Rien, absolument rien, ne va plus au Moyen-Orient. Il semble n’y avoir plus d’espoir, plus de ferveur. Tout ce qui était pur a été traîné dans la boue. Tout ce qui était grand a été volé ou brisé par des intervenants extérieurs. L’enthousiasme a été raillé, puis brisé ou réduit en cendres, ou démoli par des chars et des missiles.
La corruption prospère – une corruption qui avait inondé toute cette région dés le lendemain de la colonisation Occidentale, puis qui a été soutenue par le régime impérialiste mondial actuel.
La terre du Moyen-Orient est fatiguée ; elle pleure d’épuisement. Elle est marquée par les guerres. Elle est parsemée de puits de pétrole et de carcasses de véhicules blindés. Il y a des cadavres partout ; enterrés, réduits en poussière, mais toujours présents dans les esprits des survivants. Il y a des millions de cadavres, des dizaines de millions de victimes, qui hurlent à leur manière en silence, qui refusent de reposer en paix, qui pointent leurs doigts accusateurs.
C’est sur cette terre que tant de choses ont commencé. L’Europe n’était rien du temps de Byblos et d’Erbil, quand une civilisation légendaire se formait en Mésopotamie, quand Alep, le Caire et Al-Qods n’avaient pour rivales que les grandes villes de Chine…
Et c’est là que la grandeur, le progrès, la politesse et la gentillesse ont été brisés et plongés dans le sang par les Croisés, et plus tard par la racaille colonialiste.
Les Européens aiment dire que cette partie du monde est maintenant « arriérée », parce qu’elle n’aurait jamais connu la Renaissance. Mais avant d’être brisée et humiliée, cette région était déjà bien plus avancée que la Renaissance, en suivant son propre chemin. C’est d’ici qu’une Europe médiévale primitive et agressive a tiré la plupart de ses connaissances.
Tout cela ne veut rien dire maintenant. Il ne reste pratiquement rien de ce passé glorieux. De grandioses villes arabes qui affichaient jadis leurs concepts socialistes fabuleux, parmi lesquels des hôpitaux et universités publics et gratuits – et ceci plusieurs siècles avant Karl Marx – étouffent désormais dans la pollution et l’absence quasi totale de services publics. Tout a été privatisé et les monarques, généraux et mafias corrompus tiennent fermement les leviers du pouvoir, de l’Egypte jusqu’au Golfe.
Les peuples aspiraient exactement au contraire. Après la Seconde Guerre mondiale, de l’Afrique du Nord à l’Iran, ils optèrent pour différents formes de socialisme. Mais ils n’ont jamais été autorisés à suivre leur propre chemin. Tout ce qui était laïc et progressiste fut brisé, détruit par les maîtres occidentaux du monde. Puis vint la deuxième vague d’états semi-socialistes : la Libye, l’Irak et la Syrie. Ces derniers ont été bombardés et détruits aussi, car rien de socialiste, rien qui puisse être au service du peuple n’est toléré dans le « tiers monde » tel que conçu par Washington, Londres et Paris.
Des millions sont morts. L’impérialisme occidental a orchestré des coups d’état, dressé des frères les uns contre les autres, bombardé des civils et envahi directement lorsque tous les autres moyens pour atteindre ses objectifs hégémoniques avaient échoué.
Il a créé, et « éduqué » une importante couche de serviteurs cyniques de l’Empire, la couche des nouvelles élites qui n’ont de comptes à rendre qu’aux gouvernements à Washington, Londres et Paris, et qui traitent leurs propres populations avec mépris et brutalité. Cette couche est maintenant au pouvoir dans presque toute la région, et entièrement soutenue par l’Occident, et donc extrêmement difficile à éjecter.
Récemment, à « l’Université Américaine » de Beyrouth, l’un des enseignants locaux m’a dit « cette région est condamné à cause de la corruption ». Mais d’où vient cette corruption, me suis-je demandé à voix haute. Les uns après les autres, les dirigeants laïcs et socialistes du monde arabe ont été éliminés, renversés. L’Empire a mis au pouvoir les voyous de la pire espèce, les monarques et dictateurs les plus rétrogrades.
La vérité est que les peuples du Moyen-Orient, comme ceux d’Afrique, ont perdu tout espoir d’être un jour autorisés à élire des gouvernements qui les défendent et représentent leurs intérêts. Ils sont tombés en « mode survie », à l’individualisme extrême, au népotisme et au cynisme. Ils y étaient obligés, pour survivre, pour pouvoir maintenir leurs familles et leurs clans à flot dans un monde qui leur a été imposé par d’autres.
