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La Grèce, une perle lancée aux cochons


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La Grèce, une perle lancée aux cochons

Israël Shamir

Israël Adam Shamir

Mardi 14 juillet 2015

La Grèce est la perle de la Méditerranée, des générations d’étrangers en sont tombé amoureux, de Lord Byron à Graves et Fowles aussi. De la philosophie à la feta, de l’histoire au yaourt, de la poésie au miel, ils ont donné l’exemple à suivre. Leurs prêtres préservent la foi originelle, leurs combattants ont vaincu Mussolini ; leur Hélène est l’épitomé de la beauté féminine. Mais ils font aussi un vin âcre qu’ils appellent raisiné et une authentique musique de bachi-bouzouk qui devrait modérer notre hellénophilie.

Ils viennent de nous donner un autre exemple à suivre : comment prendre les banquiers à leur propre jeu. La victoire spectaculaire du gouvernement de Syriza au référendum a été une surprise : partout, les sondages hésitaient entre un résultat indécis et un franc soutien aux programmes européens, tournant autour de 51/49. Et pourtant, les Grecs ont fermement confirmé le mandat de leur gouvernement. Le problème, qui reste entier, est celui du choix de Syriza et de sa détermination.

Le parti au pouvoir avait pris un risque inutile en convoquant un referendum, puisqu’ils avaient bel et bien remporté les élections avec leurs propres mots d’ordre quelques mois plus tôt. Cela sous entendait une versatilité, comme  s’ils préféraient perdre et refiler la patate chaude à d’autres. D’ailleurs, ils n’avaient fait aucun effort pour gagner : aucune campagne pour le non, pas de couverture médiatique pour les manifestations en faveur du non. Est-ce qu’ils espéraient perdre, ou gagner avec une très faible marge ? C’est possible. En tout cas, le peuple grec a déjoué le stratagème et les somme d’avancer.

Maintenant, c’est au gouvernement d’organiser un Grexit en douceur mais sans retard pour prendre le large et s’arrimer à une nouvelle drachme. Lâcher l’Europe et l’OTAN, voilà qui changerait la donne. Il ne suffit pas de refuser le repêchage.

Les Grecs ont eu raison en refusant de payer leurs dettes, parce qu’elles leur ont été imposées par le calamar géant Goldman Sachs, selon Matt Taibbi : « la première chose à savoir c’est que Goldman Sachs est partout. La plus puissante des banques d’investissement est un vampire des abysses qui enserre la face de l’humanité, et qui étanche sa soif de sang avec tout ce qui sent l’argent. » Maintenant nous le savons (et nul besoin d’être antisémite pour le détester, tentacules compris), c’est Goldman Sachs qui a truqué les comptes, prétendant que la Grèce avait une cote de crédit élevée alors qu’ils connaissaient tous l’énormité de sa dette. Quand la dette a fait boule de neige, ils ont tiré sur la corde et coulé la notation de la Grèce, sauvant les banques aux dépens du contribuable européen.

Sur 320 milliards d’euros, la Grèce en a perçu et utilisé environ 20 milliards, tandis que le reste allait aux banksters. La Grèce ne pouvait pas rembourser : après cinq ans d’efforts, le pays est affaibli, et encore plus endetté. L’austérité a bousillé vies et infrastructures. Les banquiers avaient prévu de vendre toutes les richesses nationales : ports, chemins de fer, terres ; et vous pouvez imaginer sans risque de vous tromper qui allait racheter tout ça. Les négociations entre l’Europe, le FMI et la Grèce étaient malhonnêtes, explique Ashoka Mody dans un essai technique qui a été très lu. Voilà pourquoi les Grecs ont élu le parti d’extrême gauche Syriza et sa contrepartie d’extrême droite INIL, pour casser les règles du jeu faussé.

La Grèce est un petit pays, et ne pouvait pas avoir le dessus face à l’establishment européen, politique et bancaire. Heureusement, il y a un pays qui est capable d’apporter son aide, et qui est prêt à le faire. C’est la Russie, sa sœur dans la foi. La Grèce pour la Russie, c’est comme l’Italie pour les catholiques, comme l’Angleterre pour les US : la source de leur culture et de leur religion. Les prêtres grecs sont ceux qui ont apporté sa  foi à ce qui allait devenir la Russie. La Grèce et la Russie partagent le même héritage byzantin. Arnold Toynbee, l’histoire britannique, distinguait plusieurs civilisations européennes, les unes avortées (celles de l’Extrême Ouest et de la Scandinavie) et deux autres pleinement épanouies ; celle de l’Europe occidentale, basée sur l’Eglise de Rome, et celle des chrétiens orthodoxes, basée à Constantinople. La Russie et la Grèce appartiennent à cette dernière.

L’UE est une réincarnation de l’empire romain et de celui de Charlemagne. Elle est chez elle en France et en Allemagne, mais est tout à fait étrangère aux Suédois et aux Grecs, aux Lettons et aux Bulgares, aux Ukrainiens et aux Russes. L’UE a outrepassé ses limites et a amené des calamités aux ses peuples comme à ses voisins.

Et figurez-vous que ce n’est pas la première fois que les Occidentaux colonisent l’Orient orthodoxe : en 1204, ils avaient écrasé l’empire byzantin et installé leurs propres royaumes et duchés, ensuite abolis par les Turcs. Après que la Grèce ait retrouvé sa souveraineté en 1821, elle est retournée sous la tutelle occidentale, et y est restée. En 1945, les Grecs ont fait un effort héroïque pour faire front commun avec la Russie, mais Churchill a utilisé les troupes allemandes vaincues pour écraser le mouvement indépendantiste grec, tout en installant ses agents à Athènes. La Russie soviétique n’a pas vraiment fait obstacle, parce que les accords de Yalta mettaient la Grèce dans le camp de l’Ouest, tandis que la Pologne revenait à l’Est. Maintenant, il se trouve que l’Ouest a mis le grappin à la fois sur la Grèce et sur la Pologne. Les Grecs ont été poussés vers l’OTAN et l’UE, et ils y seraient restés coincés à jamais, n’était la voracité des banquiers.

