Aller à…
RSS Feed

23 décembre 2024

Voici les fleurs et les animaux qui vont (peut-être) sauver Notre-Dame-des-Landes


12 novembre 2016 / Émilie Massemin (Reporterre)

Lundi 14 novembre, la justice jugera la légalité de quatre arrêtés de destruction d’espèces protégées. Ils sont indispensables au début des travaux de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Qui sont ces habitants de la Zad à feuilles, à écailles ou à poils, qui pourraient faire obstacle au béton et au bitume ?

Lundi 7 novembre, devant la cour administrative d’appel de Nantes, la rapporteuse publique Christine Piltant a préconisé l’annulation de quatre arrêtés préfectoraux qui ouvrent la voie aux travaux de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. La décision de la cour est attendue lundi 14 novembre. Ces arrêtés autorisent la destruction des espèces protégées qui ont trouvé refuge dans les 1.426 ha de mares, de haies, de prairies et de ruisseaux de la Zad. Selon l’arrêté no 2013354-0009 du 20 décembre 2013, 97 espèces protégées seront affectées par le chantier et le fonctionnement de l’aéroport ! Sans compter le campagnol amphibie, qui a fait l’objet d’un texte à part.

Le bureau officiel chargé des études d’impact a sous-évalué la présence d’animaux et de végétaux menacés, ont constaté les Naturalistes en lutte. Pendant trois ans, les botanistes, entomologistes, batrachologues et ornithologues de ce collectif ont bénévolement parcouru la zone humide et ses paysages bocagers pour réaliser leurs propres inventaires. Plus de 300 personnes se sont mobilisées pour mener à bien cette tâche. Leurs conclusions sont rassemblées dans la revue Penn ar bed (avril 2016) de l’association Bretagne vivante.

Reporterre vous emmène à la rencontre de six des habitants de la Zad, mis en péril par le béton et le bitume. Mais qui, finalement, pourraient faire tomber le projet de futur aéroport.

Le flûteau nageant (Luronium natans)

JPEG - 182.4 ko
« Luronium natans », le flûteau nageant.

Cette petite plante vivace aux jolies fleurs blanches à trois pétales affectionne les eaux douces, stagnantes et peu profondes de la Zad — mares, fossés, ornières inondées. « Nous avons dénombré 20 stations [lieux où croît spontanément et de manière habituelle une espèce donnée] de flûteau nageant sur les 3.000 ha de la Zad et de ses abords immédiats. Cela représente 10 % des stations de la région Pays de la Loire ! » a calculé Aurélia Lachaud, botaniste aux Naturalistes en lutte et à Bretagne vivante.

Cette concentration de flûteau nageant confère au site de Notre-Dame-des-Landes un intérêt majeur pour la sauvegarde de l’espèce. En forte régression à cause de la disparition des zones humides, la petite fleur blanche est protégée et a fait l’objet d’un plan d’action national de 2012 à 2016. « Son bastion en France, le marais de la Brière, en Loire-Atlantique, est menacé, s’inquiète Mme Lachaud. Cette cuvette récupère toutes les eaux polluées d’origine agricole et urbaine. Or, le flûteau nageant a besoin d’eau de bonne qualité, pauvre en matières organiques. Par ailleurs, il est mangé ou étouffé par les espèces invasives, comme les ragondins, les écrevisses de Louisiane et les jussies. »

Au contraire, la zone humide de Notre-Dame-des-Landes présente tous les atouts : eau de bonne qualité grâce à sa situation en tête de bassin versant, absence d’espèces invasives. Cette forte densité permet aussi un brassage génétique satisfaisant entre les plantes qui vivent dans des mares isolées, grâce aux insectes pollinisateurs.

Le grand capricorne (Cerambyx cerdo)

JPEG - 474.9 ko
« Cerambyx cerdo », le grand capricorne.

Ce grand coléoptère aux antennes impressionnantes vit sur les vieux chênes de la Zad. « La femelle pond près de la blessure d’un arbre âgé d’au moins 80 ans, fragilisé par la maladie ou la vieillesse, décrit Franck Herbrecht, entomologiste professionnel. La larve se développe dans le tronc pendant deux à trois ans en mangeant le bois. » Après plusieurs mues, l’adulte finit de grignoter l’écorce et s’élance à l’air libre. On détecte sa présence grâce aux trous, « ovales et assez grands pour y entrer le pouce », qu’il laisse sur le tronc. Bien que protégée à l’échelle nationale, « cette espèce n’est pas rare en France et elle se maintient plutôt bien dans l’Ouest bocager », précise M. Herbrecht. Par contre, son habitat de prédilection, des haies où cohabitent des arbres d’âges variés et suffisamment vieux, se raréfie.

C’est pourquoi l’entomologiste se montre sceptique quant aux mesures de sauvetage envisagées — déplacer les arbres où se dissimulent les rejetons de grands capricorne en dehors de l’emprise du chantier, dans des zones de compensation. « On ne peut pas déplacer un arbre de cent ans, insiste-t-il. Résultat, on le coupe et on espère que les larves survivront et arriveront à terminer leur développement. » Pourtant, les petits ne mangent pas de bois mort. Par ailleurs, en réinstallant les arbres, il faut s’assurer qu’ils sont assez proches les uns des autres pour permettre le brassage des populations, et qu’ils avoisinent des arbres plus jeunes qui pourront accueillir les insectes quand les plus anciens seront morts.