Le résultat est atroce : l’une des civilisations les plus avancées de la terre a été convertie en l’une des plus rétrogrades.
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Le résultat, c’est l’amertume, l’humiliation et la honte qui prévaut dans tout le Moyen-Orient. Il y règne une ambiance malsaine.
Les voyous à Beyrouth, Amman, Erbil, Riyad et Le Caire conduisent des berlines et 4×4 européennes rutilantes. Des centres commerciaux de luxe neufs et même flambant neufs offrent de grandes marques de luxe pour ceux qui font d’énormes profits avec les crises de réfugiés provoquées par l’Empire, ou grâce au pétrole extrait par les travailleurs immigrés maltraités. Des femmes de ménage d’Asie du Sud humiliées, souvent torturées, violées et maltraitées, sont assises sur les sols en marbre des centres commerciaux en attendant leurs maîtres qui se livrent à des orgies de nourriture et de shopping effrénées et dépenser l’argent qu’ils ont gagné sans jamais travailler.
Ces collaborateurs sont extrêmement bien récompensés pour servir l’Empire, pour faire marcher les affaires et assurer le pompage des puits de pétrole, pour fournir du personnel aux agences des Nations Unies et donner une légitimité à cet état grotesque des choses, pour laver les cerveaux de la jeunesse locale dans les écoles et universités parrainées par l’Occident.
Tout ceci est extrêmement pénible à observer et difficile à supporter, à moins d’être sur une certaine « longueur d’ondes », vacciné, indifférent, lobotomisé et résigné à cet état du monde.
Bien sûr, le Moyen-Orient n’est pas une exception – c’est juste une partie de ce que je décris souvent comme la « ceinture » des Etats asservis à l’Occident ; une ceinture qui serpente de l’Indonésie par la quasi-totalité de l’Asie du Sud-Est, puis par le sous-continent et le Moyen-Orient, jusqu’au Kenya, au Rwanda et à l’Ouganda.
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A présent l’Arabie Saoudite bombarde le Yémen. Elle le fait pour fournir un appui total au régime pro-occidental sortant, et pour porter des coups aux musulmans chiites. Les actions saoudiennes récentes, comme tant d’actions précédentes de cet État brutal asservi à Washington, ouvriront la voie au terrorisme, et tueront des milliers d’innocents. De manière choquante, cela fait probablement partie du plan.
Je suis en permanence invité à des émissions de radio et de télévision, pour parler de tout ça. Mais que peut-on dire de plus ?
Les horreurs des agressions occidentales, israéliennes, saoudiennes et turques (directes et indirectes) se répètent, année après année, dans différentes parties du Moyen-Orient. Des gens sont tués, beaucoup de gens, même les enfants. Il y a quelques protestations, quelques accusations, un peu d’ « agitation », mais à la fin, les agresseurs s’en tirent toujours. En partie grâce aux médias de masse en Occident qui déforment tous les faits, encore et encore, et qui le font avec beaucoup d’efficacité. Et la plupart des médias arabes se sourcent directement à la propagande occidentale, pour ensuite la rediffuser à leurs propres populations, sans vergogne. Et aussi parce qu’il n’existe aucun système juridique international efficace qui pourrait punir les agresseurs.
Lorsque les actes ou le véritable terrorisme sont commis, l’ONU est introuvable. De temps en temps, elle se déclare « préoccupée », et parfois même « condamne » les agresseurs. Mais il n’y a jamais de sanctions ou d’embargos imposés contre Israël ou les États-Unis, ni même l’Arabie Saoudite. Il est entendu que l’Occident et ses alliés sont « au-dessus des lois ».
Ce qui envoie des signaux forts aux dirigeants du Moyen-Orient. L’armée égyptienne, qui a tué des milliers de pauvres juste après s’être emparée du pouvoir par un coup d’état en 2014 (et qui n’est généralement pas qualifiée de coup d’état), est redevenue « admissible à l’aide militaire des États-Unis ».
Les élites égyptiennes totalement prostituées ont dansé dans les rues du Caire lors du coup d’Etat, à l’instar des élites du Chili en 1973. Je les ai vues, lorsque je tournais un documentaire pour la chaîne sud-américaine Telesur, un documentaire sur comment l’Occident a saboté le printemps arabe. Ils posaient devant mes caméras, applaudissaient et me prenaient dans leurs bras, pensant que j’étais un des hommes de main des États-Unis ou de l’Europe.
