Titre original : La Russie peut-elle, cette fois encore, empêcher un changement de régime en Syrie ? Source : Australianvoice – 9 août 2015. URL http://australianvoice.livejournal.com/9615.html
Il y a deux endroits où les USA et leurs satellites de l’OTAN ont fait à la Russie des guerres par délégation (proxy wars). Ces deux endroits sont l’Ukraine et la Syrie. Il y a peu, des voix ont annoncé que les quatre ans de guerre par intérim contre la Syrie pourraient toucher à leur fin.
Derrière les écrans de fumée et les miroirs
Nos médias n’ont jamais dit la vérité sur ce qui se passe en Syrie. Or, dès le départ, voici quelle a été la réalité : les USA, avec le soutien du Royaume Uni, de la Turquie, de l’Arabie Saoudite et d’Israël, ont recruté, financé, armé et entraîné des groupes de combattants, qui se sont déguisés sous différents masques politiques ou religieux (l’ISIL en faisant partie) dans le but de renverser le gouvernement syrien du président Assad. Le gouvernement syrien est soutenu par la Russie, l’Iran et le Hezbollah. Au début, ce sont les seuls agents de l’Occident qui ont combattu sur le terrain, mais, il y a deux ans, les États-Unis ont décidé d’intervenir directement, en faisant usage de leurs Forces Aérienne et Navale pour bombarder des cibles situées à l’intérieur du territoire syrien. Le plan prévoyait une attaque conjointe des USA et de la France aux premières heures du samedi matin 31 août 2013. Pourtant, cette attaque fut contremandée quelques heures seulement avant son déclenchement. Le fait qu’une telle attaque aurait dû avoir lieu et la raison pour laquelle elle fut annulée n’ont jamais été évoqués par les médias dominants occidentaux. Que s’était-il produit pour que l’attaque soit stoppée au dernier moment ?
La guerre qui n’a pas eu lieu
Tôt le matin du samedi 31 août, un haut fonctionnaire américain a téléphoné au cabinet du président Hollande, lui demandant de se tenir prêt à recevoir un appel d’Obama plus tard dans la journée. « Présumant que ce coup de fil annoncerait le début des frappes aériennes (contre la Syrie), Hollande a donné l’ordre à son état-major de mettre la dernière main à son propre plan d’attaque. Les avions de combat Rafale ont reçu leur chargement de missiles Scalp, les pilotes ayant pour instruction de tirer ces munitions – d’une portée de 250 miles – depuis la Méditerranée. » (1) En d’autres termes, les pilotes français et les forces US étaient prêts, le doigt sur la gâchette, n’attendant plus que le feu vert final du président Obama. Cependant, à 18h15’, Obama a appelé le président français pour lui annoncer que la frappe, prévue pour le 1er septembre à 3 heures du matin n’aurait pas lieu comme prévu. Il lui fallait consulter le Congrès. Un article paru sur le site de Global Research a dépeint le « déploiement naval massif des États-Unis et de leurs alliés en Méditerranée orientale, au large des côtes syriennes ainsi que dans la Mer Rouge et dans le Golfe Persique » (2). Un mois plus tard environ, Israël Shamir décrivait les événements qui s’étaient produits au large de la Syrie en ces termes :
« Le point de tension culminant, en ce mois de septembre 2013, a été la vision, au large des côtes du Levant, du duel au soleil (“high noon stand-off”) de cinq destroyers US, leurs Tomahawks pointés sur Damas, avec une flotte russe de onze navires emmenés par le croiseur tueur de missiles Moskva, soutenus par des bateaux de guerre chinois. »
« Il semble que deux missiles aient bel et bien été tirés vers la côte syrienne, mais tous les deux ont échoué à atteindre leur cible. » Et il ajoutait : « Un quotidien libanais citant des sources diplomatiques a prétendu que les missiles étaient partis d’une base de l’OTAN en Espagne et s’étaient fait abattre par le système russe de défense air-air d’un navire. Une autre explication proposée par l’Asia Times évoque un détournement des deux missiles par les Russes, dont les GPS puissants et bon marché auraient rendu inutilisables les Tomahawks chers et sophistiqués en les égarant et en les faisant chuter. Il y a encore une autre version, qui attribue leur lancement aux Israéliens, soit qu’ils aient tenté de provoquer coûte que coûte le déclenchement des hostilités, soit qu’ils se soient contentés d’observer les nuages, comme ils le prétendent. » (3)
Donc, pourquoi les États-Unis et la France n’ont-ils pas attaqué la Syrie ? Il paraît évident que les Russes et les Chinois ont tout simplement expliqué qu’une attaque de la Syrie par les USA et la France déclencherait une attaque russo-chinoise des navires US et français. Obama a sagement décidé de ne pas déclencher la Troisième guerre mondiale en septembre 2013. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Les plans des USA, du Royaume-Uni et de la Turquie
