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22 décembre 2024

Algérie : Mémoire coloniale à Marseille


http://comaguer.over-blog.com
Au fil des jours et des lectures n°190
31.03.2014

Mémoire coloniale à Marseille

Le monument des « Mobiles » est très connu à Marseille. Situé à l’extrémité de la Canebière, il a très longtemps servi de point de rassemblement de toutes les grandes manifestations politiques de gauche ou syndicales qui partant de là pouvaient occuper la Canebière dans toute son ampleur et s’écouler comme un fleuve vers la mer. L’installation du tramway a réduit la largeur de cette avenue célèbre et les « rassemblements aux Mobiles » comme on dit à Marseille sont aujourd’hui moins nombreux.
Ce monument, inauguré en 1894, est présenté comme dédié aux enfants des Bouches du Rhône morts pour la défense de la patrie pendant la guerre de 1870-1871. Les commentaires sont pas contre extrêmement rares sur l’inscription ci-dessous qui apparait sur sa face Nord-Ouest. Ce sont les non-dits de Marseille.

Il ne s’agit plus là de la guerre contre la Prusse mais de la répression sanglante de l’insurrection arabe qui débouchera sur la déportation de ses dirigeants en Nouvelle Calédonie où ils retrouveront les exilés de la Commune.
Mais ces derniers seront amnistiés et rapatriés alors que les insurgés algériens finiront leurs jours dans la lointaine colonie. Le document qui suit inscrit ce morceau méconnu du monument dans la longue résistance du peuple algérien à la colonisation.

DE L’ALGERIE A LA NOUVELLE CALEDONIE

L’insurrection de 1870 suivie de déportations
vendredi 17 octobre 2008
Il faut d’abord situer les faits dans leur contexte historique marqué par la colonisation française à partir de 1830.
En 1870, la déclaration de guerre de Guillaume 1er, roi de Prusse, mit la France dans une situation handicapante. Il lui fallait à la fois répondre par les armes à la provocation prussienne et maintenir en Algérie son dispositif militaire pour mener à bien son œuvre de colonisation. Ce qui l’obligea à abdiquer devant son ennemi de longue date en lui cédant l’Alsace et la Lorraine, revendiquées comme territoires prussiens, pour ne pas perdre l’Algérie.
Pendant ce temps, il y eut partout en Algérie des révoltes dirigées par des chefs de tribus unis pour une cause commune : mettre fin à l’occupation étrangère à la faveur d’une exceptionnelle opportunité. El-Mokrani, Boumezrag Chikh El Haddad, Ali Oukaci, Si Mohammed Ben Ali Cherif, Boumezrag et tous les autres chefs qui se trouvaient à Souk Ahras, Touggourt devaient faire face à un arsenal militaire renforcé.

De la révolte à la répression (1870-1871)
Le soulèvement avait fini par gagner beaucoup de régions comme Touggourt qui fut le théâtre d’affrontements entre insurgés et profrançais. Il y eut Souk Ahras où des situations inextricables furent créées par des éléments procoloniaux et des soldats qui avaient été formés par l’armée française pour servir de supplétifs contre la Prusse, principalement des spahis.
Mais très tôt à Bordj Bou-Arréridj, on voyait se profiler à l’horizon une insurrection de grande envergure sous la conduite de deux propriétaires terriens. El-Mokrani Bachagha de la région de Bordj Bou-Arréridj et son ami Ben Ali Cherif Bachagha de Chellata. Cela s’est traduit par l’incendie d’importantes meules de fourrage appartenant aux colons, une désertion massive de spahis, avec armes et bagages venus renforcer les rangs des insurgés. L’armée française, bien empêtrée dans la guerre contre la Prusse, signa sa défaite pour reprendre le terrain en Algérie où de jour en jour se sont multipliés des accrochages entre les moussebiline et les forces de l’ordre colonial, entraînant de nombreux morts et blessés de part et d’autre. El-Mokrani venait de réunir plus de 25 000 hommes prêts à combattre.
Le gouvernement de Napoléon III fit débarquer à Béjaïa quatre bataillons de mobiles pour assurer une meilleure résistance à une insurrection qui prenait de l’extension. Les Ouled Oukaci étaient entrés en rébellion au moment où le djihad avait été déclaré partout. Aussi, une série d’opérations devant faire fléchir les occupants avait été planifiée : prise d’assaut de Fort national, incendies de fermes, embuscades et accrochages. Ceux qui servaient de supports à l’administration coloniale n’étaient pas épargnés. A Ammal, un caïd fut exécuté. Cela s’est passé près de Lakhdaria, connu pour ses exploits guerriers, ses condamnés exécutés et une peine, celle de Saïd Ali, commuée en déportation.

