Le combat inlassable de la résistance syrienne contre les groupes terroristes que les médias traditionnels ne vous montrent pas.
LE SIÈGE DE KWEIRES
L’Armée arabe syrienne a réussi à libérer l’École de l’air, qu’il est convenu de désigner par « Aéroport de Kweires », une base militaire aérienne située à 35 Kms à l’est d’Alep, brisant ainsi un siège qui durait depuis près de trois ans et réalisant une importante avancée dans la profondeur d’une région contrôlée par Daech [EIIL ou État Islamique en Irak et au Levant].
En effet, l’aéroport de Kweires s’étend sur une surface de 25 Kms carrés environ et se trouve à 15 Kms de « Al-Bab » au nord, le bastion le plus important de Daech dans la campagne orientale d’Alep.
Le siège de l’aéroport a commencé fin 2012 quand les groupes armés de l’ASL [La prétendue armée syrienne libre, une coquille désormais vide qu’on tente de farcir par de prétendus opposants dits modérés ou démocrates…NdT] avaient réussi à couper toutes les voies terrestres, obligeant l’Armée nationale à ravitailler les occupants de la base principalement par voie aérienne héliportée. Les atterrissages ont continué pendant environ un an et demi, mais sont devenus pratiquement impossibles à partir du moment où les éléments armés de Jabhat al-Nosra -ayant envahi les villages environnants dès 2013- sont entrés en possession d’armes de plus en plus sophistiquées et que Daech s’étendait dans la campagne est, à partir de Raqqa ; les hélicoptères devenant à portée des tirs.
Début 2014, Daech a fini par évincer Jabhat al-Nosra, menant un siège de plus en plus hermétique et des attaques de plus en plus nombreuses, mettant tout son poids pour entrer dans l’aéroport, usant de toutes sortes d’armes et de dizaines d’engins piégés sans réussir à briser ses fortifications, sauf une seule fois en atteignant les habitations des officiers côté sud-ouest […].
Les pilotes de Kweires ont été entraînés pour défendre le ciel de la patrie, mais les circonstances ont fait qu’ils se sont posés sur la terre pour faire face aux forces les plus terriblement extrémistes. Une guerre des volontés, entre des envahisseurs de plus en plus supérieurement équipés et des assiégés affamés, conscients du poids de l’obligation de défendre la dernière position de l’État en cette région de la terre patrie. Et, du ciel à la terre, les pilotes de Kweires ont gagné leur pari.
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LA FAMILLE FARHA
• Témoignage de M. Farha, père de Issam, Allam et Issa :
Nos trois fils étaient enthousiastes et déterminés à rejoindre l’Armée. Nous ne nous sommes pas mis au travers de leur chemin. Le hasard a fait qu’ils se sont retrouvés au même endroit. Nous avons connu des moments très difficiles, vivant leurs problèmes quotidiens en écoutant les rapports militaires du secteur. Dire que nous n’avons pas eu peur ? Nous avons eu très peur. Mais, Dieu merci, ils se sont comportés en héros et ont réussi des exploits.
J’ai entendu de plusieurs sources qu’il n’était pas question pour eux de manquer une bataille, que ce soit leur tour ou pas. Ils sont toujours restés ensemble. L’un d’eux a été malade. Il est rentré se faire soigner dans les pires des conditions. Ils nous ont appelés de l’Académie pour nous dire de ne pas le laisser repartir… Il est reparti parce qu’il tenait à aider ses frères.
Ici, à la montagne, nous avons mené une vie dure, elle n’a jamais été douce. Je suis ingénieur électricien, mais j’ai vécu la vie d’un paysan. Je veux dire que ma main est celle d’un paysan, car nous refusons de vivre autrement que par notre travail, notre pain trempé dans la sueur de notre front.
• Témoignage du Lieutenant Issam, l’aîné des frères Farha :
J’étais très tranquille à Damas, mais quelque chose en vous, vous pousse à rejoindre vos amis qui tombent en martyrs. Vous ne pouvez pas rester là où vous êtes. De même pour mon frère Issa qui avait été reçu à ses examens de l’Académie militaire, mais a préféré nous accompagner à Alep, pour que nous restions ensemble et qu’il participe à notre combat.