Depuis lors, les USA et leurs alliés ont poursuivi leur guerre sous sa forme habituelle, c’est-à-dire par délégation, en y ajoutant un nouvel acteur : l’ISIL [ISIS, Daech, etc. NdT]. Il est clair cependant qu’ils ne sont pas complètement satisfaits du résultat de leurs plans et qu’ils viennent de décider de se lancer dans une nouvelle forme d’engagement direct. Dans un article récent « The Shuttle Diplomacy to Save Syria » (« Les navettes diplomatiques pour sauver la Syrie »), Andrew Korybko explique que les USA et la Turquie ont imaginé un stratagème qu’ils appellent Division 30…
…« grâce auquel un petit groupe de combattants d’élite [déguisés en djihadistes, NdT] seraient introduits dans le pays à partir de la Turquie, et s’y déploieraient sous la protection de frappes aériennes US. Le jour même où des représentants militaires syriens arrivaient à Moscou, on apprenait qu’Obama avait autorisé le Pentagone à bombarder quiconque combattrait ce groupe, fût-ce l’Armée Arabe Syrienne si le cas se présentait, nouvelle sans doute connue depuis peu des Russes grâce à leur mondialement célèbre service de renseignements » (4)
Un article similaire de Stephen Lendman daté du 4 août 2015 disait :
« Le 2 août, le journal britannique Sunday Express a titré : “Des SAS déguisés en combattants de l’ISIS dans une guerre secrète contre les djihadistes”, poursuivant “Plus de 120 membres du régiment d’élite sont en ce moment dans ce pays ravagé par la guerre, habillés en noir, masqués et brandissant des drapeaux de l’ISIS”, engagés dans ce qui est appelé Opération Shader [Opération Ombrage] – s’attaquant à des cibles syriennes sous le prétexte de combattre l’ISIS. Il est possible que des Forces Spéciales US et la CIA fassent secrètement partie de l’entreprise, suivant le même mode opérationnel. » (5)
On pourrait croire que l’utilisation de ce genre de troupes d’élites soit gagnante à tous les coups pour les États-Unis. Car, s’il n’y a pas de résistance de l’Armée syrienne, Assad est fini, mais si, au contraire, les troupes syriennes tentent de repousser ces forces de l’OTAN, elles se retrouveront dans une guerre à grande échelle avec l’OTAN.
Ces articles font plus que suggérer que les USA et le Royaume-Uni ont jeté dans la balance leurs propres troupes d’élite dans le but d’en finir avec la Syrie. Étant donné le diktat selon lequel tout groupe armé qui s’opposerait à elles serait attaqué par la voie des airs, les USA et leurs alliés montrent sans ambiguïté qu’ils suivent un plan précis d’intervention militaire directe en Syrie, avec utilisation des avions et des missiles de l’OTAN. C’est là leur seconde tentative pour obtenir par la violence dans ce pays le changement de régime qu’ils veulent.
Quelques intéressantes initiatives diplomatiques de la Russie
L’article d’Andrew Korybko montre qu’une fois de plus la Russie s’active par des voies diplomatiques pour faire avorter les agressions US contre la Syrie. Une partie de cette stratégie des Russes consiste à saper les positions américaines en obtenant que certains pays se retirent de la coalition. En tête de programme : une série de discussions avec l’Arabie Saoudite. On remarque en effet des contacts accrus entre les deux pays. Par exemple, le président Poutine et le roi Salman ont l’intention de se rencontrer d’ici la fin de l’année et de signer un accord de coopération sur l’énergie nucléaire. On fait état également d’une rencontre, arrangée par la Russie, entre le ministre syrien de la Défense Nationale et le ministre saoudien de la Défense. Selon Korybko :
« L’Arabie Saoudite a fini par se rendre compte que son rejeton wahhabite est devenu incontrôlable et qu’il lui faut absolument se sortir du bourbier de la guerre par intérim où elle s’est enfoncée en Syrie, avant que le retour de flamme ne se fasse sentir de façon trop insupportable (d’autant qu’) elle préférerait détourner ses ressources en argent et en temps de cette guerre désormais perdue contre la Syrie en direction de sa dernière aventure militaire en date le long de sa frontière méridionale. Ajoutez-y la peur paranoïaque de Ryiad de voir le Yemen se transformer en base pour les combattants par intérim de l’Iran, et vous pourrez raisonnablement admettre que le Royaume des Saoud accepte une défaite en Syrie pour sauver autant de terrain stratégique que possible au Yemen (et le plus tôt sera le mieux). » (6)
Mais les Russes pourraient faire plus qu’aider la Syrie par les voies diplomatiques.
