Ça y est ! Ce qui était prévisible est arrivé ! Pourtant, jusqu’au bout naïfs que nous sommes, nous avions cru que l’Opep servait les intérêts des pays producteurs et mettrait en oeuvre une politique de réduction de l’offre pour faire revenir les prix du pétrole à un niveau de 100 $ qui était acceptable depuis plus de deux ans, à la fois par les pays producteurs et aussi par les pays consommateurs.
Pour le ministre vénézuélien il faut pour cela réduire l’offre de 2 millions de barils/jour. Il n’en fut rien !
Ce fut un monologue : l’Arabie saoudite et les pays du Golfe sont venus asséner leur vérité. Les prix vont rester en l’état et même s’ils dégringolent jusqu’à 60 dollars nous pouvons, au vu de nos réserves de change amortir le choc. Juste après l’annonce, le prix du baril a dégringolé à 70,81$ le baril perdant 40$ depuis juin soit 30% de sa valeur. On ne rend pas service à la planète avec cette boulimie prévisible avec des prix bas. Les pays du Golfe disposent de réserves de change qui leur permettent d’amortir l’impact d’une guerre des prix. Pour la Russie, qui produit 10,5 millions de bpj, soit 11% de l’offre mondiale, sa production de brut ne baissera pas même si le baril tombe à 60 dollars. La guerre est donc déclarée, les prix du pétrole vont encore chuter plus.
Pourquoi le pétrole est bradé ?
Nous savons que le pétrole pas cher, en termes de production, appartient au passé. Malgré toute la propagande occidentale quant à l’abondance du pétrole, c’est un fait, le pétrole sera de plus en plus difficile à produire, exception faite de quelques régions du Golfe, et il coûtera de plus en plus cher. De ce fait, on s’attendait normalement à une augmentation du prix. Le discours occidental nous sature en nous disant qu’il faut faire les lois du marché, l’équilibre de l’offre et de la demande ; la main invisible d’Adam Smith est là pour réguler. Il n’en est rien ! Cette même main invisible a favorisé une spéculation extraordinaire en juillet 2008, le prix du baril a atteint le sommet de 145 $ en dollar courant que l’on a présenté comme étant exceptionnel, sauf que ces messieurs oublient qu’au début de l’exploitation du pétrole vers 1860 le pétrole coûtait plus cher que maintenant et, plus près de nous, lors de la Révolution iranienne, le prix du pétrole était de 30 $/baril plus important que les 145 $ de juillet 2008 !
En théorie donc, le pétrole devait coûter cher et les fondamentaux du pétrole nous commandent cela. Pourtant, depuis six mois on assiste à une dégringolade anormale des prix du pétrole et on explique cela par le ralentissement de la croissance, notamment en Chine, l’avènement des gaz de schiste, en oubliant de dire qu’ils ne sont pas rentables au-dessous de 80 dollars. L’avènement aussi des énergies douces, en oubliant de signaler qu’ils ne représentent que moins de 5% (exception faite de l’hydraulique) du bilan global et qu’ils ne sont pas en compétition directe avec le pétrole dans la production d’essence. Enfin, nous sommes en période hivernale dans l’hémisphère Nord et « normalement »la demande devrait être importante. Il y a donc d’autres raisons qui n’ont rien à voir avec les facteurs géologiques, le climat, la croissance, ce sont les facteurs politiques que nous allons tenter de décrypter. Tous les spécialistes avancent les mêmes raisons pour expliquer cette chute brutale. D’un côté, une