Lendemains difficiles en Tunisie, après l’attentat perpétré vendredi contre les clients de l’hôtel Marhaba, qui a fait 38 morts. Trois mois seulement après celui du Bardo, qui en avait déjà fait 22, ce nouveau carnage fait ressortir les fragilités d’un pays qui, malgré un processus de transition souvent loué, reste confronté à de lourds défis sécuritaires, mais aussi politiques et économiques. De plus en plus critiquées pour leur incapacité à y faire face, les autorités répliquent en multipliant les messages de fermeté, faisant craindre un tour de vis sécuritaire.
«Nous prendrons des mesures, certes douloureuses mais qui sont désormais nécessaires», a tonné d’une voix martiale le président de la République, Béji Caïd Essebsi, accouru sur les lieux quelques heures après le drame. Il n’a pas donné beaucoup plus de précisions, mais s’en est pris directement à la récente campagne «Où est le pétrole ?», qui appelait les autorités à plus de transparence dans ce secteur et qui a dégénéré en violences dans plusieurs villes du Sud.
«C’est une campagne parfaitement orchestrée, qui ne vise pas la vérité mais la remise en cause de l’ordre démocratique, où l’Etat est présenté comme un ensemble de voleurs potentiels. On n’est plus dans le cadre du débat démocratique, la violence s’exerce aussi par les paroles, qui peuvent pousser à la violence physique», assène dans la même ligne Kamel Jendoubi, le ministre chargé des Relations avec la société civile, assurant toutefois qu’il «ne s’agit pas de remettre en cause les libertés et les droits fondamentaux».
«Tout cela fragilise la construction démocratique»
Le drame de Sousse intervient dans un contexte politique déjà quelque peu délétère. Arrivé en tête aux dernières élections fin 2014, sur la promesse de rétablir la sécurité et de remettre le pays en ordre de marche, le parti Nidaa Tounes, et le gouvernement, où il est majoritaire, peinent à convaincre. L’apaisement social sur lequel il misait n’est pas à l’ordre du jour, bien au contraire : les conflits sociaux durs se sont multipliés, ce printemps. Beaucoup de Tunisiens critiquent aussi l’absence de vision, de programme économique. L’appareil sécuritaire, qui n’a pas été réformé depuis la révolution, apparaît toujours peu taillé pour faire face aux nouveaux types de menaces.
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«L’attentat mine la confiance dans le système, note l’analyste Selim Kharrat. La faille se creuse entre la population et la nouvelle élite élue, il faut s’attendre à un florilège de messages nostalgiques de Ben Ali. Tout cela fragilise la construction démocratique. Au nom de la sécurité, on va limiter les libertés publiques et individuelles. D’autant que la demande de sécurité va augmenter, donc on pourra toujours dire que c’est le souhait des Tunisiens.»
Pour l’heure, concrètement, le chef du gouvernement, Habib Essid, a détaillé vendredi soir une série de mesures d’urgence. Mais beaucoup doutent de leur efficacité ou s’étonnent qu’elles n’aient pas été prises plus tôt. Les 80 mosquées qui échappent encore à la tutelle de l’Etat seront fermées en une semaine, une promesse renouvelée par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis deux ans. D’autant qu’il s’agit là davantage de constructions anarchiques que de lieux de propagande jihadiste.
«Le déni continue»
De même, les formations politiques et associations religieuses seront plus contrôlées, éventuellement dissoutes. Dans la ligne de mire notamment, le parti Ettahrir, une mouvance radicale qui prône la charia et l’instauration du califat, mais sans recourir à la violence. Parmi les autres mesures annoncées, le recours aux réservistes de l’armée, le déploiement de 1000 agents supplémentaires dans les zones touristiques et la présence de policiers armés sur les plages.
Le seul début d’autocritique est venu d’Ennahdha, qui a une participation symbolique dans l’exécutif, avec un seul ministre. «Ce qui s’est passé prouve qu’il y a des défaillances sécuritaires, a déclaré Rached Ghannouchi, le leader du parti islamiste. Ce gouvernement doit se remettre en question.» Pour le reste, alors que les jeunes Tunisiens forment le plus gros contingent de combattants étrangers en Syrie, le discours d’une partie de la classe politique continue de présenter le terrorisme comme un phénomène exogène, venu de l’extérieur. Il n’est pas rare non plus d’entendre que ce type d’attentats peut frapper «partout dans le monde». «Le déni continue, critique Selim Kharrat. On ne veut pas admettre que la Tunisie est sérieusement touchée par ce phénomène.»