Même si le monde célébrait un accord climatique à Paris le 11 décembre, ce processus sera à considérer comme un échec. Laissez-moi vous expliquer pourquoi…
La raison principale, c’est que l’inégale distribution des émissions de carbone n’est même pas au programme de leur négociation. La responsabilité historique de l’Occident n’est pas sur la table, pas plus qu’une méthode de calcul des émissions prenant en compte la consommation d’un pays au lieu de sa production. Au lieu de cela, ce qui est au programme, ce sont de nouveaux mécanismes plus étendus qui vont permettre aux riches pays occidentaux de continuer à externaliser leurs réductions d’émissions afin de repeindre leur façade en vert.
Lorsque les chiffres seront disponibles, 2015 sera probablement l’année la plus chaude jamais enregistrée, et nous venons d’atteindre le 1er degré Celsius d’augmentation de la température mondiale, depuis la révolution industrielle ; nous sommes à mi-chemin du seuil des 2 degrés Celsius, ce seuil considéré consensuellement comme limite supérieure tolérable de réchauffement global. Il s’agit de l’augmentation de la température de surface la plus rapide de l’histoire géologique connue de la planète. Nous entrons aujourd’hui en territoire inconnu.
Les dangers du réchauffement climatique sont connus – même par les dirigeants des compagnies pétrolières – au moins depuis le début des années 1980, au minimum. Et pourtant, malgré 25 ans de négociations climatiques dirigées par l’ONU, le monde brûle plus de combustibles fossiles que jamais.
Ce n’est pas simplement la faute des grandes économies émergentes comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Non, nous faisons face aujourd’hui à l’échec fondamental du capitalisme néolibéral, le système économique dominant, nous sommes confrontés à sa faim de croissance exponentielle, rendue possible uniquement en raison de la densité énergétique unique des combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz.
Responsabilité historique
Un coup d’œil sur l’histoire mondiale révèle le lien étroit entre énergie et croissance économique. Les Pays-Bas furent le premier pays à devenir accro à la croissance industrielle aux 16ème et 17ème siècles – l’empire néerlandais s’était construit sur la disponibilité de tourbe domestique bon marché ainsi que sur l’exploitation du bois des forêts norvégiennes et baltiques.
Une des raisons pour lesquelles les Britanniques passèrent devant les Néerlandais comme leaders impériaux, c’était leurs vastes réserves de charbon bon marché, qui a commencé à être brûlé à la fin du 18ème siècle, croissant exponentiellement au 19ème siècle. Puis ce fut le tour du pétrole et du gaz, qui aidèrent les USA à devenir le maitre impérialiste à compter du début du 20ème siècle, et jusqu’à aujourd’hui, encore.
Il y a donc plus de 300 ans d’utilisation massive de combustible fossile par l’Occident à prendre en compte. Et alors que cette responsabilité historique a joué un rôle significatif à Kyoto en 1997 – résultant en des réductions d’émissions qui n’étaient juridiquement contraignantes que pour les pays industrialisés – elle a progressivement été mise de côté.
Aujourd’hui, à Paris, cela semble Presque oublié. Mais le fait que près de 80% des émissions de carbone historiques doivent être attribuées aux pays développés ne peut pas être écarté d’un revers de main.
La hausse rapide des émissions, en particulier en Chine et en Inde, est souvent citée comme une raison pour laquelle ces pays à l’industrialisation rapide doivent eux aussi freiner leurs émissions. Je ne dis pas qu’ils ne devraient pas. Ces deux pays ont clairement leurs propres ambitions impérialistes, qu’ils espèrent accomplir en stimulant une expansion industrielle massive.
Mais gardons en tête le fait que les émissions de carbone par tête en Inde sont toujours 10 fois plus basses que celles des USA. Et les émissions en hausse rapide de la Chine sont majoritairement liées aux industries d’exportation, qui produisent des biens de consommation pour les Occidentaux.
Mesure créative du carbone
En réalité si l’approche basée sur la consommation était utilisée, les émissions de carbone du Royaume-Uni seraient le double de ce qu’elles sont officiellement. Ce serait également le cas pour la plupart des pays d’Europe occidentale, et pour les USA, qui connaissent un important phénomène de désindustrialisation depuis deux décennies, qui entraine non seulement la délocalisation des emplois, mais aussi celle des émissions de carbone. En retour l’Occident reçoit des biens de consommation bon marché sans reconnaitre sa responsabilité vis-à-vis des émissions de carbone qui leurs sont associées. Un forme évidente de colonialisme carboné.
Bien sûr, une partie de la croissance exponentielle des émissions de carbone de l’Inde et de la Chine est liée à leur consommation domestique croissante. La Chine possède apparemment la plus large classe moyenne du monde. Cependant, si l’on se base sur le point de vue de la consommation, alors même les émissions de carbone, en Chine et par personne, n’atteindront pas celles des USA avant un certain temps – et l’Inde est loin derrière.
Et pourtant les pays riches continuent allègrement à externaliser leurs responsabilités. La compensation carbone va croitre à une vitesse sans précédent dans les années à venir. Les pays comme la Norvège et la Suisse vont continuer à mettre en place des accords bilatéraux avec les pays pauvres qui ont un besoin criant d’argent. Les systèmes d’échanges de quotas d’émissions (ETS) vont offrir aux entreprises une flexibilité maximale quant à leurs externalisations d’émissions.
Tous ces mécanismes sont conçus pour maintenir le statu quo. Le système ETS de l’UE n’a entrainé aucun changement significatif sur le principal bloc des émissions de carbone depuis sa conception en 2005, ce qui permet au directeur exécutif de Shell, Ben Van Beurden, de souligner, encore en 2015 ( !), que « la réalité de la croissance de la demande est telle que les combustibles fossiles seront nécessaires pour les décennies qui viennent ».
Rien de significatif n’a changé depuis Rio en 1992, ou Kyoto en 1997. Paris 2015 ne fera pas exception. La négociation va continuer jusqu’à ce que l’on réalise que le changement climatique est l’échec d’un système, qui – sur le dos des combustibles fossiles – est axé vers la croissance économique exponentielle. Personne, à la table des négociations de Paris, n’a le mandat ou l’envie de poser les questions systémiques fondamentales sur la logique du système économique dominant et sur la façon dont nous consommons les ressources de cette planète.
Traduction: Nicolas Casaux