Par Mohamed Bouhamidi.
Au sens général, pas forcément ou pas seulement au sens de Gramsci. Au cours du 20ème siècle, sur tout le spectre de la production de la pensée, s’était imposée l’idée que les choses humaines survenaient sur des socles préexistants, se reliaient à d’autres événements et allaient produire forcément des conséquences. À la thèse admise d’une détermination sociale en général, explorée au niveau de la philosophie, au niveau du roman puis de la sociologie la détermination du nos contenus psychiques par nos histoires individuelles.Un des plus beaux résultats, sinon le plus beau, de cette hypothèse d’une historicité des faits sociaux ou des faits individuels a été l’émergence d’une archéologie des savoirs, des représentations de l’ordre matériel ou de l’ordre spirituel du monde et des groupes humains.
Autour de cette thèse admise la lutte était sévère quant à la nature des déterminations, de l’ordre de la réalisation de l’Idée ou des idées, de l’ordre de la réalisation des intérêts sociaux ou encore de l’ordre d’un inconscient individuel. Les acteurs de cette lutte, intellectuels de tous bords et de tous les engagements, rattachaient clairement leurs positions sur cette nature des déterminations, aux enjeux des luttes sociales : contre le capitalisme, contre le communisme ou le socialisme, contre l’hégémonie de l’église, contre ou pour le racisme etc.
Même l’idée d’une « éternelle nature humaine » qui pousse l’homme vers le capitalisme et la recherche du profit n’entravait pas le recours à l’historicité.
Ce n’était pas le mérite des intellectuels mais le résultat de luttes entre groupes sociaux, de luttes de classes ou de luttes entre Etats pour la conquête d’avantages coloniaux. Le vingtième siècle a bien été le siècle des grandes guerres de classes ou de nation.
tant qu’existaient une pluralité d’acteurs et une pluralité de luttes, il existait une pluralité d’expressions et une pluralité de philosophies qui obligeaient les intervenants à fonder leurs arguments. Et donc de chercher la légitimité de leur propre place dans le monde par une filiation historique, par un sens de l’histoire voire par une téléologie dont ils seraient les signes et les acteurs. Existe-il une place légitime et du sens sans un récit ?
La chute du Mur de Berlin a marqué la fin de ces luttes qu’on a vite confondue avec une fin de l’histoire. La victoire écrasante du camp qui s’appelait « camp de la liberté » -entendez la liberté d’entreprendre – a éliminé l’adversaire le plus productif de la lutte des idées puis atomisé les organisations des luttes sociales de l’Europe contre lequel on devait produire le « bon récit ».
Le camp des vainqueurs pouvait s’atteler alors à appliquer/imposer ses lois sur le monde entier comme normes uniques qu’il a appelées « valeurs ». Il n’avait plus besoin de produire un « contre-récit», il n’avait même plus besoin de produire un récit, une histoire, un mythe. Le vainqueur absolu n’a pas besoin d’un récit fondateur, car il est conforme à ce que veut la nature, qui veut le profit, qui veut le capitalisme. Il est forcément a-historique, car l’histoire n’est que le récit de cette nature contrariée.
L’historicité comme méthode admise et usitée d’exploration du réel est en recul car il y a recul des luttes sociales, des confrontations politiques, des adversités de terrain.
Dans notre pays aussi.
En attendant le retour des grandes confrontations mondiales et sociales.
M. B