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23 décembre 2024

Libye : les kadhafistes de retour en scène


 

À la dérive depuis cinq ans, la Libye n’a toujours pas de modèle politique pérenne. Résultat, les battus d’hier refont surface dans le jeu politique

Il ne s’agit pas pour Saïf al-Islam de prendre le pouvoir en pleine lumière, du moins pour le moment, mais de pouvoir manœuvrer dans l’ombre la reconfiguration politique du pays (AFP)

TRIPOLI – La situation en Libye est si chaotique que le néologisme « libyanisation » est en train de s’imposer. Une combinaison fatale de balkanisation – division d’un État en zones autonomes – et de somalisation – défaillance d’un gouvernement au profit de milices. Actuellement, le pays compte trois gouvernements. Durant les cinq précédentes années, la Libye a connu deux élections générales, un coup d’État avorté, l’arrivée du groupe État islamique (EI) et des conflits ethniques de basse intensité. La déliquescence est telle que de plus en plus de Libyens réclament un retour de la Jamahiriya (État des masses) installé par Mouammar Kadhafi.

« Nous voulons libérer la Jamahiriya qui a été victime d’un coup d’État mené par l’OTAN », assène d’emblée Franck Pucciarelli à Middle East Eye. Le Français, installé en Tunisie, est le porte-parole d’un groupe regroupant des partisans des comités révolutionnaires libyens et internationaux, qui faisaient office de courroie de transmission de l’idéologie kadhafiste. Il explique ainsi que les membres sont à l’œuvre depuis 2012 dans et en dehors du pays. L’organisation compterait 20 000 membres en Libye et 15 à 20 000 anciens militaires exilés se tiendraient prêt à rentrer. « Nous sommes en capacité d’organiser un soulèvement populaire et si le chaos s’est installé en Libye, c’est grâce à nos actions », assure le porte-parole.

Ahmed, un ancien cadre au ministère des Affaires étrangères aujourd’hui installé en Tunisie, se montre plus mesuré. « Nous avons profité de l’instabilité pour revenir mais nous n’y sommes pour rien, précise-t-il à MEE. Les Libyens et la communauté internationale se rendent simplement compte que la Libye ne peut être bien gouvernée que sous la Jamahiriya. »

Trois types de kadhafistes

Les deux hommes se rejoignent pourtant sur l’organisation politique du pays après la reconquête du pouvoir : tenue d’un référendum – ou plutôt plébiscite – sur le retour de la Jamahiriya avec présence de la communauté internationale pour superviser le scrutin. Un État des masses quelque peu modernisé avec un Sénat qui représenterait les tribus, une chambre basse et surtout une constitution, absente sous Mouammar Kadhafi.

Un scénario qui fait sourire Rachid Kechana, directeur du Centre maghrébin d’étude sur la Libye, qui admet toutefois un renouveau durable de l’idéologie verte (couleur de la Jamahiriya) : « Le retour en grâce de l’ancien régime se comprend avant tout par l’échec de la transition post- révolutionnaire. Et c’est sur cet échec que s’appuient les idéologues kadhafistes pour revenir dans le jeu, et non sur une véritable adhésion populaire. Les kadhafistes ne reviendront jamais au pouvoir, mais ils auront un poids important, par des alliances stratégiques, dans la future Libye. »

Mattia Toaldo, spécialiste de la Libye au Conseil européen sur les relations internationales, distingue trois types de kadhafistes : les partisans de Saïf el-Islam, le fils préféré de Kadhafi, détenu depuis 2011 dans la ville de Zentan, à l’ouest ; les soutiens du maréchal Khalifa Haftar, à l’est du pays ; et les orthodoxes de la Jamahiriya. Franck Pucciarelli et Ahmed représentent la dernière catégorie, la plus dure.

Ceux qui ont rejoint Haftar ont profité de la loi d’amnistie votée par le parlement de Tobrouk pour les auteurs de crimes durant le soulèvement de 2011. Un texte qui vise à faire revenir les exilés, qui seraient entre 1,5 et 3 millions dont une majorité de kadhafistes, réfugiés en Tunisie et en Égypte.

Le clan de Saïf el-Islam est probablement le mieux structuré et rassemble une partie des orthodoxes. Bien que condamné à mort le 28 juillet 2015 par contumace à Tripoli, Saïf al-Islam est toujours en vie à Zentan. Officiellement prisonnier des milices locales, il bénéficie de conditions de détention très lâches : il circulerait assez librement dans la ville et communiquerait énormément via l’application de téléphonie par Internet Viber.

