours comportait des lacunes. La famille israélienne impliquée dans une affaire clé mentionnée dans le rapport du New York Times a désavoué l’article publié, affirmant que les journalistes avaient manipulé leurs déclarations, a rapporté Press TV, citant les médias israéliens.
Adam Sella et Anat Schwartz, co-auteurs du faux article avec Jeffrey Gettleman, ont été critiqués pour leur crédibilité et leur tentative de promouvoir un récit fabriqué de toutes pièces que le New York Times avait fièrement approuvé.
On ne peut pas considérer Anat Schwartz elle-même comme une source d’information fiable, particulièrement lorsqu’elle publie un article de fond pour l’un des plus grands médias d’information. Toutefois, cela n’est pas une surprise.
Anat Schwartz a autrefois servi dans les forces d’occupation israéliennes et a travaillé activement avec les renseignements militaires israéliens. Elle a également été au centre de plusieurs scandales en ligne qui ont révélé son extrémisme fasciste.
Elle a explicitement aimé un article sur X qui dit que les sionistes dirigent activement et délibérément le récit assimilant le Hamas à l’Etat Islamique. Ce n’est pas la réalité, mais une mascarade que les lobbyistes sionistes ont désespérément tenté de promouvoir pour dissimuler les crimes de l’occupation israélienne à Gaza depuis le 7 octobre.
Lors d’un autre incident, elle a publiquement exprimé à quel point ses inventions « sont importantes pour la Hasbara » et pour la promotion de la propagande israélienne et anti-palestinienne, ce que le journal israélien Ynet a exhorté le New York Times à cacher.
Il a également été révélé qu’après que le rapport d’abus sexuel ait été réfuté avec véhémence, Adam Sella, qui vient tout juste d’obtenir son diplôme et n’a aucune expérience en matière de reportage, a eu une autre chance de faire avancer le récit, cette fois en utilisant ZAKA.
ZAKA est un groupe de secours israélien qui a soumis un rapport à l’ONU concernant les fausses accusations de viol du 7 octobre. Il a ensuite été révélé que le fondateur de ZAKA lui-même, Meshi-Zahav, avait été reconnu coupable de viol et d’exploitation de son pouvoir pour agresser sexuellement des jeunes filles.
Adam Sella a utilisé intellectuellement une organisation accusée de viol pour accuser le Hamas d’avoir violé des captives israéliennes, et a tenté de le cacher en utilisant un pseudonyme pour ZAKA, le « Rape Crisis Group ».
Les médias israéliens ont également révélé que la police n’avait trouvé aucune preuve prouvant que les captifs avaient été agressés sexuellement, conduisant les lecteurs à un océan infini de possibilités quant aux raisons pour lesquelles le récit continue de circuler.
Mais la raison pour laquelle cela a pris autant d’ampleur est la tendance à défendre les femmes dans les affaires d’agression sexuelle à un point tel que tous les autres facteurs, comme leur faisabilité, sont rejetés.
L’Occident a adopté les problèmes de harcèlement sexuel comme un fardeau personnel dont ils ont souffert, mais il souhaite également se débarrasser des femmes au niveau international, que l’affaire soit crédible ou non. Dans ce cas, nous voyons des femmes blanches appeler à la protection d’autres femmes blanches, alors que les Palestiniennes sont littéralement déchiquetées en masse.
Ils ne semblent pas pouvoir se détacher du fait que le Hamas n’a jamais exploité sexuellement les captifs israéliens, et cela parce que l’ampleur de la brutalité israélienne doit être justifiée par les bienfaiteurs de l’occupation. Ainsi, quand tout le reste échoue, ils reviennent au seul argument erroné qui garantit une condamnation massive du Hamas et un soutien massif au bellicisme d’”Israël”.
Cela m’amène à mon deuxième titre, l’examen du phénomène consistant à négliger les erreurs et les faits malgré leur connaissance.
Leçons de civilisation
La principale chose à examiner, ce sont les préjugés raciaux que l’Occident entretient à l’égard des Palestiniens et la façon dont ils affectent leur compréhension de la conduite de la Résistance.
L’Occident est toujours en proie à la suprématie idéologique blanche et regarde ainsi le tiers monde avec un œil inférieur et une attitude condescendante, uniquement parce que leurs sociétés ne peuvent pas comprendre la lutte à laquelle nous assistons depuis les époques coloniales et postcoloniales.
Au cours des 20 dernières années seulement, Gaza a été victime de la guerre à sept reprises. L’Occident, cependant, n’a connu aucune guerre sur ses terres. Ainsi, une divergence naît lorsque les sociétés occidentales ne parviennent pas à comprendre ce qui pousse les Palestiniens à résister avec tant de passion à l’occupation imposée par une entité suprémaciste raciale et ses bienfaiteurs suprémacistes blancs. Ceci parce que l’Occident n’a jamais connu, collectivement, l’expérience qui consiste à reprendre ce qui lui appartient.
Certains soutiennent que l’Occident lui-même s’est également construit sur le vol des communautés indigènes, donc même si la base de la lutte est un concept qui lui est familier, il a été l’agresseur au cours des deux derniers siècles, c’est pourquoi il voit tant d’éléments de sa propre image dans ”Israël”.
L’ampleur de la fraternisation avec l’entité sioniste est également une autre facette de la solidarité israélo-occidentale. Lorsque ”Israël” a été créé comme entité vassale, c’était pour l’Occident ; cela inclut des systèmes de coopération entre la société coloniale israélienne et la société occidentale.
