La taxe des millionnaires et sept autres idées brillantes pour changer la société : la préface en exclusivité
2 mai 2015
La taxe des millionnaires et sept autres idées brillantes pour changer la société : la préface en exclusivité
Imaginez que le quotidien devienne inhabituel, et l’inhabituel, quotidien. Partant de cette idée, Peter Mertens et quinze autres personnes qui agissent tout en osant rêver ont rédigé La taxe des millionnaires et sept autres idées brillantes pour changer la société. En voici la préface.
Ce livre est une palette de huit idées surprenantes qui lancent un défi créatif à la société. C’est ainsi que naît le changement : de la taxe des millionnaires à la semaine de 30 heures, du modèle de logement viennois aux soins de santé sans seuil financier, de l’enseignement à la finlandaise à des villes sans empreinte climatique, du test pratique sur le racisme au referendum contraignant.
Imagine
Imaginez que le décrochage scolaire devienne une expression en voie de disparition. Imaginez que l’on ne travaille plus que 30 heures par semaine et que l’on puisse ainsi consacrer du temps à la musique, au sport, à la culture ou simplement à être ensemble. Imaginez qu’il n’y ait plus de crise du logement, plus de seuil financier à une visite chez le médecin et plus d’impunité au racisme. Que nous vivions sans empreinte climatique, que nous puissions réellement décider nous-mêmes de ce qui nous concerne.
Affirmer qu’il n’existe pas d’alternative à un produit est une habile stratégie marketing
Oui, imaginez que le quotidien devienne inhabituel, et l’inhabituel, quotidien.
Quand avons-nous arrêté de rêver ? Quand avons-nous limité notre champ de vision au prochain virage de la route ? Quand avons-nous commencé à croire qu’en dehors de la débrouille quotidienne il ne pouvait exister d’autre perspective ?
« La société, c’est quoi ça ? »
Affirmer qu’il n’existe pas d’alternative à un produit est une habile stratégie marketing – ce qu’on appelle de manière plus sophistiquée en anglais du framing. On fixe solidement un cadre, on en ferme toutes les issues et on fait en sorte que tout le monde pense bien à l’intérieur de ce périmètre. C’est précisément ce qu’ont fait les économistes libéraux radicaux de l’École de Chicago. Sur les tables du campus de la faculté d’économie, ces Chicago boys ont dessiné une nouvelle vision de société. Claire et simple : il n’y a aucun problème au monde qui ne soit dû à l’État. La crise ? Supprimez les plus hauts barèmes fiscaux. Les besoins en logement ? Démantelez le logement social. Les émissions de carbone ? Cotez-les en bourse. Les mauvaises écoles ? Privatisez l’enseignement, et les crèches aussi. L’associatif ? Finissez-en avec l’action collective et l’empowerment, et remplacez ça par des institutions caritatives.
Oui, réduisez l’État à un minimum ; et si chacun court après son propre intérêt, l’intérêt de chacun sera maximalisé. « La société, c’est quoi ça ? », avait lancé Margaret Thatcher, pour qui il n’existait qu’une somme d’individus. Le chômage ? Un signe d’échec personnel. Le burn-out, les problèmes psychiques, la pauvreté : c’est votre faute, bien fait pour vous ! En un tour de main, la société avait disparu, et plus personne ne parlait de solutions structurelles. Génial, non, ce marketing de l’École de Chicago ?
