Guantanamo, une torture sans fin
31 décembre 2015
ACAT
Guantanamo, une torture sans fin
Où en est le projet de fermeture de Guantánamo?
Le Président Obama a proposé pour la première fois de fermer Guantanamo en 2009. Lors de sa prise de fonctions, son premier acte fut même de promulguer un décret exécutif pour fermer la prison. De l’avis général, les négociations avec les membres du Congrès ont été mal gérées à l’époque. Six années de retard n’ont fait que renforcer leur résistance et le principal obstacle reste l’opposition du Congrès.
Actuellement, la Maison-Blanche serait en train d’élaborer un plan de fermeture de la prison en transférant les détenus aux Etats-Unis. En juillet 2015, la conseillère du Président à la sécurité intérieure et au terrorisme a indiqué que des efforts seraient entrepris pour transférer les détenus déjà déclarés libérables, ainsi que ceux qui attendent la décision en ce sens du système de révision périodique. Une fois atteint le seuil minimal irréductible de prisonniers, ce groupe serait ensuite transféré aux Etats-Unis. Ces prisonniers seraient détenus au titre du droit de la guerre dans des installations militaires ou des prisons de très haute sécurité et pourraient être jugés devant des commissions militaires ou des tribunaux fédéraux. Si la Maison-Blanche tarde à communiquer son plan de fermeture au Congrès, c’est probablement en raison des récentes attaques de Paris, Beyrouth, du Mali et de San Bernardino.
Nous ne savons pas si les prisonniers actuellement jugés devant la commission militaire de Guantanamo seront concernés par les transferts, ni comment cela se matérialisera. Je pense que les procès et détentions des personnes accusées d’avoir participé aux attentats du 11/09 se poursuivront à Guantanamo car de nombreuses ressources ont été mobilisées pour y créer ce système.
Il reste à savoir sous quelle autorité les prisonniers seront détenus aux Etats-Unis. Les avocats s’opposeront certainement à l’incarcération de leurs clients dans des prisons nationales s’ils n’ont jamais été condamnés. La seule option serait alors des installations militaires, ce qui soulève de réelles préoccupations quant aux conditions de détention.
La véritable solution concernant Guantanamo devrait être simple : si les Etats-Unis disposent de preuves contre eux, ils peuvent être jugés. Si au delà de dix ans d’emprisonnement, ou plus, aucune preuve ne peut être établie, ils ne peuvent plus être détenus. Ca, c’est la justice !
5 détenus encourent la peine capitale devant les commissions militaires pour leur participation présumée aux attentats du 11 septembre 2001. Avant leur transfert à Guantánamo, ils ont été victimes de disparition forcée et la CIA les a détenus secrètement pendant quatre ans et demi au plus. C’est le cas du Pakistanais Ammar Al-Baluchi, votre client. Pouvez-vous nous dire où en est la procédure ?
Les actions judiciaires menées après le 11/09 sont au stade des audiences avant-procès depuis trois ans et n’évolueront vraisemblablement pas avant de nombreuses années. Il reste en effet une quantité de questions à résoudre dans le cadre du nouveau système de commissions militaires et le ministère public a décidé qu’un seul procès aurait lieu pour les 5 détenus. Cela multiplie le nombre de questions à traiter en amont du procès. En outre, comme le gouvernement persiste à refuser que la Constitution s’applique à Guantanamo et que de nombreux faits de l’affaire sont classés secrets (y compris des faits largement connus du public), nous avons de grandes difficultés à définir les droits des prisonniers et à savoir comment représenter au mieux leurs intérêts car ils n’ont l’autorisation de consulter qu’une petite partie des preuves que le ministère public essaie d’utiliser contre eux.
De plus, le gouvernement a compliqué les choses en créant des procédures et en utilisant des tactiques visant à tenir les avocats éloignés des détenus. Cette démarche choque ceux qui ont foi dans le système judiciaire américain et qui ont fait serment de respecter et de défendre la Constitution américaine.
Les tactiques d’éloignement se manifestent de plusieurs façons. Nos communications avec nos clients sont constamment surveillées. Nous avons trouvé des équipements espions dans des salles de réunion. Les documents juridiques de nos clients ont été saisis par les gardiens de Guantanamo. Le FBI a tenté d’infiltrer un informateur dans une équipe d’avocats de la défense. En février 2015, les détenus ont reconnu l’un des interprètes d’une équipe d’avocats de la défense, ils l’avaient vu auparavant dans une prison secrète. Nous ne sommes plus autorisés à apporter de la nourriture. Cela semble destiné à rendre les visites des clients aussi inconfortables que possible. Non seulement ces intrusions dans la défense font qu’il est très difficile de conserver la confiance de nos clients, mais elles sont inadmissibles dans une affaire criminelle où des vies sont en jeu.
Comment travaillez-vous sur cette affaire, y compris avec votre client?
Des membres de mon équipe rendent visite à Ammar toutes les semaines et nous lui écrivons tous les jours. Nous le tenons informé de nos idées, entretiens, recherches, des actualités et d’autres projets. Nous sommes toujours très honnêtes lorsque nous évaluons les meilleures options le concernant. Nous respectons ses opinons sur cette affaire et nous assurons qu’il comprend.