La Russie est la seule partie du monde byzantin qui est restée indépendante et fidèle à sa religion. La Russie est un partenaire naturel pour la Grèce et pour ses voisins des Balkans. La Russie peut à présent donner un coup de main à la Grèce, en lui achetant son vin, son fromage, ses olives, qui ne se vendent pas bien à l’Ouest, en envoyant ses pèlerins visiter les mausolées sacrés sous son cruel ciel bleu, en encourageant ses industries, en donnant un sens à la vie de la jeunesse, au-delà des petits jobs aux basques des touristes allemands. Et les Grecs adorent les Russes, la sympathie est réciproque.

Leurs sympathies pro-russes avaient fait la renommée du parti Syriza et de son partenaire ANEL (certains corrigeraient : leurs sympathies « notoires »). Mais, depuis qu’ils ont été élus, ils se sont mis à jouer Bruxelles contre Moscou, comme une jeune fille qui fait de l’œil à deux prétendants pour les garder tous les deux à ses pieds. L’expert grec et avocat londonien Alexander Merkoulis a fait la liste des tentatives russes pour aider la Grèce. Ils ont offert cinq milliards d’euros pour construire un gazoduc jusqu’en Grèce, ce qui permettrait à la Grèce de vendre du gaz à l’Europe. Miller, représentant de Gazprom, s’est rendu à Athènes avec un dossier tout prêt, mais il en est revenu les mains vides.

Tsipiras avait promis de venir à Moscou pour les cérémonies du 9 mai, et s’est dégonflé  à la dernière minute. Il a été d’accord pour étendre les sanctions contre la Russie, tout en participant au forum de Saint Pétersbourg. Cela a sapé la confiance russe. « Les Russes doivent en avoir vraiment assez de ce personnage qui fleurte et prend la fuite au dernier moment, ajoute Merkoulis.

C’est l’histoire de l’Ukraine qui se répète. La Russie avait offert d’énormes crédits à l’Ukraine en 2013, elle pouvait racheter sa production industrielle, revigorer son industrie et son agriculture, mais le président Yanoukovitch n’avait pas osé. Il se retrouve en exil, et son pays est ruiné ; il faudra aux Ukrainiens vingt ans pour retrouver la position qu’ils avaient en 2013, disent les experts de l’UE.

La Grèce n’a aucune envie d’entrer en guerre civile, ils en ont soupé en 1945, mais les vieilles blessures peuvent se rouvrir. La zone la plus favorable à la Russie lors de l’insurrection de 1945, l’île de Crète, a massivement voté contre l’UE, à 75%. Le gouvernement Syriza va tenter de renégocier avec le FMI et avec l’UE en jouant de l’alternative russe. Mais même s’ils y gagnent un répit, leur économie ne va probablement pas revenir à la normale.

Le problème, ce n’est pas la Grèce, c’est l’UE. Cette entité a trois objectifs. C’est d’une part une coalition de banquiers contre les peuples, d’autre part un harnais grâce auquel les US peuvent contrôler une Europe colonisée, et enfin leur outil pour la désindustrialisation et la déséducation d’un continent extrêmement développé. Sous le joug de l’UE, des hordes de mendiants  en provenance de Roumanie, et de réfugiés en provenance d’Afrique se lancent à l’assaut du Nord. Sous le joug de l’UE, la Lituanie jadis industrielle et la Hongrie sont devenues des cas désespérés, tout leur secteur high-tech est parti ailleurs. Sous le joug de l’UE, le système de sécurité sociale a été démantelé, tandis que l’éducation sexuelle des enfants et les petits jeux de genre passent à la vitesse supérieure. Voilà pourquoi les nations, de la Suède à l’Italie, de l’Angleterre à l’Espagne, appellent à en finir avec l’Union européenne.

La Grèce s’en sortirait bien mieux hors de l’UE, comme tout le monde d’ailleurs. Signe très angoissant, le ministre des finances Yanis Varoufakis, un négociateur intraitable, fils d’un combattant de 1945, capable de ramener son pays à la liberté, a été démis juste après le referendum. Alexis Tsipras va essayer de négocier personnellement, et c’est un tendre, disent les Grecs.

C’est malheureusement juste une question de tripes, et de manque de cran. Trop de dirigeants hésitent et s’en tiennent à une attitude contemplative, au lieu d’agir. Nous avons mentionné Yanoukovitch, mais il y a une longue liste de noms à rappeler, en commençant par Allende, un homme de paix assassiné à la faveur d’un coup d’Etat. Les dirigeants qui ont fait face au vampire des abysses, depuis Nasser jusqu’à Poutine, ont été descendus en flammes comme les « nouvel Hitler » du moment, mais de fait ils s’en sont mieux tirés. Les US eux, n’hésitent jamais, ils foncent : pour faire main basse sur le Panama et la Grenade, pour attaquer l’Afghanistan et l’Irak, et ce culot à toute épreuve est le secret de leur réussite.

Mais il est trop tôt pour désespérer. Le referendum est une victoire, et une victoire peut faire des miracles, même avec des dirigeants mous et pleutres. Quelle honte, jeter la perle qu’est la Grèce à ces porcs que sont les banquiers.

Traduction de l’anglais : Maria Poumier

First published in The Unz Review

Israel Shamir can be contacted at adam@israelshamir.net

 

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Source : Entre la plume et l’enclume
http://www.plumenclume.org/…
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