En pleine bataille, vous ne pensez à rien d’autre, vous ne pensez qu’à garder votre position et, grâce à Dieu, tous les jeunes gens ont été à la hauteur de la situation. Les choses deviennent autrement plus difficiles à l’instant même ou le combat s’arrête. Vous voyez les blessés et les martyrs et vous ne pensez plus qu’à vos frères, sans pouvoir quitter votre position ou chercher à les contacter, vu que les communications doivent parer au plus pressé.
Ils ont abattu deux de nos hélicoptères de ravitaillement en pleine nuit car ils étaient en possession de canons munis de lunettes de vision nocturne, thermique ou autre. Bien sûr qu’ils étaient soutenus de l’étranger, équipés d’armes que nous ne connaissions pas trop, armes probablement dérobées en Irak ou fournies par la Turquie et les États-Unis. C’est ainsi que nous avons été frappés par 5 à 6 missiles TOW et bien d’autres de différentes marques. La solution de rechange fut le parachutage, mais…
Un matin, nous avons été attaqués, entre 4H et 4H30, par trois véhicules piégés avec des agents incendiaires du côté des habitations des officiers, et par des tirs de 12 à 15 chars et autres artilleries, de tous les côtés. Grâce à Dieu, nous avons pu en démolir un grand nombre. Ne sont restés intacts que 2 ou 3 engins qui ont pris la fuite, alors que le plus lourd de notre armement était le canon 75 et la volonté de nos jeunes gens, laquelle volonté décidait de l’issue des combats.
Quand la campagne de notre libération a commencé, la pression a baissé, se répartissant entre nous et notre Armée qui avançait. Une fois arrivée à 4 Kms de l’aéroport, ils ont sorti leur dernière carte : les trois souterrains creusés sous les habitations des officiers. Nous savions qu’ils étaient là. Nous les entendions creuser dans notre direction et nous nous mettions à creuser dans la leur.
La situation la plus difficile que j’ai vécu, c’est quand l’explosion a eu lieu alors que Issa se trouvait dans le secteur des habitations. Le ressenti de celui qui voit une explosion de loin est plus pénible que celui qui se trouve en plein dedans, les nuages de poussières dégagées laissant à penser que les bâtiments ont été pulvérisés. J’ai tenté de le contacter, mais toutes les lignes étaient occupées. Je suis resté 24 heures sans nouvelles, sans dormir, sans boire ni manger, mais merci mon Dieu, il était sain et sauf.
• Témoignage du lieutenant Allam, le cadet des frères Farha
Je me suis engagé dès juin 2012 et mon premier combat eut lieu en octobre de cette même année. J’avais le désir de rejoindre l’Armée, de participer aux combats comme tant d’autres jeunes du pays et de rejoindre mon frère aîné qui avait quitté Damas, où il se plaisait, pour s’engager à Kweires avant moi. Nous avions décidé que notre benjamin, Issa, devait rester auprès des parents, d’autant plus qu’il était brillant et que ses notes lui permettaient de poursuivre des études supérieures. Mais il a refusé et s’est engagé à son tour le 29 novembre 2012.
Mon père a consenti en se disant que l’aéroport était immense, que les résidents étaient en majorité des campagnards et donc plutôt débrouillards dans beaucoup de domaines. Certes, les hommes de la campagne sont différents des hommes de la ville question débrouillardise, mais cela ne veut pas dire qu’ils ont été moins chers à nos cœurs. Que Dieu ait pitié de tous ceux qui sont partis et protège tous ceux qui sont revenus.
Question nourriture, on nous disait : « Mange, tu sauras après ce que c’est ! ». Nous cuisinions n’importe quelle herbe qui poussait par là et finalement, la nourriture n’a jamais été un problème pour quiconque parmi nous. Quant à l’eau, elle nous arrivait par des canalisations situées à l’extérieur de la base. Nous avons appris que les groupes armés projetaient d’empoisonner le réservoir principal, mais notre camarade Ali Mourad avait pensé à l’isoler avant même qu’ils y pensent.