Beaucoup d’événements, de faits de guerre se sont produits durant les deux années 1870-1871, tel l’affrontement à Icheridène entre l’armée coloniale et les volontaires de la mort venus des tribus avoisinantes décidées à combattre par tous les moyens. Les mêmes combattants engagés dans le djihad à fond ont escaladé les remparts de Fort national dont ils avaient fermé les portes, coupé la conduite d’eau. Le sens du sacrifice suprême a poussé El-Mokrani à affronter en face-à-face l’ennemi, au point d’en mourir. C’était le 6 mai 1871 que le chef du général Cérez et du lieutenant-colonel Trumelet. Mais la lutte ne s’est pas arrêtée, El-Mokani fut remplacé par son frère Boumezrag sous la responsabilité de qui l’insurrection avait pris de l’ampleur en s’étendant à beaucoup d’autres villes : Annaba, Béjaïa, Constantine, Dellys, Collo, Cherchell, Tipasa. Partout l’armée coloniale avait semé le feu et la mort, en réaction au courage des moussebiline.
Le potentiel mobilisé par l’armée de la France coloniale devait compenser le manque d’expérience des soldats envoyés sur le terrain. Et pour venir à bout des insurgés, il a fallu utiliser la flotte de guerre. Le Limier, le Daim, le Jura, l’Armide, le Kleber et le Renard furent des bateaux qui ont tiré de nombreux obus sur toutes les villes côtières qu’ils pouvaient atteindre. Une grande armée fut levée en France plongée dans la misère, pour être acheminée vers l’Algérie. L’ordre avait été donné de piller, brûler, démolir des villages, couper les arbres, surtout ceux des Béni Abbès de Mokrani. C’était la politique de la terre brûlée, de la dévastation, des déportations, appliquée sans pitié, dans toute l’Algérie. Pour assurer une meilleure soumission il fallait livrer la population à la ruine, à la famine, au feu des canons, aux obus incendiaires.

Le procès de la révolte
En fait c’est un procès pour assurer la liquidation totale des accusés pour donner de l’Algérie l’image souhaitée d’un pays soumis, exploitable, prêt à devenir une colonie de peuplement. Ce qui fut vite fait. Mais dans le camp français, sont sorties quelques vérités sur le pourquoi de cette colonisation qui fait du procès des insurgés un prétexte à la politique d’occupation illégale. Ce que dit Thibaud, choisi comme avocat pour la plaidoirie de Azzi El-Haddad, est plein d’enseignements à retenir. Voici ce qui peut être un extrait de plaidoirie qui aurait pu mettre l’avocat au ban de la société française : « Nous sommes en Algérie au seul titre de conquérants, nous n’avons pas d’autres droits que celui de la force. Il y a dans ce pays trois millions de vaincus qui ont le droit indéniable de secouer le joug ; or, vous pouvez user contre eux du droit de la guerre, mais vous n’avez aucune qualité pour les traduire devant les cours d’assises. Jusqu’au jour où la conquête morale sera faite, ces hommes seront fondés à nous jeter à la mer (Me Thibaud, 5e procès pour Azziz El-Haddad) ».
Azziz El-Haddad est l’auteur d’une pétition en date du 21 juillet 1872 et dans laquelle il parle avec émotion de la situation grave dans laquelle se trouvaient les tribus : « On ne levait plus de récoltes, on n’ensemençait plus depuis trois ans. Les terres volées étaient vendues avec vainqueurs à des prix dérisoires et un hectare de terre à blé pouvait être acquis pour cinq francs. Pour punir les pères, on avait affamé les femmes et les enfants qui étaient réduits à voler, mais ils ne comprenaient pas pourquoi une femme d’El-Mokrani avait gardé la grande maison d’Alger et y vivait, mais peut-être n’était-ce que calomnie, la lettre en fourmille et ressemble même parfois à une lettre de dénonciation ».