demande anémiée, de l’autre, une offre pléthorique. Si la production des pays-Opep stagne autour de 30 millions de barils/jour, celle des pays non-Opep (hors États-Unis) est passée de 50 millions de barils/jour en 2005, à 56 aujourd’hui. C’est dire si la décision leur appartient aussi. Mais l’élément véritablement nouveau, c’est la révolution américaine des hydrocarbures de schiste. Les États-Unis retrouveront, en 2017, le niveau de production record atteint en 1970 : 10 millions de barils/jour. Pour les pays industrialisés, d’après les calculs de Natixis, la baisse du pétrole, cumulée à la dépréciation actuelle de la monnaie unique européenne, peut faire gagner à la zone euro « 0,5 point de PIB étalé sur deux ans. » On dit aussi La moitié de la baisse du cours du pétrole s’explique par la hausse du dollar. »
Le deal Ibn Saoud – Roosevelt
On oublie trop souvent de nos jours deux paramètres importants qui font que l’on ne comprendra rien à l’industrie du pétrole si nous ne les avons pas en tête. L’industrie du pétrole s’apparente à un jeu d’échecs. Tout commence au Moyen-Orient comme on le sait, après les explorations homériques de l’Anglo-Iranienne Oil Compagnie, de la Turkish Petroleum Company, de la Standard Oil of California de Rockfeller. Ces compagnies s’entendront pour créer ce que Enrico Mattei, fondateur de la compagnie pétrolière ENI appelle « Le Sette Sorele », « les Sept Soeurs » en cartel et avec une procédure d’entente tacite, la Red Line. Ceci fonctionna bien jusqu’à ce que les États-Uniens vainqueurs de la Première Guerre mondiale s’intéressèrent au pétrole du Moyen-Orient et demandèrent leur part du gâteau. Ce gâteau sera le plus grand, il s’agit de l’exploitation des gisements de l’Arabie saoudite sur pratiquement toute l’étendue du Royaune. Ainsi est né l’Aramco (Arabian Américain Oil Company).
Le deuxième paramètre décisif fut l’entrevue du roi Ibn Saoud et de Roosevelt sur le croiseur Quincy sur le lac Amer (Egypte) le 5 février 1945. Ce jour-là se décida le sort du monde pétrolier. Ibn Saoud accepta d’assurer la sécurité pétrolière des Etats-Unis, en échange de la protection de l’Arabie saoudite et du règlement du problème palestinien, notamment en refusant que les juifs de la diaspora s’installent en Palestine. Trois mois plus tard Roosevelt mourait. Son successeur Truman ouvrait les vannes, Israël fut admise aux Nations unies…
Il y a donc là un deal qui a été mis entre parenthèses et qui vient d’être réactivé. Il s’agit ni plus ni moins de casser les pays rentiers trop dépendants du pétrole et posant des problèmes à l’Empire. Je veux citer les deux plus importants : La Russie de Poutine et l’Iran. Ainsi, la Russie accuse l’Arabie saoudite de manipuler secrètement les prix dans le cadre d’une collusion avec les Etats-Unis, selon un porte-parole de Rosneft cité par le New York Times. Pour ce qui est de l’Iran, elle est pratiquement à genoux du fait des sanctions économiques et de plus, les négociations ont largement tourné en faveur d’un renoncement de l’Iran à son programme nucléaire. Ceci sera annoncé en juin. Une troisième aubaine pour les Etats-Unis est l’instabilité qui va prévaloir au Venezuela voisin après la période Chavez et la chute des recettes pour ce pays rentier. Comme victime collatérale, citons l’Algérie qui va souffrir de son addiction à la rente.
A quoi sert l’Opep ?