Pendant le siège et alors que j’étais en compagnie de mon ami Oumran Assi à tourner autour d’un canon, notre attention fut attirée par des galettes de pain tombées, 15 à 20 jours plus tôt, d’une voiture qui nous avait livré des munitions quand c’était encore possible. Nous les avons pilés, puis mélangés au sachet de sucre de l’un et au sachet de lait en poudre ou de cacao d’un autre, je ne sais plus. Toute une marmite de douceurs d’où l’odeur des moisissures avait disparu après édulcoration. Nous nous sommes régalés avec Issa et ses amis. Il me dit encore : « Ce plat fut la meilleure douceur à laquelle j’ai jamais goûtée ! ».
Le 19 janvier 2013, les groupes armés ont abattu un hélicoptère qui venait nous ravitailler la nuit, puisque le ravitaillement héliporté et même le transport des blessés n’étaient plus envisageables en plein jour. L’hélicoptère était à environ 600 mètres du sol et c’était une nuit de pleine lune. Ils l’ont eu, nous l’avons perdu avec tout son équipage, et c’est là que le véritable siège a commencé.
Le 9 août, un char équipé d’une mitrailleuse Douchka s’est mis à tirer vers notre position. Nous avons éliminé le tireur. Restaient le conducteur et deux autres individus à l’arrière. Le char a poursuivi sa progression jusqu’en haut de l’abri avant de s’immobiliser, si bien qu’il se trouvait pratiquement au-dessus de nous. C’est alors que mon camarade Ahmad Nasser, faisant fi du danger, s’est précipité pour envoyer une grenade à l’intérieur du char et que nous nous sommes tous levés pour le suivre.
C’est à cette occasion que nous avons pu saisir, auprès du commandant des attaquants, des appareils de communication turcs et un document comportant la liste des éléments du groupe ainsi que leurs fonctions respectives : tous affiliés à Daech, mais aucun n’était syrien.
Une autre fois, le premier-lieutenant Ali Ibrahim, qui n’avait rien d’un tireur de bombes, a repéré un char progressant derrière une maison située à l’ouest des habitations des officiers, lequel char n’avait cessé d’aller et venir pour les bombarder. Il s’est mis debout sur une barricade d’environ 1,5 mètres de haut. Il a attendu le moment opportun, malgré la présence de trois snipers, et a pulvérisé le char. Nous l’avons vu s’enflammer et crépiter pendant au moins une vingtaine de minutes.
Ils ont usé de toutes les tentations imaginables pour nous dissuader de résister, jusqu’à nous amener des femmes qui nous disaient : « Pourquoi restez-vous là ? Quel est votre objectif ? Votre État est fini. La guerre c’est la guerre et vous êtes cuits ». Ou alors, ils nous rappelaient : « Nous avons conquis telle ville, telle unité de l’Armée, telle position défensive. Votre tour viendra. Rendez-vous. Nous vous ramènerons chez vous ». Ils avaient oublié que nous savons comment nous comporter avec les femmes et que toute situation a une solution.
• Témoignage du lieutenant Issa, benjamin des frères Farha :
Mon frère Allam était souvent à mes côtés, c’est pourquoi mon plus gros souci était de savoir où en était Issam, notamment les jours de combats. Il en a toujours été ainsi, même aujourd’hui. Un frère de sang fait que c’est le sang qui parle. En plein milieu d’une bataille, si je pouvais lui envoyer un message pour juste lui demander de me rassurer, je le faisais.
Quant à Allam, la fois où je lui ai avoué ma faim, il se tenait près d’une muraille où poussaient des herbes folles. Il m’a dit : « Regarde celle-ci, elle est comestible et délicieuse. Mange ! ».