”Israël” dépend des États-Unis et de l’Occident pour sa survie, sa reproduction et son image de marque. Selon la théorie des systèmes mondiaux d’Immanuel Wallerstein, ils sont classés comme le noyau, tandis qu’”Israël” est un État périphérique. Cela signifie qu’une relation de dépendance est née. ”Israël” fournit au noyau les ressources qu’il a usurpées, tandis que le noyau assure sa survie. Le développement d’”Israël” l’a cependant très clairement établi comme une entité coloniale de peuplement. ”Israël” est devenu un noyau dans sa région et a traité ses environs comme ses périphéries et semi-périphéries. Son influence coloniale elle-même dérive de son noyau relatif, et tout comme les philosophies et les classifications raciales de ses prédécesseurs ont transcendé les génocides matériels, il tente d’effacer les sociétés autochtones pour accueillir des sociétés de colons du monde entier. Ceci est encore prouvé par le tristement célèbre discours de Joe Biden : « Si Israël n’existait pas, nous devrions créer un Israël ».
Dans ce domaine, on pourrait également examiner la relation de dépendance d’Antonio Gramsci et le concept néo-gramscien d’hégémonie.
”Israël” a accepté de dépendre des États-Unis et de leur hégémonie parce qu’il en va de sa survie, ce qui a permis aux États-Unis d’étendre leurs conceptions capitalistes à cette société de colons. Et puisque les États-Unis contrôlent et influencent toutes les notions qui reproduisent le capitalisme, comme le droit international, ”Israël” est évidemment exempté de poursuites. Dans ce cas, nous considérons la relation de dépendance entre ”Israël” et les États-Unis comme consensuelle, mais celle entre eux et la Palestine comme coercitive. La force militaire apparaît maintenant pour forcer la Palestine à se soumettre à cette hégémonie, ce qui crée à son tour un consensus stéréotypé selon lequel la société palestinienne, tout comme d’autres sociétés qui ont refusé l’hégémonie américaine, est décrite comme violente et terroriste, ce qui renforce le racisme systématique sur lequel l’Occident a construit son idéologie.
Les féministes occidentales ont également pris le train en marche et se sont privées de leur composante intersectionnelle qui considère toutes les sociétés comme égales au lieu de reconnaître la violence lorsqu’elle est prétendument commise contre la même société qui a consenti à dépendre du noyau.
Lorsque la Résistance défend ses terres et son peuple contre le bébé colonial occidental, elle est considérée comme violente. Lorsque le Hamas a lancé l’opération Déluge d’Al-Aqsa, il a été considéré comme violent parce que l’Occident y a vu un phénomène né du vide.
Cependant, aujourd’hui, au 155ème jour du génocide à Gaza, le monde entier reconnaît la sauvagerie d’”Israël” et sa réponse disproportionnée au Déluge d’Al-Aqsa. Plus de 30.000 martyrs plus tard, l’Occident ne peut plus ignorer les crimes de masse commis par son plus proche allié dans une petite enclave. Mais il défend ces crimes de toutes façons.
J’ai trouvé la raison dans le poème pro-impérialiste de Rudyard Kipling intitulé « Le fardeau de l’homme blanc ».
Assume le fardeau de l’Homme blanc
Les guerres cruelles pour imposer la paix
Nourris les affamés
Enraye la maladie
Et lorsque tu auras presque atteint ton but
A la rencontre d’autrui
Vois la paresse et la barbare sottise
Anéantir tous tes espoirs.
Kipling dépeint une dichotomie dans la strophe ci-dessus, qui montre le paradoxe de la façon dont une guerre destructrice et meurtrière est censée apporter la paix, mais échoue finalement parce que ceux qui sont combattus sont paresseux et sots, ce qui fait échouer le projet impérial de l’Empire.
C’est ainsi que l’Occident perçoit le Moyen-Orient. Depuis le 7 octobre, ce que l’Occident dit des peuples et des gouvernements arabes, c’est qu’ils sont indolents et qu’ils ont laissé tomber la Palestine. Il y a là une certaine vérité, mais cela montre aussi à quel point l’Occident pense qu’il a le droit d’intervenir et de « ramener la paix » dans un pays avec lequel il n’a aucun lien mais des ressources qu’il volera plus tard.
Ainsi, lorsque l’on compare cette analyse aux mouvements féministes libéraux qui criminalisent le Hamas, aux mouvements qui donnent à la Résistance le feu vert pour résister, mais dans des mécanismes que l’Occident peut approuver, nous pouvons reconnaître le droit et la supériorité que ces sociétés pensent posséder sur la Résistance courageuse et hautement morale. Nous voyons des conceptions si offensantes et intrinsèquement racistes, l’idée selon laquelle les sociétés du Moyen-Orient, -et la Résistance dans ce cas-, doivent prendre des leçons de civilisation d’un système occidental qui se considère comme hautement éthique, autorise le nettoyage ethnique des personnes dans le monde, et souscrit à une histoire reconnue comme totalement fausse, utilisée pour aller dans le sens de son point de vue sur les peuples du tiers monde.
Dans ce cas [et dans tous les cas], le libéralisme équivaut à l’impérialisme, de manière forte et transparente, et il utilise le féminisme pour atteindre son objectif : toujours considérer l’Occident libéral comme un standard élevé d’éthique et façonner les nations, les sociétés et même les mouvements de résistance en ce qu’il veut essentiellement : une force conditionnée qui n’agit que selon les règles du principal agresseur. Mais c’est chaque fois un échec.
Ainsi, lorsque les féministes descendent dans la rue et disent à la Résistance qu’elle doit faire son travail d’une manière considérée comme acceptable par l’Occident, ce qu’elle fait en fait, c’est négliger l’essence anticoloniale du féminisme, adhérer au libéralisme impérial et l’imposer au même mouvement qui le combat, idéologiquement et militairement, rendant ainsi toutes leurs tentatives d’offre de soutien contre-révolutionnaires.
*Source : ISM-France
Article original en anglais sur Al-Mayadeen / Traduction MR