Chronique
Israël, Afrique du Sud : les liaisons dangereuses
A l’heure où le Vatican signe un accord historique avec l’Etat de Palestine, mettant un peu plus à l’écart Tel Aviv, onze chercheurs spécialistes de l’Afrique et sa diaspora ont planché sur l’analogie entre l’apartheid en Afrique du Sud d’hier et la situation qui prévaut entre Israël et la Palestine aujourd’hui.
Cette étude s’inscrit dans le débat intense sur les relations entre Israël et la Palestine en cours dans l’université en Amérique du Nord comme en Afrique du Sud et pousse certains à préconiser une campagne non-violente internationale de boycott, de désinvestissement et voire de sanctions contre Israël.
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La plupart des contributions à ce forum soulignent les similitudes troublantes entre l’apartheid en Afrique du Sud et la politique israélienne à l’égard des Palestiniens. L’historien Robin D. G. Kelley (UCLA) donne le la : « Que la politique israélienne d’occupation coloniale remplisse la définition de l’apartheid selon les critères de l’ONU est incontestable. »
Conquête et colonisation
Solidaires avec les Palestiniens, tous soulignent le processus de conquête et de colonisation qui a eu pour fondement les deux socles que sont la religion et le nationalisme ethnique. Ces deux Etats ont poursuivi, ajoutent les chercheurs, un programme à grande échelle, s’appuyant sur un dispositif légal, qui consiste à éloigner de leurs terres ceux-là même qui en étaient les premiers habitants tout en instituant une série de lois discriminatoires fondées sur des motifs raciaux ou ethniques.
Et Achille Mbembe d’enfoncer le clou : « Je parie / Qu’en Palestine, il serait extrêmement difficile de trouver une personne qui n’ait pas perdu quelqu’un de proche, un membre de la famille, un ami, un parent ou un voisin / Qu’il serait extrêmement difficile de trouver une personne qui ne sait pas ce que le mot “dommages collatéraux”signifie vraiment… Je parie volontiers que c’est pire que dans les bantoustans sud-africains d’hier. »
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Au-delà d’un petit groupe d’organisations pro-sionistes, l’analogie est si largement acceptée en Afrique du Sud qu’elle ne provoque plus qu’un haussement d’épaules. Enfin, des membres éminents de la lutte anti-apartheid, à l’instar de l’archevêque Desmond Tutu ou des anciens combattants de lutte d’ascendance juive comme Ronnie Kasrils, ont déclaré à maintes reprises que les conditions de vie en Cisjordanie et à Gaza sont « pires que celles en cours sous l’apartheid ».
Incroyable détresse
Certes, comparaison n’est pas raison et aucune analogie historique ne peut prétendre être rigoureusement exacte. Les comparaisons révèlent aussi des points aveugles. Si les défenseurs d’Israël mettent en avant, par exemple, les droits civils dont jouissent les Arabes citoyens d’Israël, des nombreux observateurs estiment que ces droits ont toujours été limités et subissent une érosion à un rythme alarmant.
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On peut convenir que des différences importantes existent. Mais ceux qui s’engagent dans la lecture différentialiste visent à détourner l’attention de l’occupation illégale de la Cisjordanie et de Gaza, de la construction des colonies dans les territoires occupés, les bombardements des civils ou la détention et la torture des militants. Loin d’exonérer les politiques et les pratiques de l’Etat israélien, les divergences entre les deux camps ne fait que ressortir l’incroyable détresse caractérisant la situation palestinienne.
Le mouvement anti-apartheid a été le point d’orgue des grandes mobilisations internationales de la société civile au cours du XXe siècle. Si l’on met de côté les erreurs et les divisions internes, force est de reconnaître qu’il avait réussi à relier divers courants et à affaiblir durablement le régime sud-africain. Là encore, les chercheurs en sciences sociales et les activistes cherchent des raisons d’espérer du côté de ce passé-là.
Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti, il vit entre Paris et les Etats-Unis où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George Washington University. Auteur entre autres de « Aux États-Unis d’Afrique » (JC Lattès, 2006), il vient de publier « La Divine Chanson » (Zulma, 2015).