Un jour, les groupes armés ont réussi à pénétrer deux de nos positions, alors que nos jeunes dormaient à l’intérieur. Que Dieu leur accorde Sa miséricorde, certains ont été découpés, d’autres ont explosé sous leurs grenades, d’autres qui ont eu le temps de se réveiller sont tombés sous les coups de leurs snipers. Les plus anciens ont alors regroupé les unités d’urgence et se sont dirigés vers ces deux positions. C’est là qu’un jeune homme de Deir [el-Zor], je ne me rappelle plus de son nom, a ramassé le téléphone de l’un des attaquants ayant pénétré le bâtiment. Il entend le cheikh des attaquants demander : « Quelle est votre situation ? ». Il lui a répondu : « Cheik ! Cheikh ! Ils sont très nombreux là-dedans. Des renforts arrivent, reculez Cheikh ! ».
Grâce à Dieu, ce jeune homme savait imiter leur accent. En fait, ils étaient beaucoup plus nombreux que nous et se comptaient par centaines. Entretemps les Forces aériennes sont arrivées et les deux positions ont été récupérées, au prix de 32 martyrs. Signe de la bonté du Seigneur de l’univers qui règle toutes les situations. Ce fut la première leçon que j’ai retenue.
Un autre jour, une femme sniper suédoise a été capturée. À la question : « Que viens-tu faire ici ? », elle a répondu : « Je viens perfectionner mes talents ». Elle venait du fin fond de la terre pour exercer ses talents sur nous, alors que nous ne savions rien de son monde ! [Rires].
En tous cas, si tu recules tu t’affaiblis et si tu avances tu te renforces. De ce fait, nous avons beaucoup appris. Une terre où est tombé mon ami est précieuse et mérite qu’au cas où son remplaçant tombe, il soit remplacé à son tour et ainsi de suite. Par conséquent, abandonner une position est chose interdite.
LA FAMILLE CHADOUD
• Témoignage de M. Chadoud, père de Somar mort au combat
Somar était enthousiaste et, comme les autres jeunes, décidé à défendre la patrie. Devenir pilote d’avion militaire fut évidemment son propre choix. J’étais surpris de voir qu’un pilote maniait le RPG face à des tanks. C’est la situation qui a fait qu’il a dû combattre au sol, pour défendre son École et son Académie. La position qu’il occupait était délicate et les terroristes, qui voulaient l’atteindre par n’importe quel moyen, lançaient des attaques quasi-quotidiennes.
En 2013, il a été blessé aux deux jambes, ce qui a nécessité la mise en place de plaques orthopédiques. Mais, au bout de trois mois de convalescence, il est reparti poursuivre son travail.
Le dernier siège qui a duré environ 1 an et neuf mois a fait que l’aéroport ne recevait plus rien, ni par voie aérienne, ni par voie terrestre. De quoi voudriez-vous que je me souvienne ? Je suis un père et comme tout père je me suis inquiété pour mon fils. J’ai gardé notre correspondance dans mon téléphone cellulaire. Regardez-le qui m’appelle pour me faire des grimaces. Il lui arrivait de me laisser des messages pour me dire : Salut Abou Somar ! Mais certaines fois, il me signifiait que la mort était proche.
Après la levée du siège, certains de ses camarades nous ont appris qu’il avait été sérieusement blessé à la tête mais que trois jours après il regagnait son poste. Le 6 septembre 2015 la perfide traitresse a frappé : il est tombé au même endroit où il avait été blessé la première fois. Il y a trois jours, nous l’avons mis en terre dans le cimetière du village.
• Témoignage de Mme Chadoud, mère de Somar mort au combat :
Dès que j’entendais qu’il y avait eu des combats autour de l’aéroport, je l’appelais. Il niait invariablement les faits et prenait ses camarades à témoin pour me rassurer. Il me répétait : « Oubliez-nous. Arrêtez de vous faire du souci. Nous sommes à la hauteur de la situation. Nous allons bien. Je ne veux pas vous savoir tristes ». Et quand je lui demandais s’il mangeait bien, il me jurait qu’il ne s’était jamais couché avec la faim au ventre.
Il envoyait son salaire à son père. Nous avions beau lui dire que nous n’en avions pas besoin, il continuait à l’envoyer en me disant : « Maman, je veux que papa reçoive les soins nécessaires. Ne va surtout pas économiser ce salaire pour me gâter à mon retour. Je veux que vous le dépensiez. Je jure que si tu ne le fais pas, je ne te parlerai plus ».