Des grands projets de société
À cette époque, les thèses des radicaux de l’École de Chicago sont apparues comme une vision alternative. Ce qu’ils avançaient allait diamétralement à l’encontre de ce qu’on pratiquait en matière sociale. En effet, depuis le milieu du 20e siècle, de nouvelles convictions avaient surgi des monceaux de ruines du gigantesque incendie mondial. Sur tous les continents, hommes et femmes s’étaient mobilisés et, ensemble, ils avaient accompli une tâche extraordinaire : vaincre le fascisme. Si un engagement collectif avait pu réaliser un tel travail de titan, il était donc capable de s’assigner de grands projets de société afin de répondre à la crise et aux problèmes qui avaient engendré le fascisme. Finis les lois impitoyables pour les pauvres, les systèmes caritatifs de survie et l’idée que le chômage est la conséquence d’une déficience personnelle ! Des protections sociales universelles ont alors été instaurées. Certes, pour cela, il a encore fallu pas mal de luttes, mais les Nations unies ont bel et bien fixé des droits collectifs : chaque être humain a droit au travail, à la santé, au logement, à l’enseignement, à une vie sans discrimination. Personne ne peut être un laissé-pour-compte : « An injury to one is an injury to all » (une attaque contre un est une attaque contre tous), affirme la devise syndicale. La société, ça se construit et se travaille ensemble.
Les cinglés
Telle a été la pensée dominante dans les deux décennies qui ont suivi la fin de la guerre en 1945. Bien sûr, ce n’est pas pour autant que ces objectifs se sont immédiatement et entièrement traduits dans la réalité. Mais la volonté allait dans une direction claire : garantir des droits de base. C’est alors que ces cinglés de l’École de Chicago ont débarqué en clamant que l’émancipation et les droits sociaux n’étaient qu’un tas de foutaises. Le sens de notre vie et notre priorité devaient être d’amasser de la richesse. De préférence beaucoup, et le plus vite possible. Et le rôle de l’État, c’était de favoriser ça, au lieu de s’occuper du logement, de l’approvisionnement en énergie, des institutions de santé, des organes de concertation, de projets pédagogiques et autres détails. « Complete fruitcakes » (des cinglés complets), c’est ainsi qu’ont été nommés les premiers think tanks bleu foncé qui vendaient les nouvelles idées néolibérales.
Il fut un temps où les congés payés et la semaine de cinq jours étaient considérés comme des absurdités. Jusqu’à ce qu’ils deviennent réalité.
Cela n’a en rien dérangé les Chicago boys qui ne manquaient pas d’audace et débordaient d’ambition. Partant d’une position marginale, ils ont fini par conquérir la planète. Il y a d’abord eu Pinochet, dont la main pouvait difficilement être qualifiée d’invisible pour soutenir le libre marché. C’est avec Reagan et Thatcher que s’est opérée la vraie percée, rejoints par la suite par les sociaux-démocrates sous le label trompeur de « troisième voie ». Dans la foulée, toutes sortes de régionalistes et nationalistes ont rallié le courant. Ce n’est pas un hasard si notre ministre des Finances, Johan Van Overtveldt, écrivait encore en 2012 les louanges de Milton Friedman, le chef de file de l’École de Chicago, dont les idées radicales du « moi-je » étaient devenues hégémoniques.
L’École de Chicago a toutefois involontairement prouvé une chose : que la société peut changer et que l’on peut mettre en pratiques des idées qui semblaient totalement insensées auparavant. Simplement, ce changement ne s’est pas déroulé dans le sens de l’intérêt général, ce concept ayant lui-même été aboli.