En plus des procès et des déportations, la population déjà fragilisée devait subir d’autres injustices impardonnables : le séquestre des biens mobiliers ou immobiliers, la levée des impôts de guerre. Elle n’avait pas fini de pleurer ses morts, les terres ravagées, les douars brûlés, les troupeaux volés.
Les mesures répressives ne se limitèrent pas à ce qui vient d’être énuméré. On avait classé les faits de guerre de nos valeureux combattants comme des crimes de droit commun.
Ainsi, des milliers d’actes glorieux furent traités devant les tribunaux comme tels. A Constantine, s’est tenu un conseil de guerre, sorte de tribunal militaire, pour traiter de manière expéditive du cas d’Algériens courageux et qui avaient combattu avec acharnement les occupants étrangers et leur système d’administration. Ce fut l’affaire dite de Souk Ahras. La séance n’a été présidée que par des militaires, le lieutenant-colonel Aubry, le commandant Barutel et d’autres qui ont prononcé des sentences, pour la plupart des condamnations à mort de Goubi Ben Mohamed, El-Hadj Ahmed Trabelsi, Ahmed Ben Slimane, Bachir Ben Hamida, Djeloul Ben Ismaïl et la liste est longue. D’autres, figurant sur des listes assez longues, ont été condamnés à des peines moins graves variant entre 20, 10 ou 5 ans d’emprisonnement pour des faits mineurs.
L’auteur du livre, Germaine Mailhé qui a dû avoir accès à des archives précieusement conservées, a consacré tout un chapitre assez copieux à ces procès tenus pour la plupart par des tribunaux militaires d’exception.

Déportations en Nouvelle Calédonie

On ne sait pas au juste combien d’Algériens qui ont combattu pour défendre le pays de leurs ancêtres ont été déportés en Nouvelle Calédonie. L’auteur du livre parle de deux grands départs de décembre 1873 au 15 janvier 1874. « L’Orne » est le nom d’un grand bateau spécialisé pour le transport des condamnés à la déportation. Il y avait à son bord 537 condamnés enfermés dans des cages pour une arrivée à bon port sur l’île du Pacifique, située à des milliers de kilomètres des continents. « L’Orne » avait fait sa première traversée pour le transport des bagnards.

Puis, fin mai 1874, « La Loire » appareilla lui aussi vers la même destination pour la même mission. C’était un bateau trois ponts, initialement appelé le « Hoche », transformé en transport de guerre et qui fit le tour du monde. Tous les condamnés à la déportation qu’il y avait à son bord étaient de Constantine. Leurs compagnons de captivité avaient poussé des cris de désespoir lorsqu’on les avait embarqués à bord du « La Loire ».

D’autres convois, puisqu’il y en a eu d’autres, ont été envoyés comme des condamnés de droit commun, ce fut le cas des Djouad, envoyés d’abord au large de Saint-Martin-de-Ré avant d’être embarqués vers les terres lointaines, là où il y avait des lieux d’enfermement et une prison à ciel ouvert. En plus de la Nouvelle Calédonie, il y avait la Guyane, célèbre pour sa grande prison à Cayenne, la capitale, pas loin du Brésil. Beaucoup ont, cependant, réussi l’évasion. En les envoyant dans une île entourée de milliers de kilomètres d’océan, les Français pensaient avoir étouffé la révolte. Emile Violard relate, dans un livre assez bien documenté, le cas de Arezki El-Bachir et d’Abdouen qui ont miraculeusement regagné leur pays juste pour le temps de tuer tous ceux qui les avaient montrés du doigt aux gendarmes français. Et sitôt après s’être vengés, on avait donné ordre de les écrouer et les exécuter après un bref procès au tribunal d’Alger.
La révolte de 1870 a coïncidé avec la Commune de Paris. Les révoltés d’Algérie et les émeutiers de Paris ont eu, pendant des années, à cohabiter dans les mêmes prisons que les communards et pour mieux être punis, on leur a préféré l’internement en Nouvelle Calédonie. On peut appeler ça une prison dans une prison. La différence est que la plupart des communards ont été libérés alors que les Algériens sont devenus malgré eux des citoyens calédoniens. « Les légendes canaques », est un livre de Louise Michel, communarde qui a su donner à son ouvrage toute sa portée historique surtout en lui adjoignant un poème de Si Mohand ou M’hand dont un oncle paternel a été déporté en Nouvelle Calédonie.
Boumediène A.
Germaine Mailhé, déportation en Nouvelle Calédonie Des et de révoltes de la Grande Kabylie, 423 pages, Ed. L’Harmattan
07-08-2008

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