Un jour j’ai passé mon téléphone à son frère Haïdar pour qu’il lui parle et j’en ai profité pour lire le sien avant qu’il n’efface ses messages. Je lis Haïdar qui demande : « Quelle est la situation chez toi ? », et Somar qui répond : « Les projectiles pleuvent drus ! ». J’ai reçu un choc en apprenant que depuis le début de sa mission les attaques étaient quotidiennes. Et moi, je ne le savais pas !
Il m’a laissé les plus merveilleux amis qui soient. Il m’a laissé des frères. Quand il est tombé en martyr, j’ai dit à Haïdar : « Tu as perdu un soutien. Tu n’as plus de frère ». Il m’a répondu : « Il ne m’a pas laissé un frère. Il m’a laissé des frères ! ».
Quand j’ai reçu la dernière photo qu’il m’a envoyée, ouvrant ses bras vers le ciel, je ne saurais décrire ce que j’ai ressenti. J’avais la gorge nouée. Je ne pouvais pas pleurer. Elle m’a effrayée.
Je rêvais de ce que je ferais au retour de Somar et de ce que j’offrirais autour de moi. Je rêvais qu’il se tenait là, devant moi. Je rêvais comment je l’accueillerais à sa descente de voiture. Je m’étais mis dans l’esprit que j’embrasserai la terre à ses pieds, que j’embrasserai ses jambes, que j’implorerai la miséricorde divine pour tous les martyrs, et puis que je me blottirai contre lui pour respirer son parfum.
Depuis quatre ans que je rêvais de la levée du siège, j’ai été très heureuse pour ses amis quand ce jour est arrivé, mais ce fut le jour le plus difficile de ma vie. J’avais la ferme conviction que l’aéroport résistera et qu’il était impossible que les groupes armés puissent l’atteindre. Mais je n’avais pas imaginé que mon fils serait déjà tombé en martyr.
TÉMOIGNAGE DU PREMIER-LIEUTENANT ALI IBRAHIM
Personne ne meurt de faim. J’en suis convaincu. C’était dur les deux premières semaines, le temps que le corps s’adapte à ce qu’il ne reçoit plus. Ensuite ce ne fut plus un souci. Je n’y pensais plus. Personne n’a pensé à la retraite non plus. Nous retirer ? Cela n’a jamais été dans nos plans. La position dans laquelle tu t’es retranché est celle où tu mourras.
Au combat, seul ton fusil peut te protéger, protéger ton École et la position que tu dois conserver. Pour nous, cet aéroport a ceci de particulier : il est l’endroit où nous avons été formés et entraînés. C’est de là que nous sommes partis et c’est là où nous sommes revenus.
Toutes les organisations terroristes présentes en Syrie ont, à un moment ou un autre, assiégé cet aéroport. Au tout début, ce fut l’ASL mais elle a échoué. Ensuite ce fut Jabhat al-Nosra, quoique ces deux organisations ont fait alliance plus d’une fois. Puis celle de Daech est arrivée, encore plus soutenue que toutes les autres.
Elles ont toutes été confrontées à la réalité : nous ne mourrions pas de faim, nous n’étions pas tels qu’elles nous avaient imaginés. Elles ont passé leur temps à nous raconter qu’elles allaient nous exécuter à l’arme blanche. Il n’y avait là que des jeunes gens de grades modestes qui prenaient les choses avec humour. Personne n’a bronché.
Nous étions tous postés face à l’extérieur. Nous avons subi des attaques ennemies extrêmement denses. Il y avait évidemment des arbres. Un jour où je me trouvais du côté sud-est, j’ai regardé derrière moi, l’École brûlait. Je me suis dit que c’était la fin, qu’ils n’allaient pas tarder à entrer et que nul d’entre nous ne s’en sortirait. C’était sans compter sur l’intelligence de notre commandant. Il est immédiatement intervenu sur nos téléphones sans fil pour nous dire de ne pas bouger, que tout allait bien et qu’aucun des attaquants n’avait avancé vers l’École. Personne n’a bougé.