Notre priorité est de garantir un procès équitable à notre client. Cela demande d’immenses efforts pour clarifier les règles de la commission militaire ou lutter contre le ministère public chaque fois qu’il cherche à présenter des preuves secrètes ou classées que nous ne sommes pas autorisés à partager avec nos clients. Cela exige de revendiquer continuellement que la Constitution américaine doit s’appliquer à une commission militaire administrée par du personnel américain.
Défendre notre client implique également de mettre en lumière le fait que les autres accusés et lui-même ont été brutalement torturés et que le gouvernement américain a cautionné cela. Nous devons garantir que le ministère public n’essaiera en aucun cas d’utiliser des preuves obtenues illégalement par la torture ou la violation du secret professionnel avocat-client. Nous devons également nous assurer que la torture sera prise en considération, si nécessaire, en vue de réduire la peine.
Un avocat spécialisé, expert dans la défense des personnes encourant la peine capitale, doit être nommé dans toutes les affaires jugées par les commissions militaires lorsque la peine de mort est applicable. Il s’agit généralement de civils engagés pour travailler avec des avocats militaires sur des affaires particulières. L’association de spécialistes est extrêmement utile. Parmi nous, ceux qui connaissent la justice militaire ont tendance à comprendre le droit militaire ainsi que les aspects procéduraux des commissions. Les avocats civils disposent de compétences variées pour élaborer des stratégies créatives et souvent d’une expertise en droit de la peine de mort et en droit international/droits de l’homme.
Les avocats de la défense travaillent également aussi étroitement que possible avec les avocats spécialisés en habeas corpus (civils), même si partager des informations sensibles ou classées avec des avocats habeas (malgré certaines autorisations) est généralement interdit.
Qu’en est-il des prisonniers maintenus en détention illimitée sans être inculpés, comme votre client Abdul Zahir supposé avoir attaqué des journalistes étrangers à Zormat (Afghanistan) en 2002 ? Est-ce que le système de révision périodique mis en place par Obama fonctionne ?
Abdul Zahir n’a pas été mis en cause devant la commission militaire actuelle. En outre, il n’a toujours pas fait l’objet d’une révision périodique. Cela signifie que le système de révision périodique est un échec.
Chaque prisonnier éligible était censé bénéficier d’un examen complet dès la première année (avant mars 2012) et tous les trois ans après. Mais l’examen du premier prisonnier n’a été réalisé que fin 2013, et en septembre 2015, seuls 17 prisonniers avaient effectivement bénéficié une fois du système de révision périodique.
Les observateurs ont critiqué le manque de ressources adéquates ou de personnel du système de révision périodique, qui semble constituer une violation massive des droits de l’homme car les prisonniers ne peuvent même pas être transférés avant d’être déclarés libérables.
Pour qu’un prisonnier puisse être libéré en vertu du système de révision périodique, il faut qu’il ait été unanimement mis hors de cause par les représentants des départements d’Etat, de la défense, de la justice, de la sécurité intérieure, du bureau du directeur des renseignements (comprenant le FBI et la CIA) et du comité des chefs d’état-major. C’est un processus extrêmement rigoureux et difficile. Le pourcentage de décisions en faveur de la libération des prisonniers est de 83 % – 15 prisonniers sur 18 ont été déclarés libérables en vertu du système de révision périodique.
Le gouvernement a l’intention de poursuivre de nouveaux prisonniers devant la commission militaire. Toutefois, au rythme des affaires en cours, je pense qu’il est difficile d’envisager de juger beaucoup d’autres prisonniers à Guantanamo.
Guantanamo en chiffres
779 prisonniers sont passés à Guantánamo depuis son ouverture le 11 janvier 2002.
- 672 ont été libérés ou transférés vers d’autres pays ;
- 9 sont morts (dont 7 suicides) ;
- 8 ont été condamnés par les commissions militaires ;
- 107 étaient toujours détenus en décembre 2015 :
- 48 peuvent être libérés ou transférés car “sans danger pour la société ;
- 10 sont soumis au système des commissions militaires (3 sont condamnés, 7 sont en cours de procédure) ;
- 49 sont maintenus en détention illimitée sans inculpation, leur situation doit être réexaminée tous les 3 ans par le système de révision périodique en place depuis mars 2012.
Torture et mauvais traitements continuent d’être dénoncés par les détenus et leurs avocats : isolement quasi constant, limitations des visites des familles, bruits et lumière en permanence, gavage forcé par sonde naso-gastrique en cas de grève de la faim.
[1] Les commissions militaires sont des tribunaux d’exception créées par décret présidentiel en novembre 2001 pour juger les étrangers « combattants ennemis ». Elles ne sont pas soumises au respect de l’article 3 des Conventions de Genève sur le minimum de traitement humain à garantir aux prisonniers. Un temps jugées inconstitutionnelles, elles ont repris en octobre 2006 avec l’adoption de la loi MCA sur le « nouveau » système de commissions militaires. Depuis juin 2008, les détenus ont le droit de contester la légalité de leur détention (habeas corpus) devant un tribunal civil, depuis 2014 cela inclut les conditions de leur isolement prolongé et notamment le gavage forcé.