Depuis la période euphorique 1960-1980, l’Opep censée défendre les intérêts de producteurs de pétrole n’est plus qu’un faire-valoir. Elle est dépossédée de son marqueur crue : l’Arabian Light comme pétrole de référence, au profit du Brent de la mer du Nord, un gisement sur le déclin. Depuis 1974, au lendemain de ce que la doxa occidentale appelle le premier choc pétrolier, elle est attaquée par l’AIE mise en place justement pour la démolir. Elle mène alors une existence sans gloire. On l’aura compris, il n’y a plus d’Opep opérationnelle depuis longtemps et si l’Occident lui permet de perdurer il faut savoir que c’est la seule organisation tiers-mondiste qui a échappé au tsunami du néo-libéralisme et à la mondialisation laminoir qui a démoli toutes organisations de solidarité, c’est pour qu’elle discipline les récalcitrants par Arabie saoudite interposée. On prête l’intention à l’Arabie saoudite de tenter de faire passer l’idée qu’il faut laisser les cours baisser à court terme, avec un plancher à 60 dollars le baril ! La casse sera terrible. Mieux encore, l’avenir est verouillé : le secrétaire général de l’Opep, Abdoullah al Badri, a déclaré jeudi que l’organisation n’avait « aucun objectif de cours », en réponse à une question sur le seuil de 100 dollars le baril évoqué auparavant. Il n’y a donc plus de cap pour l’Opep. C’est l’Arabie saoudite – sur instruction de l’Empire – qui décide de la marche à suivre. On dit souvent que les Etats Unis sont le membre de l’Opep le plus influent… L’Opep sert les intérêts des pays industrialisés et les semblants d’étude qu’elle réalise pour justifier son budget sont toutes indexées sur des statistiques occidentales, notamment celles de l’AIE, d’autant que ces études ne mènent nulle part sachant bien que les facteurs géopolitiques sont de loin les plus prédominants. L’Opep du roi Faycal, du président Boumediene, des ministres Zaki Yamani et Belaïd Abdesselam est morte. Il est temps d’annoncer l’acte de décès de cette scorie de l’histoire.
Qui gagne et qui perd de cette nouvelle guerre ?
A la grande surprise de tous, la Libye et l’Irak que l’ont croyait incapables au vu de la guerre civile qui prévaut chez eux, ont repris leurs exportations. Business as usual. Or, en moyenne annuelle, une baisse d’un dollar par baril occasionne une perte de 700 millions de dollars. Selon les Echos.fr en date du 16/11/2014, une baisse de 35 dollars du cours du pétrole entraîne un transfert de 3 milliards de dollars par jour entre producteurs et consommateurs.
Les Etats-Unis ne bougent pas bien qu’a priori ce sont eux qui vont trinquer : ils ont des milliers de petits producteurs dont les puits ne sont plus aussi rentables, de plus, un prix bas du pétrole hypothèque l’aventure des pétrole de schiste qui ne sont rentables en théorie qu’avec un baril autour de 80 dollars. Que se passe-t-il alors ? Les États-Uniens trouvent leur compte, ils peuvent même acheter le complément avec des prix dérisoires en protégeant leurs petits producteurs par un transfert de la rente des pays rentiers vers les producteurs étasuniens. Les Européens trouvent leurs comptes, les prix à la pompe baissent. La facture européenne du pétrole s’est allégée ces six derniers mois de près d’un quart. Même des pays comme la Chine y trouvent leur compte. Selon des chiffres compilés par la banque Citigroup, le budget 2014 du Koweït se contente par exemple d’un baril à 50 dollars. Seuls vont en baver les Russes qui ont perdu l’équivalent de 35 milliards de dollars depuis la chute des prix du pétrole. La Russie a besoin d’un baril à 120 $ pour boucler son budget. Les Iraniens qui ont des difficultés puisque leur prix d’équilibre budgétaire est à 140$, les petits pays rentiers comme l’Algérie, (prix d’équilibre de 120$), le Nigeria (119$). A l’inverse, le gouvernement du Venezuela a besoin d’un baril à 161 dollars pour que ses comptes soient équilibrés. Il faut savoir que chaque dollar de moins sur la vente d’un baril au Venezuela occasionne un manque à gagner de 800 millions de $ pour l’État. Pour l’Algérie nous perdons l’équivalent de 300 millions de $ par an par dollar en moins.
