En moins d’une semaine sont tombées Ramadi, une des capitales de province d’Irak, et Palmyre, cette oasis au nord-est de Damas qui abrite les ruines monumentales d’une grande ville qui fut l’un des plus importants foyers culturels du monde antique.
Combiner ces deux fronts et l’emporter à chaque fois aura été un véritable coup gagnant pour le calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi. Arrêté presque par erreur en 2004, ce dernier passera dix mois dans les geôles étasuniennes en Irak avant d’être relâché. Il est aujourd’hui au faîte de sa gloire. Et même si ses djihadistes ont connu récemment des pertes après avoir engagé une majeure partie de leurs forces, ils ont aussi dispersé des adversaires plutôt coriaces : des milices chiites et le Hezbollah, qui soutiennent Bagdad et Damas, ont été soumis à une si rude épreuve que le premier ministre irakien Haïder al-Abadi est allé solliciter la Russie en vue de se faire livrer des armes au plus tôt.
La situation urge en effet. Malgré les raids de la coalition dirigée par les États-Unis, l’État islamique a repris plus de la moitié du territoire syrien, soit près de 90.000 km2. L’Oncle Sam, après l’invasion de 2003, n’a en fait jamais contrôlé l’Irak. Il s’est contenté d’assurer la surveillance du territoire, sans jamais véritablement sortir des casernes ou de la fameuse Green Zone. Concrètement, les Occidentaux ont disparu du paysage de l’ancienne Mésopotamie, laissant prospérer le chaos qu’ils ont contribué à instaurer. Les djihadistes terrorisent aujourd’hui non seulement les populations mais administrent des villes entières comme Raqqa, extrayant même du pétrole tout en en faisant commerce. Falloujah est à ce titre devenue un symbole pour l’État islamique. C’est là en effet que tout a commencé pour ce dernier. Il y gère tous les aspects de la vie quotidienne. Les djihadistes ont mis en place une administration, une justice. Les rues sont nettoyées tous les jours… L’organisation dirigée par Abu Bakr el-Baghdadi a le sens de l’organisation. Elle fournit ainsi des denrées de première nécessité aux commerçants comme la farine ou le riz pour les vendre à des prix cassés. Elle aurait également mis en place un système pour payer les propriétaires de générateurs électriques, assurant de facto le courant dans les quartiers de la ville qui en étaient jusque-là privés. Ce modèle serait appliqué dans toutes les zones syriennes et irakiennes tombées sous le contrôle de l’EI, signe d’une volonté de rassurer et de gagner la sympathie des populations locales et des plus démunis. Les djihadistes peuvent en effet se permettre ces largesses… car ils sont riches. Selon les estimations des services de renseignement américains rendues publiques en septembre 2014, l’État islamique engrangerait jusqu’à trois millions de dollars quotidiennement, ce qui en fait l’une des organisations terroristes les plus riches de l’histoire.
Magnanimes d’un côté, les djihadistes sont impitoyables de l’autre. L’État islamique pourrait ainsi avoir commis des crimes contre l’humanité, crimes de guerre et de génocide en Irak, selon un rapport de l’ONU publié fin mars. Ce rapport dit avoir les preuves qui « suggèrent fortement » que l’EI a perpétré un génocide contre la communauté yézidie avec l’intention de la détruire en tant que groupe. Ce n’est pas tout : les disciplines du calife al-Baghdadi ont également infligé un traitement brutal à d’autres groupes ethniques, indique le rapport, notamment les chrétiens, les Kurdes et les Mandéens.
S’il existait vraiment un choc des civilisations entre l’Occident et le monde islamique, on pourrait dire que les Étasuniens et les Occidentaux seraient tombés à pieds joints dans le piège tendu par l’État islamique et ses alliés sunnites (lesquels comprennent les monarchies du Golfe et la Turquie).
Loin de faire plier le djihadisme, les guerres menées par l’Occident depuis l’ère Bush l’ont au contraire renforcé en multipliant ses foyers. Le mode d’action militaire n’est pas remis en cause alors que ses fréquents dégâts collatéraux attisent la haine à l’égard de ceux qui bombardent. Ces guerres contre le terrorisme s’attaquent aux effets et non aux causes. Personne ne songe à fonder cette lutte sur les origines du djihadisme, ni sur les raisons qui le perpétuent, pas plus que ne sont vraiment remis en cause ces alliés qui instrumentalisent le djihadisme ou qui en font le lit. Les pressions sur l’Arabie saoudite, le Qatar ou la Turquie, lorsqu’il y en a, sont insuffisantes ou trop timorées. Les États-Unis et l’Europe ont quasiment laissé agir leurs alliés régionaux, comme en Syrie où le principal soutien concret à la rébellion a été celui de ces acteurs régionaux, concourant ainsi à la prédominance des groupes islamistes et djihadistes. Et les Occidentaux reprochent aux rebelles encore « modérés », très affaiblis, leur coordination sur le terrain avec le Front al-Nosra.
Loin d’avoir un regard objectif sur la situation, Washington continue de se méfier de l’Iran tout en vouant une confiance pour le moins totale dans la monarchie saoudienne. C’est entre les colonnes de Palmyre, qui n’avaient jamais connu de destruction importante en trois mille ans, que se déroule aujourd’hui une véritable tragédie : une sorte de génocide culturel, historique et humain dont l’Occident est beaucoup plus complice que victime.
Capitaine Martin