Je me suis récemment retrouvé avec une employée égyptienne des Nations Unies qui m’a fixé d’un regard menaçant :
« Un coup d’état ? » murmura-t-elle. « Vous appelez ça un coup d’état ? Le peuple égyptien ne l’appelle pas un coup d’état ».
Comment contredire une représentante si respectable de la nation égyptienne ? J’ai remarqué que les élites égyptiennes pro-occidentales aiment à se présenter comme « le peuple égyptien », comme si elles faisaient partie de ceux qui vivent loin de leurs demeures et limousines avec chauffeur.
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Il y a des dizaines de millions de personnes déplacées dans cette partie du monde. Elles viennent d’Irak, de Syrie et de la Palestine. Il y a de nouveaux réfugiés et des réfugiés qui le sont depuis des décennies. Il y aura très probablement bientôt quelques millions de réfugiés yéménites supplémentaires.
Rien qu’au Liban, 2 millions de réfugiés syriens vivent un peu partout, certains louant des cabanes ou des maisons et d’autres, lorsqu’ils en ont les moyens, des appartements à Beyrouth. Mais il y en a des centaines de milliers, ceux de la vallée de Bekaa et ailleurs, qui n’ont pas été inscrits par l’ONU et les autorités locales. Des réfugiés m’ont dit que beaucoup d’entre eux ont fait demi-tour. Sans inscription, pas de rations alimentaires, pas d’éducation pour les enfants et pas de soins médicaux.
J’ai vu des réfugiés de plusieurs villes irakiennes, à Erbil, dans le Kurdistan sous administration irakienne. Ils fuyaient l’Etat Islamique, qui a été créé par l’Occident.
Un scientifique nucléaire, Ismaël Khalil, originaire de l’Université de Tikrit, m’a dit : « Tout ce que je possédait a été détruit… Les Américains sont la principale cause de cette folie – de la destruction totale de l’Irak. Vous pouvez demander à n’importe qui, à n’importe quel enfant, et vous aurez la même réponse… Nous appartenions tous à une grande et fière nation. Maintenant, tout est morcelé et ruiné. Nous n’avons plus rien – nous sommes tous devenus des mendiants et des réfugiés dans notre propre pays … je me suis enfui il y a cinq mois, après que l’EI ait dévasté mon université. Et nous savons tous qui est derrière : les alliés de l’Occident : l’Arabie Saoudite, le Qatar et d’autres… »
Plus tard je me tenais sur ce qui restait d’un pont reliant les deux rives de la rivière Khazer, à quelques kilomètres de la ville de Mossoul. L’EI a fait sauter le pont. Quelques villages autour ont été détruits par les bombardements américains. Un colonel kurde qui me montrait la zone était fier de préciser qu’il avait été formé au Royaume-Uni et aux États-Unis. C’était de la folie totale – toutes les forces unies dans la destruction de l’Irak avaient les mêmes origines : les États-Unis, l’OTAN et l’Occident !
A quelques kilomètres de la ligne de front, il y a des champs de pétrole, mais la population locale dit que les compagnies pétrolières ne faisaient que voler leurs terres ; il n’y avait aucune retombée sur les communautés locales. Tandis que les flammes des raffineries de pétrole brûlaient, les populations locales grattaient le sol à la recherche de racines et de plantes, pour survivre.
Et il y avait aussi un camp de réfugiés syriens à proximité. Mais les réfugiés étaient filtrés. Seuls ceux qui exprimaient leur haine du président al-Assad étaient autorisés à rester.
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Beyrouth est symbolique de ce qui se passe dans l’ensemble du Moyen-Orient.
Jadis glorieuse, la ville se classe désormais en bas des indices de qualité de vie. Avec pratiquement aucun transport en commun, elle s’étouffe, polluée et embouteillée. Les coupures d’électricité sont fréquentes. Des quartiers misérables sont visibles partout. L’éducation et les soins médicaux sont surtout privés et inabordables pour la grande majorité des habitants. L’argent sale propulse la construction d’immeubles d’habitation luxueux, de centres commerciaux chics et de restaurants hors de prix.
Les voitures de luxe sont partout. Appartements de luxe, yachts, véhicules et vêtements de marque sont les seules unités de mesure de la valeur.
Tout ceci est totalement grotesque, étant donné qu’il y a 2 millions de réfugiés syriens qui luttent pour survivre partout dans ce petit pays. Il y a de vieux réfugiés palestiniens dans des camps déprimants. Il y a les Bédouins détestés et discriminés, il y a les bonnes asiatiques et africaines, victimes de violences…
« Le travail est une punition », affirme un credo local. Personne ne prend vraiment la peine de travailler.
