Cette photo est celle de la Médersa de Tlemcen.
Cette chronique, du 30 11 2014, éclairait, dans le passage en gras, un moment de fabrication des idoles littéraires néocoloniales algériennes.Elle trouve toute sa place dans la polémique « Daoud et les nuits de Cologne ».
In Impact24 le 30.11.2014
Dans cette histoire de francophonie, il était vital pour la France néocoloniale de dissoudre dans les têtes africaines les buts premiers de cette organisation mais de prolonger, dans toutes les formes possibles, les thèses qui l’ont construite. Il était entendu pour Senghor, dans sa « racialisation » du rapport colonial, que le blanc possédait sur nous la supériorité de la rationalité scientifique et technique et il a fait de la Francophonie le moyen de l’acquérir par l’apprentissage de la langue et le transfert de quelques savoir-faire. Personne, du côté des colonisés, n’a autant que Senghor, théorisé notre retard et avalisé la thèse d’un progrès humain du bas vers le haut, de l’inférieur au supérieur, dont le Blanc, mais un Blanc sublimé, est le modèle achevé.
Ce Senghor des indépendances octroyées est tout entier dans celui de la Négritude dont Fanon a excavé tous les malentendus, y compris pour Césaire. Avec « Peau noire, masques blancs » et « Les damnés de la terre » nous avons la chance d’une déconstruction de sa démarche de ses racines plongées dans la théorie de la Négritude à ses résultats dans la recherche d’une tutelle néocoloniale pour les élites bourgeoises indigènes inquiètes du radicalisme des mouvements populaires.
Entre des milieux français qui pensaient s’ouvrir plus de marchés en imposant une langue unique et Senghor qui espérait en tirer quelques progrès, le malentendu fonctionna tant que la Françafrique gardait son ascendant sans concurrent notable.
Sarkozy, dans ce même Dakar qui accueille la messe périodique, en a rappelé l’axiome fondamental en juillet 2007: l’Homme africain, c’est-à-dire le Nègre (mais comprenez aussi l’Arabe, le Musulman, l’Hindou etc.) n’est pas encore entré, ou pas assez, dans l’Histoire. Il devait rappeler à tous, dans un contexte de crise qui culminera en Côte d’ivoire et de remise en cause inaugurée par Thomas Sankara vingt plus tôt, que le «retard» des africains expliquait seul les échecs de la Françafrique et de la Francophonie à assurer ce progrès technique et dans « l’ordre de la rationalité » promis par la France en échange de l’exemplaire parodie du modèle. Sarkozy justifiait les dédits de tous ses prédécesseurs face aux colères et aux contestations africaines qui montaient. La polémique qui s’en est suivie sur le « retour du racisme décomplexé » a opportunément voilé l’enjeu essentiel du rappel à l’ordre d’élèves africains de plus en plus nombreux à se tourner vers une Chine prometteuse en investissements concrets mais de plus en plus offensive sur les champs énergétiques dont l’uranium.
Depuis cette date fatidique les stratégies agressives de la reprise en mains par l’Etat français ne sont pas démenties avec des niveaux paroxystiques en Libye, en Côte d’Ivoire, au Mali. Toute l’ancienne Afrique française a connu dans cette période ouverte par le Discours de Dakar des réajustements brutaux ou subreptices avec pour épisode risible mais hautement significatif dans sa tristesse la prétention de d’Alassane Ouattara à mener une coalition guerrière au Mali.
Mais c’est sur le plan essentiel de la perception des hommes et de leurs rapports, que le Discours de Dakar enchaînait sur la défense de la colonisation via ses «effets positifs» et préparait la reconquête par la culture dont le cœur consistera à nous accabler de notre incapacité d’entrer dans l’Histoire et de nous gouverner par la Raison. Mais dans cette tâche politicienne, elle ne pouvait mobiliser Senghor qui parlait d’enjeux de l’Histoire et de vision de l’Homme. Cette France sélectionnera alors dans les élites indigènes les locuteurs aptes au rôle de sbires culturels pour recycler sous toutes les formes locales possibles non pas la thèse du retard, ce qui suppose quand-même un moment particulier dans une marche générale de l’humanité, mais celle d’une incapacité à être dans l’ordre des humains et qui nous fixerait dans l’immobilisme.
Nous serons donc partout, dans les livres, les films, etc. sales, voleurs, obsédés, décérébrés, sans instance morale ni sur-moi, jouets de nos pulsions mais capables de prouesses physiques, violents mais si infantiles dans notre besoin de la main d’un maître. Bref nous sommes tels que Porot (1) nous a décrits face à la question mortelle et apparemment décisive : qu’avez-vous fait de vos indépendances ? Ils trouveront d’autant plus de candidats que les couches parasitaires et millionnaires nées de ces cinquante années de courtage au profit de l’ancienne puissance n’ont pas, pour dire leur supériorité sociale ou leur distinction de classe, d’autre langage que celui des colons et d’autre possibilité que l’acclimatation grossière du racisme colonial et esclavagiste.
Ce sommet de la Francophonie ne dérogera pas aux impératifs de cette reconquête. La crise qui fait trembler le système impérialiste ne laisse d’autres issues que la violence de ses clichés pour accompagner la violence de sa reconquête.
(1) Antoine Porot (1976 – 1965) père de « l’Ecole d’Alger » en psychiatrie coloniale dont les thèses édictaient la condition de sous-hommes des indigènes jouets de leurs instincts et de leurs pulsions.
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