Saïf al-islam passe mieux que son frère, Saadi

Jusqu’ici assez sombre, son futur a été relancé indirectement grâce aux pays occidentaux. Les courriels de Hillary Clinton révélés par Wikileaks et le rapport parlementaire du député conservateur Crispin Blunt publié en septembre dépeignent un Saïf el-Islam modéré, potentiellement prêt à jouer le jeu de la transition démocratique à la suite de son père.

« L’engagement de Saïf Kadhafi aurait, peut-être, pu permettre à Lord Hague [ministre des Affaires étrangères de 2010 à 2014] de soutenir Mahmoud Jibril et Abdul Jalil dans la mise en œuvre de réformes en Libye sans encourir les coûts politiques, militaires et humains de l’intervention et le changement de régime, mais nous ne le saurons jamais. De telles possibilités, cependant, auraient dû être sérieusement considérées à l’époque », défend le rapport émanant de Londres.

Les kadhafistes ont, depuis, beau jeu de mettre en avant le profil modéré et éduqué de Saïf el-Islam, diplômé de la London School of Economics. Il passe mieux que celui de son frère Saadi, emprisonné à Tripoli, et qui s’est tourné vers la religion. Ses frères, Hannibal et Mohamed, sa sœur Aïcha et sa mère Safia, se tiennent quant à eux silencieux à Oman depuis octobre 2012 après avoir appelé depuis l’Algérie à une contre-révolution violente dès les premiers mois de la mort de Mouammar Kadhafi.

Il ne s’agit pas pour Saïf al-Islam de prendre le pouvoir en pleine lumière, du moins pour le moment, mais de pouvoir manœuvrer dans l’ombre la reconfiguration politique du pays. De nombreuses tribus à l’ouest craignent l’avancée de Haftar, soutenu par les tribus de l’est, à commencer par les habitants de Zentan, bien qu’officiellement alliée du maréchal.

Or, aujourd’hui, la Tripolitaine est divisée entre un groupe islamiste et un Gouvernement d’union nationale (GNA) très faible malgré sa reconnaissance par la communauté internationale.

Les kadhafistes invités pour la première fois par l’ONU

Saïf al-Islam pourrait jouer la figure d’unité face à une Cyrénaïque – région orientale de la Libye – en plein essor grâce aux récentes victoires de Haftar. Sur le terrain, les signes positifs s’amoncellent pour le fils de l’ancien guide.

En septembre 2015, l’autoproclamé Conseil suprême des tribus libyennes a d’ailleurs choisi Saïf al-Islam comme le représentant légitime du pays. Ce conseil rassemble essentiellement les tribus restées fidèles à Kadhafi et n’a pas de poids institutionnel mais la symbolique est forte.

Depuis le printemps, Ali Kana, l’ancien chef de l’armée de la zone sud sous Kadhafi, œuvre pour la constitution d’une armée du Fezzan (région méridionale de la Libye), dont l’effectif est difficile à chiffrer pour le moment. Ali Kana a d’ores et déjà annoncé que son groupe ne s’affilierait ni à Tripoli, ni à Tobrouk, mais seulement à un pouvoir qui reconnaîtrait la légitimité de la Jamahiriya.

Les milices les plus révolutionnaires de Tripoli ont compris le danger potentiel de laisser la nostalgie rampante de l’époque Kadhafi se développer (AFP)

En août, pour la première fois, l’ONU a invité des kadhafistes historiques, dont un ancien président du Congrès du peuple (équivalent d’une assemblée législative sous la Jamahiriya) à s’exprimer lors de discussions sur une solution politique et économique à la crise.

« Ce pays est devenu une blague »

La population commence également à comparer le présent avec le passé, en faveur de ce dernier. A l’intérieur d’une banque Jamhouriya de Tripoli, Mahmoud Abdelaziz, la quarantaine, attend depuis deux heures de pouvoir retirer les 500 dinars (327 euros) autorisés et ce, quelques jours par semaine.

Les réserves en devises sont passées de 107,6 milliards de dollars en 2013 à 43 milliards fin 2016. Au marché noir, un dollar s’échange à 5,25 dinars.

« Ce pays est devenu une blague : c’est la guerre civile partout, il n’y a pas d’argent et la meilleure carrière possible est d’intégrer une milice », dénonce Mahmoud Abdelaziz à MEE reconnaissant toutefois à la révolution la liberté de critiquer ce qui aurait été impossible sous Kadhafi.

Il avoue quand même que c’était mieux avant car « la sécurité est préférable à la liberté ». Les milices les plus révolutionnaires de Tripoli ont compris le danger potentiel de laisser cette nostalgie rampante se développer. En juin, elles ont assassiné à Tripoli douze loyalistes de la Jamahiriya qui venaient de finir leurs peines de prison pour leurs exactions commises en 2011.

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