Il y a beaucoup d’argent, mais la plupart ne vient pas du travail. D’énormes quantités proviennent du trafic de drogue, de « l’hébergement des réfugiés », des affaires en Afrique et ailleurs, et des envois de fonds de ceux qui travaillent dans le Golfe.
Israël est la porte d’à côté. Il est menaçant, et périodiquement il attaque.
Le Hezbollah est le seul grand mouvement dans le pays qui se bat pour le bien-être social de la population. Il se bat aussi contre Israël lorsque ce dernier envahit. Et maintenant, il est aux prises avec l’EI dans un combat épique. Mais le mouvement figure sur la liste des organisations terroristes dressée par l’Occident, parce qu’il est chiite, et parce qu’il est trop « socialiste » et trop critique envers l’Occident.
A Beyrouth, tout est possible. Les riches dépensent leur argent à tour de bras. Ils conduisent leurs voitures et motos de luxe sans silencieux, écrasant les gens sur les passages pour piétons, et ne cèdent jamais le passage. Ils sont principalement formés en Occident et trilingues (arabe, français et anglais). Ils font la navette entre la ville et l’Europe comme s’il s’agissant d’un village voisin.
À Beyrouth, la seule chose qui compte c’est le besoin de paraître des classes supérieures.
Les pauvres – la majorité du peuple libanais – n’existent pas. On n’entend jamais parler d’eux. Ils sont hors-sujet.
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Ceux qui règnent sur le Moyen-Orient sont corrompus, cyniques et antipatriotiques.
Et ils ont peur, parce qu’ils savent qu’ils ont trahi leurs propres peuples.
Et plus ils ont peur, plus leurs tactiques sont brutales. Je les vois en action, à Bahreïn, en Egypte, en Irak et ailleurs.
La plupart des mouvements et partis de gauche au Moyen-Orient ont été détruits, achetés ou dévoyés. La politique n’est plus qu’une question de clans, de sectes religieuses et d’argent. Les idées de gauche n’existent pratiquement plus. On ne connaît rien du Venezuela, de l’Équateur, de la Chine ou de la Russie. Les pauvres aiment la Russie, parce qu’ « elle est contre l’Occident », mais il y a très peu de compréhension du monde en dehors du Moyen-Orient et de l’ancien maître colonial – l’Europe.
Rien ne se semble aller au Moyen-Orient, ces jours-ci.
De nouveaux rapports nous parviennent, accusant Israël d’interroger et de torturer de jeunes enfants palestiniens.
Le Yémen, cette terre ancienne pour laquelle j’ai eu un coup de foudre, il y a de nombreuses années, est à feu et à sang.
Deux berceaux de la civilisation – l’Irak et la Syrie – sont totalement déchiquetés et dévastés.
La Libye se disloque, probablement de manière irrémédiable, et n’est plus un pays.
L’Egypte est une fois de plus sous un terrible joug militaire.
Les Chiites à Bahreïn et en Arabie saoudite souffrent d’une grande discrimination et de violences.
Les gens meurent ; des personnes sont déplacées, victimes de discriminations. Il n’y a pas de justice, pas de justice sociale pour la majorité, le même scénario qu’en Indonésie, que dans le sous-continent, qu’en Afrique de l’Est, comme partout où l’impérialisme occidental et le néolibéralisme ont réussi à s’imposer.
L’Occident a travaillé très dur pour transformer le Moyen-Orient en ce qu’il est devenu. Il a fallu des siècles pour transformer cette partie du monde, d’une grande et profonde culture, en une scène d’horreur. Mais c’est fait !
Le reste du monde devrait observer et apprendre. Il ne faut pas que cela se reproduise ailleurs. C’est en un « Couloir Asie du Sud-Afrique de l’Est » que l’Occident veut transformer toute la planète. Mais il ne réussira pas, car il y a l’Amérique latine, la Chine, la Russie, l’Iran, l’Afrique du Sud, l’Erythrée et d’autres pays fiers et déterminés qui se dressent sur son chemin.
Et le Moyen-Orient, un jour, se dressera aussi. Les gens exigeront ce qui leur est dû. Ils exigeront la justice. Récemment, ils ont essayé mais ils ont été écrasés. Je n’ai aucun doute qu’ils n’abandonneront pas – ils vont essayer encore et encore, jusqu’à la victoire.
Andre Vltchek
Traduction « croisons les doigts, mais pas les bras » par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.