Lorsque tous les rêves d’avancée vers une plus grande émancipation furent sacrifiés sur l’autel des profits immédiats de l’idéologie du marché, c’est la pensée unique se hissa sur le trône. L’argent devint un dieu, et ce dieu devint argent. Les paramètres de la nouvelle pensée furent fixés, et ses frontières, gardées par Tina – There Is No Alternative, il n’y a pas d’alternative. Et c’est alors que nous avons arrêté de rêver. Le grand écrivain José Saramago a décrit ce moment de la façon suivante : « Nous vivons un temps dont l’idéologie s’appelle pensée unique, mais nous approchons dangereusement d’un temps sans pensée, sans réflexion aucune. »
La fin du « temps sans pensée »
Ce « temps sans pensée » est désormais bien fini. L’hégémonie de l’École de Chicago agonise. Partout, des mouvements, des personnalités du monde académique, des jeunes, des auteurs et des créateurs culturels font du petit bois du refrain dépassé de The winner takes it all (le vainqueur emporte tout). Parmi nous, les Grecs ont ouvert les fenêtres, ils ont soufflé sur la poussière et les toiles d’araignée et ont à nouveau rendu un vrai débat possible. Comme disait Einstein, « on ne peut pas résoudre un problème avec le même type de pensée qui l’a créé ». Le monde bourdonne à nouveau de propositions novatrices, de rêves et de solutions structurelles qui remettent en question le statu quo. Ceux qui se cramponnent au vieux monde néolibéral balayent tout cela d’un revers de la main : il s’agirait de foutaises et d’élucubrations irréalistes. Les jeux de pouvoir, l’arrogance et une politique de « talon de fer » se profilent comme l’orgueil avant la chute. « Tic tac tic tac tic tac, scandent en masse les Espagnols, l’heure du changement social approche. »
Il y a peu, Thomas Blommaert des éditions EPO m’a téléphoné pour me proposer de contribuer à la rédaction d’un livre sur les idées d’avenir audacieuses. Un livre écrit par la génération « Comment osent-ils ? ». Une nouvelle génération, pas tant en âge – même si c’est bien sûr le cas –, mais bien plus encore en idées. Ce ne sont pas des lanceurs d’alertes qui pointent du doigt ce qui ne va pas, ni les fans d’une Radio Nostalgie de temps depuis longtemps révolus, mais des bâtisseurs d’avenir et des sculpteurs du renouveau. Et, quand il s’agit d’audace et d’ambition –, mais cette fois pour l’intérêt général – je réponds présent. Le projet d’une suite à mon livre Comment osent-ils ? a donc été reporté à plus tard et je me suis joint à quinze personnes enthousiastes pour réaliser ce projet collectif.
Parmi ces personnes, certaines exercent également depuis 2012 ou 2014 un mandat dans un conseil communal, un conseil de district ou au Parlement. Mais tous tirent leur engagement du terrain : d’un quartier, de l’école, du lieu de travail, de la vie… Ce sont des gens qui agissent – les manches retroussées et les pieds bien sur terre – et qui pourtant ont encore des rêves. Dans ce livre, ces seize acteurs de terrain qui osent rêver ont rassemblé en une palette colorée huit idées surprenantes qui mettent au défi la société. C’est ainsi qu’apparait le renouveau : des soins de santé sans barrières financières à la grande ville climatiquement neutre, de la semaine de trente heures au modèle de logement viennois, de la taxe des millionnaires au référendum d’initiative populaire, et du système d’enseignement finlandais au testing anti-discriminations. Imaginez : un livre ouvert qui fait partie d’un mouvement plus large et plus profond, d’un nouveau printemps social encore bien plus coloré.
« Cela semble toujours impossible, jusqu’à ce qu’on le fasse. », disait Nelson Mandela. Sortir les enfants de la mine et instaurer l’obligation scolaire était pour certains totalement insensé. Jusqu’à ce que cela se fasse. Il fut un temps où les congés payés et la semaine de cinq jours étaient considérés comme des absurdités. Jusqu’à ce qu’ils deviennent réalité.
Imaginez : une bouffée d’oxygène pour inspirer le changement.
Peter Mertens (Red.), La taxe des millionnaires et sept autre brillantes idées pour changer la société, 2015, Éditions Solidaire, 15 €.
Les 8 Brillantes idées :
1. La taxe des millionnaires (Peter Mertens et Marco Van Hees)
2. Retrouver le temps de vivre : la semaine de 30 heures (Maartje De Vries et Benjamin Pestieau)
3. La valse viennoise du logement (Mathilde El Bakri et Nadine Peeters)
4. Sans argent chez le généraliste (Sofie Merckx et Tim Joye)
5. Un enseignement pour les mains, la tête et le cœur (Michaël Verbauwhede et Mie Branders)
6. Une ville neutre en carbone (Liza Lebrun et Tom De Meester)
7. Le testing anti-discriminations (Youssef Handichi et Dirk De Block)
8. Le référendum d’initiative populaire (Jos D’Haese et Line De Witte)