L’Arabie saoudite, premier exportateur mondial, qui dans la réalité, dirige l’Opep, est contre toute baisse de la production. Ceci dans le but officiel de conserver ses parts de marché… Avec plus de 10 millions de barils/jour, l’Arabie saoudite est affectée par la baisse des prix. Le manque à gagner peut s’évaluer facilement : avec un baril à 110 dollars, la pétromonarchie empocherait chaque année 285 milliards d’euros ; un revenu qui chute à 214 milliards d’euros avec un baril à 85 dollars. L’Arabie saoudite gagne en une année ce que nous avons mis 15 ans à cumuler (200 milliards de dollars). De plus, en dix ans, les pays du Golfe ont amassé des réserves estimées à 2 450 milliards de dollars. Ils vont se contenter des prix actuels et continueront à dépenser sans compter et remettre d’une main aux pays occidentaux pour l’achat de biens ce que la nature leur a permis de l’autre.
Que fait l’Algérie dans l’Opep ?
Justement, il fut une époque où l’Arabie saoudite avait une vision à la fois pour l’Opep et le problème palestinien. On raconte que le président Boumediene a envoyé un émissaire au roi Fayçal pour l’informer qu’une décision qu’il allait prendre allait influer de façon négative sur l’économie algérienne. Il l’annula en disant : « je ne ferais rien qui puisse porter préjudice à l’Algérie. » Fayçal mourut dans des conditions troubles, Boumediene aussi. Dans ces conditions actuelles que fait l’Algérie dans cette galère de l’Opep ? Elle paye plusieurs centaines de milliers de dollars pour une participation qui ne lui rapporte rien si ce n’est des problèmes, étant obligé de se discipliner pour une cause qui n’est plus la sienne. Rappelons-nous l’histoire : En juillet 1986, le prix du pétrole est descendu à moins de 10 $, l’Arabie saoudite, encore elle sur ordre des Etats-Unis de Reagan mena une guerre contre l’Union soviétique sur le plan des hydrocarbures. Elle avait décidé de défendre ses parts de marché, dans un marché excédentaire avec les producteurs hors Opep, notamment avec le Brent de Margareth Thatcher. Pot de terre contre pot de fer. L’Opep perdit la bataille. Les prix du pétrole sont descendus en dessous de 9 dollars. L’Arabie saoudite perdit de l’argent mais elle misait sur le volume et donc elle ne souffrit pas. Par contre, pour un pays comme l’Algérie, Nicolas Sarkis, directeur de la revue PGA a calculé qu’entre 1986 et 1990 l’Algérie a perdu 18 milliards de dollars. Ceci devait contribuer à la mal-vie d’Octobre 1988 et à la décennie noire avec 200.000 morts à la clé et un pays qui, malgré une embellie de près de 650 milliards de dollars 2000-2014, n’a toujours pas mis en place une stratégie de sortie de la rente.
Devons-nous rester dans l’Opep ? La réponse est « oui », des pays l’ont fait. Ce sera un signal d’indépendance. Nous avons perdu plusieurs milliards de dollars depuis juin. Devons-nous continuer à le brader ou tenter d’amortir la consommation par des économies d’énergie ? A titre d’exemple, nous consommons 40 millions de tonnes. Nous pouvons sans beaucoup de restriction consommer 10% en moins soit l’équivalent de 4 millions de tonnes soit avec les cours actuels pour 75 dollars deux milliards de dollars. Les ajustements économiques et sociaux à venir seront douloureux.
L’Algérie doit donc profiter d’une dette extérieure faible, de son pactole de 200 milliards de dollars de réserves de change, de ces 173 tonnes d’or pour réaliser avant qu’il ne soit trop tard cette transition énergétique vers le développement durable qui tourne le dos à la rente. Il est plus que jamais nécessaire de mobiliser la société en lui faisant comprendre les enjeux pour aller vers la sobriété énergétique qui nous concerne à tous, à commencer par le budget 2015 qui doit être revu à la baisse d’au moins 20% en sériant les priorités. Nous n’avons pas d’autre choix.