La Russie peut-elle encore une fois soutenir militairement la Syrie ?
Il faut bien se représenter les graves conséquences qu’implique le plan US d’attaquer des unités de l’Armée Arabe Syrienne ou qui que ce soit d’autre s’opposant à la Division 30. Le danger provient de ce qu’Obama a « autorisé le Pentagone à bombarder toute entité qui combattrait ce groupe, y compris l’Armée Arabe Syrienne si un tel accrochage se produit ». Évoquant la rencontre récente de trois officiers supérieurs de l’AAS arrivés à Moscou le 3 août et des représentants de l’Armée Russe, Korybko écrit :
« Bien sûr, cette provocation pourrait, en quelques secondes, conduire à une escalade de la guerre contre la Syrie et au bombardement de toutes les installations militaires et gouvernementales, aboutissant à un changement de régime aussi rapide que celui infligé à la Libye. Cette éventualité est donc prise en très sérieuse considération par Moscou, et des moyens stratégiques d’éviter un scénario aussi catastrophique ont sans aucun doute été envisagés au cours de la rencontre. » (7)
Qu’est-ce donc qui pourrait avoir été discuté d’autre par les officiers syriens et russes ?
« L’ordre du jour de la visite comprenait un échange d’expériences dans la lutte contre le terrorisme, ont indiqué certaines sources. » (8).
Korybko explique alors que les Russes pourraient adopter la nouvelle stratégie suivante :
« La Russie peut toujours recourir à la mesure préventive d’enkyster ses conseillers militaires basés en Syrie dans les positions frontales de l’AAS. »
L’idée d’enkyster des conseillers russes dans les troupes syriennes met au pied du mur le bluff US. Voici comment cette stratégie est supposée fonctionner :
« Au cas où la Russie aurait sérieusement l’intention de bloquer la possibilité, par les USA, d’utiliser une éventuelle attaque de l’AAS contre la Division 30 comme motif d’escalade pour exécuter leur opération “changement de régime”, elle pourrait très bien prendre bravement et résolument la décision de positionner ses conseillers militaires anti-terroristes en première ligne ; au coude à coude avec les soldats de l’AAS. On peut raisonnablement penser que cette décision serait au préalable communiquée aux USA via les agents secrets des deux parties ainsi que par la voie diplomatique, de façon qu’à Washington, on soit bien au courant des indicibles conséquences qu’entraînerait toute frappe contre une AAS obligée de répondre aux provocations de la Division 30. Quoique cette stratégie paraisse comporter de grands risques, c’est un fait avéré que jamais l’armée US ne s’est risquée à prendre pour cibles des soldats russes, choisissant toujours de s’en remettre à ses intérimaires pour exécuter ces sinistres tâches (fût-ce les Moudjahidines en Afghanistan ou les terroristes en Tchétchénie). Et ceci pour une raison claire : une attaque directe de l’Armée Russe par les USA est un flagrant casus belli, et même dans les conditions actuelles, si tendues soient-elles, le recours à une action aussi impensable est, de la part des États-Unis, simplement hors de question. » (9)
Autrement dit, il se pourrait que la Russie ait les moyens de subvertir le dernier en date des plans US pour renverser violemment le gouvernement Assad. En fait, les USA disent aux Syriens : « Si vous vous attaquez à nos troupes (Division 30), c’est la guerre avec les États-Unis. » Les Russes disent – une fois de plus – aux USA : « Si vous vous attaquez à nos troupes en Syrie, c’est la guerre avec la Russie. »
Si les suppositions de Korybko à propos des plans russo-syriens s’avéraient correctes, nous verrions pour la deuxième fois la Russie déterminée à tirer un trait à ne pas dépasser sur le sable. On ne peut qu’espérer, cette fois encore, que la sagesse prévaudra à Washington et que les projets de guerre jusqu’au-boutistes en Syrie seront abandonnés.