Le plus dur c’est quand tu enterres ton ami, ou que tu restes près de lui deux ou trois jours sans rien avoir à lui offrir. Tu veilles un ami qui n’arrive plus à respirer et tu n’as rien à lui offrir ! C’est une situation des plus difficiles et plus difficile encore est de le mettre en terre. Oui, le plus difficile est de le mettre en terre.
TÉMOIGNAGE DE L’INFIRMIER DE KWEIRES, AKRAM al-HASSAN
Nous manquions de moyens médicaux, pas de médecin, pas de chirurgien. Nous devions compter sur nous-mêmes et sur nos propres possibilités pour prodiguer les soins nécessaires aux blessés. Nous étions quatre infirmiers, un premier-lieutenant diplômé et un pharmacien. Difficile de savoir qu’un blessé pouvait s’en sortir en milieu hospitalier et que nous n’avions rien pour le sauver. Nous adressions les photos et descriptions des blessures par Mobile ou WhatsApp à des médecins de l’extérieur, lesquels nous donnaient leurs instructions en retour. Ils nous ont beaucoup aidés. Qu’ils en soient remerciés.
Ahmad a été abattu par un sniper. J’ai décidé de le tirer de là. J’ai avancé dans un nuage de poussière. Je l’ai ramené… que Dieu ait son âme.
Zein Ismaïl, un élève-officier, avait été blessé au bas ventre. Il saignait. Nous l’avons transfusé d’une façon rudimentaire avec, évidemment, le sang des nôtres. Les jeunes gens se présentaient, nous déterminions leur groupe sanguin, nous prélevions leur sang pour l’injecter directement aux blessés. Mais ni les trois poches de sang prélevé, ni le sérum, n’avaient apparemment servi à améliorer la situation de Zein. La tombe ouverte, nous avions préparé son cercueil dans ce qui avait servi de caisse à munitions. Mais, grâce à Dieu en qui il faut naturellement garder confiance, il a quitté l’aéroport debout et se trouve aujourd’hui parmi les siens.
Gaïth Ibrahim avait été blessé au crâne par le projectile d’un sniper, de calibre 5,5 mm. Il est arrivé alors que nous avions déjà trois autres jeunes en état d’absolue inconscience, plus d’autres blessés. Lui-même est resté inconscient pendant 4 jours pour se réveiller au 5ème jour avec une légère séquelle à l’œil. Nous en étions heureux, pensant que sa blessure avait été superficielle. Ce n’est que lorsqu’il a été hospitalisé que l’imagerie a révélé la balle et les éclats d’os logés dans son cerveau.
Idriss, mon frère, la personne la plus chère à mon cœur, que Dieu lui accorde sa miséricorde, est arrivé en plein milieu d’un combat. Il a tenu ma main et m’a dit : « Abou Ahmad, ne me laisse pas ! ». Je ne voulais pas le quitter, mais d’autres blessés m’attendaient. Je lui ai dit que je ne le laisserai pas. Pourtant, je l’ai laissé pour aller vers les autres. J’étais complètement anéanti quand il est parti, alors que je ne pouvais me permettre cette faiblesse. Oui je l’ai pleuré, mais pas plus de deux minutes. Maintenant que l’aéroport est libéré, pleurer Idriss la vie entière ne serait pas suffisant.
Le 9 août 2015 nous étions à deux doigts de la chute de l’aéroport, un groupe de Daech ayant occupé l’immeuble en face du dispensaire. J’ai appelé mon père pour lui faire mes adieux. Il m’a dit qu’il voulait que je me comporte en homme. Je lui ai répondu que j’étais un homme, mais que je voulais qu’il soit fort quand il recevra la nouvelle. La gorge serrée, il m’a conseillé de m’en remettre à Dieu. Ni lui, ni moi, ne pouvions pleurer.
Finalement, c’est une histoire de vie ou de mort, où la volonté de vivre l’a emporté…
Reportage de Mme Ugarit Dandache | 10/12/2015
Transcription et traduction par Mouna Alno-Nakhal