Le Parlement libyen siégeant à Tobrouk (est) a décidé, mardi 7 mars, de retirer son soutien à l’accord de Skhirat, signé en décembre 2015 sous les auspices des Nations unies, pour protester contre l’assaut lancé dans le Croissant pétrolier – un arc de terminaux au bord du golfe de Syrte – par une coalition de forces d’obédience islamiste.
Vendredi 3 mars, la Brigade de défense de Benghazi (BDB) avait réussi à déloger des ports de Ras Lanouf et de Sidra les forces loyales au maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque et chef en titre de l’Armée nationale libyenne (ANL). La rebuffade du Parlement de Tobrouk, élu démocratiquement en juin 2014 et reconnu par la communauté internationale, met à mal les efforts de réconciliation amorcés entre le camp du maréchal Haftar, dont les partisans dominent le Parlement, et le gouvernement d’« union nationale » de Faïez Sarraj issu de l’accord de Skhirat. Le Parlement avait reconnu l’accord de Skhirat comme cadre de discussion, même s’il s’était refusé à investir le gouvernement de M. Sarraj, dénoncé comme « imposé de l’étranger ».
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L’attitude de défi affichée par les parlementaires de Tobrouk approfondit l’impasse libyenne alors que les pays de la région – Egypte, Tunisie, Algérie – ont mobilisé ces dernières semaines leurs diplomaties pour tenter d’amener MM. Haftar et Sarraj à la table des négociations. L’enjeu est d’amender l’accord de Skhirat afin de le rendre plus « inclusif », c’est-à-dire de garantir une place au maréchal Haftar à la tête d’une future armée réunifiée. Le désengagement du Parlement de Tobrouk hypothèque désormais cette révision de l’accord.
Frappes aériennes insuffisantes
Le 30 mars 2016, Faïez Sarraj, nommé chef du Conseil présidentiel – la direction politique du gouvernement d’« union nationale » – par les signataires de l’accord de Skhirat, était arrivé à Tripoli, en provenance de Tunis, afin de tenter d’y installer son autorité. Il avait réussi dans un premier temps à évincer le gouvernement qui dirigeait de facto la Tripolitaine (ouest), une coalition politico-militaire baptisée Fajr Libya (« aube de la Libye ») à inclination islamiste. Mais il s’était ensuite heurté à l’hostilité, en Cyrénaïque, du maréchal Khalifa Haftar, dont les partisans au Parlement de Tobrouk avaient bloqué l’investiture du gouvernement de M. Sarraj, privant ce dernier des moyens juridiques et financiers de fonctionner normalement. La récente mobilisation diplomatique des capitales régionales avait toutefois soulevé l’espoir qu’un compromis restait possible.
Or, le renversement de la situation militaire dans le croissant pétrolier radicalise à nouveau le clivage. La BDB, qui a déclenché l’offensive contre les positions du maréchal Haftar, est une force composée de « révolutionnaires » de Benghazi – pour beaucoup islamistes – ayant été expulsés de la métropole de Cyrénaïque par l’ANL de M. Haftar, lequel se pose en champion de la « lutte antiterroriste ». Si elle récuse toute affiliation à l’organisation Etat islamique (EI), la BDB compte dans ses rangs des noyaux issus de la mouvance djihadiste d’Ansar Al-Charia.
Repliée, après son éviction de Benghazi, à Misrata ou à Djoufra, 250 km au sud-ouest du Croissant pétrolier, la BDB a surtout pour objectif de « rouvrir la route de Benghazi », précise Claudia Gazzini, analyste pour la Libye de l’organisation International Crisis Group. M. Sarraj a condamné l’offensive de la BDB, mais certains membres de son entourage, tel Mahdi Al-Barghathi, le ministre de la défense, n’ont pas caché leur sympathie pour la BDB, qu’ils perçoivent comme la seule force capable de s’opposer au « contre-révolutionnaire » Haftar en Cyrénaïque.
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Depuis la perte, vendredi, de Ras Lanouf et de Sidra, l’ANL a riposté par des frappes aériennes sur les positions de la BDB, mais sans succès notables à ce jour. En septembre 2016, le maréchal Haftar avait conquis par surprise ce Croissant pétrolier, poumon économique de la Libye où transite plus de la moitié du brut exporté, alors aux mains de la Garde des équipements pétroliers, dirigée par le chef milicien Ibrahim Jadhran, allié à M. Sarraj. Cette conquête avait restauré son crédit auprès des capitales européennes qui le snobaient jusque-là.
Le récent revers fragilise son statut de chef à l’ascension inexorable. « Sans un soutien aérien extérieur de ses habituels parrains régionaux [Egypte, Emirats arabes unis], la situation risque d’être difficile pour lui », souligne Mme Gazzini. Des informations relayées par le site qatari The New Arab font état d’une visite imminente de M. Haftar en Egypte. Le maréchal pourrait aller y chercher l’aide requise pour reconquérir ses positions perdues.