Surtout, ces mesures ne permettent pas la préservation des habitats. « Ce sont des kilomètres de haies qui vont sauter, dénonce M. Herbrecht. Que faire, replanter ? Mais on ne compense pas la perte d’un arbre de 80 ans par un arbre de 5 ans. »

Le triton marbré (Triturus marmoratus), le triton crêté (Triturus cristatus) et la grenouille agile (Rana dalmatina)

JPEG - 185.7 ko
« Triturus marmoratus », le triton marbré.

Ces amphibiens partagent leur existence entre les mares de la Zad, où ils se reproduisent, et les haies et les herbes hautes, où ils mangent et hivernent. C’est à la saison des amours, à partir de février-mars, qu’on a le plus de chance de les apercevoir. « La grenouille agile est très rapide, elle pond ses œufs d’un seul coup puis sort très vite de la mare, précise Olivier Swift, batrachologue pour les Naturalistes en lutte et ingénieur écologue. Les tritons, eux, peuvent rester deux mois dans l’eau, où ils pondent leurs œufs un par un. Ils vont jusqu’à envelopper la ponte de feuilles aquatiques pour les protéger des larves de libellules ! »

JPEG - 173.3 ko
« Triturus cristatus », le triton crêté.

Les Naturalistes en lutte ont inventorié entre 30.000 et 50.000 grenouilles agiles dans les 200 mares de la Zad — la plus belle population de France, selon M. Swift. Pas mal pour une espèce protégée inscrite à l’annexe IV de la directive habitats-faune-flore de l’Union européenne. Pour le triton marbré et le triton crêté, l’évaluation est plus difficile, car seuls 10 % des adultes se rendent dans les mares pour se reproduire. Mais leur taux de présence, dans 32 % des mares pour les tritons marbrés, fait de Notre-Dame-des-Landes le refuge de la troisième population française. Un formidable réservoir que les mesures de protection envisagées — capturer les adultes dans les mares pendant la reproduction et les déplacer ailleurs — ne permettront pas de reconstituer. « Seule une infime partie de la population sera prélevée, souligne le batrachologue. Ce n’est pas de la compensation, c’est un coup médiatique. »

JPEG - 263.2 ko
« Rana dalmatina », la grenouille agile.

Par ailleurs, les tritons crêtés ont besoin de conditions de vie particulières, associant une forte densité de mares (trois ou quatre au kilomètre carré), des haies et des prairies humides, difficiles à recréer. Le lâcher des animaux dans des zones de compensation où habitent déjà des batraciens risque d’entraîner un déséquilibre du sex-ratio. Enfin, grenouilles et tritons sont philopatriotes, c’est-à-dire qu’ils essaient à tout prix de retrouver la mare où ils ont l’habitude de se reproduire. « On risque de les retrouver sur les routes », redoute M. Swift.

Le campagnol amphibie (Arvicola sapidus)

JPEG - 75.9 ko
« Arvicola sapidus », le campagnol amphibie.

Le campagnol amphibie, boule de poils toute ronde à la queue très courte, est un des plus gros campagnols de nos contrées. Nocturne, très craintif, cet herbivore ne sort de son terrier mi-terrestre mi-aquatique que pour se nourrir et se déplace à l’abri des herbes hautes. « Nous avons croisé quelques individus sur la Zad, mais nous avons surtout repéré sa présence grâce à ses crottes caractéristiques, d’un centimètre de long, aux bords arrondis comme un Tic-Tac noir », explique le docteur vétérinaire Frédéric Touzalin. La Loire-Atlantique en général et la Zad en particulier, riches en zones humides, accueillent une population importante de ce rongeur classée « vulnérable » sur la liste rouge mondiale des espèces menacées, victime de la destruction de son habitat.

JPEG - 128.6 ko
Des crottes du campagnol amphibie.

Pourtant, les mesures de sauvegarde envisagées semblent particulièrement fantaisistes : « Il s’agirait de mettre des gens devant les pelleteuses, pour qu’ils attrapent les campagnols au fur et à mesure qu’ils sont chassés de leurs trous et les emmènent ailleurs. Quand on sait à quel point les campagnols sont rapides, c’est quasiment irréalisable. Si vous avez déjà essayé d’attraper une souris chez vous, vous voyez de quoi je parle », commente le Dr Touzalin. Pour cette raison, seule une minorité d’individus pourra être sauvée. Suffira-t-elle à reconstituer une population ? « Il faut balayer cette idée qu’on peut déplacer les espèces, tranche le vétérinaire. Techniquement, il est impossible de capturer plusieurs centaines d’individus, seulement un ou deux pour la photo. »


Vous avez aimé cet article ? Soutenez Reporterre.


Lire aussi : Abandonner le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? Une issue juridique s’annonce très possible


Source : Émilie Massemin pour Reporterre

Photos :
. Chapô : Triton crêté (© Olivier Swift)
. Naturalistes menant l’inventaire naturel sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes en avril 2013. © Les Naturalistes en lutte.
. campagnol : © Frédéric Touzalin
. flûteau : © Aurélia Lachaud
. capricorne : © Franck Herbrecht
. tritons et grenouille : © Olivier Swift

DOSSIER    Notre-Dame-des-Landes

THEMATIQUE    Nature

17 novembre 2016
Les animaux d’élevage subissent un peu moins d’antibiotiques
Info

16 novembre 2016
Espèces marines invasives : la mondialisation homogénéise la biodiversité
Enquête

16 novembre 2016
Politiques du climat : n’oubliez pas l’eau !
Tribune
Partager

Plus d’histoires deECOLOGIE