Saïf al-Islam Kadhafi déjà vu comme le futur «sauveur de la Libye»
Le deuxième fils de Mouammar aurait quitté sa résidence surveillée de Zentan. Ironie du sort, on parle de lui pour restaurer la Jamahiriya arabe libyenne dans un pays déchiré entre trois pouvoirs distinctsr
On l’a appris ce lundi par le parquet libyen: le fils de l’ex-dictateur Mouammar Kadhafi, Saïf al-Islam, aurait été libéré – un groupe armé affirme en tout cas, pour la énième fois il est vrai, l’avoir libéré à la fin de la semaine dernière… Libre ou pas, Saïf al-Islam est en tout cas toujours recherché par les autorités judiciaires de Tripoli, où il avait été condamné à mort par contumace le 28 juillet 2015. Il est donc censé «comparaître devant la cour» pour qu’elle lui signifie formellement sa peine. Mais l’affaire, pour l’heure, demeure floue. De facto, on ne sait pas si Saïf al-Islam a vraiment été libéré, le mystère plane sur son sort exact, dit son avocat, qui a aussi déclaré au très orienté Sputnik France que le deuxième fils de Kadhafi pourrait cependant «jouer un rôle majeur dans la trêve en Libye».
La voix, la voie de Moscou, où Regard sur l’Afrique disait déjà l’été passé qu’un avion militaire l’y avait conduit? On peine à y croire, mais le site Maghreb Emergent, s’appuyant sur les mêmes sources, prétend que «Saïf al-Islam Kadhafi s’adressera prochainement à la nation et à la communauté internationale avec un appel à mettre un terme à l’anarchie et à la guerre intestine qui secoue la Libye depuis six ans […] et à créer un Etat de droit». Il n’envisagerait pas «de se venger, mais veut devenir le leader de la trêve nationale, […] reformer la patrie et reconstituer son intégrité territoriale, pour déposer les armes, mener une réforme des institutions».
La «crise totale»
Bref: certains croient déjà «que la Jamahiriya, nom de la Libye sous Kadhafi, renaîtra de ses cendres», disait un témoin à Libération en décembre 2016. «Quelle ironie!» s’exclamait trois mois plus tard la Tribune de Genève (TdG), qui parlait de «crise totale». Car c’était alors le colonel Ajmi Al-Atiri qui dirigeait la prison où il se trouvait qui appelait Saïf al-Islam Kadhafi «à jouer un rôle politique pour réunifier la Libye». Il l’avait affirmé dans un reportage de France 24.
Dans sa très bonne synthèse, la TdG écrivait encore qu’il avait «été bien traité» en prison et ensuite «placé en résidence surveillée dans une maison» à Zentan. «Là, il a pu recevoir nombre de visiteurs», désormais «considéré comme un homme libre». Mais questions: «Est-il donc devenu à ce point populaire, lui qui promettait des «rivières de sang» durant la guerre? […] Un retour aux affaires est-il […] crédible? Saïf al-Islam ne s’exprime pas lui-même. Et les appels lancés sont encore minoritaires. Beaucoup n’osent pas soutenir publiquement le fils Kadhafi. Mais dans le processus de transition libyen, il peut certainement jouer un rôle.»
A Zentan où il était détenu depuis son arrestation alors qu’il tentait de quitter le pays pour se réfugier au Niger, la «Brigade Abou Bakr al-Sadiq» affirme pour sa part que la libération de Saïf al-Islam était intervenue en application d’une loi d’amnistie promulguée par les autorités non reconnues basées à Tobrouk, dans l’est libyen, et opposées au gouvernement d’union nationale (GNA) installé à Tripoli. Mais le bureau du procureur de la capitale a estimé que ses crimes ne pouvaient en aucun cas faire l’objet de cette amnistie.
Par ailleurs, en juin 2011, la Cour pénale internationale (CPI) avait lancé à son encontre un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité, l’accusant d’avoir joué un «rôle clé dans la mise en œuvre d’un plan» visant à «réprimer par tous les moyens nécessaires» le soulèvement de la population libyenne contre son père. Depuis là, les «autorités» libyennes et la CPI se sont disputé le droit de juger celui qui avait refusé, au Forum de Davos en 2010, le paquet de propositions de Berne pour trouver un compromis au conflit qui opposait la Suisse à la Libye à la suite de l’arrestation d’Hannibal Kadhafi à Genève.
Plus de sept ans après, on en est bien loin, mais Le Monde juge qu’on se trouve maintenant en face de «bien plus qu’une simple péripétie judiciaire». Et la grande question est: si le fils de Mouammar Kadhafi n’est plus à Zentan, où est-il? Quelque part où il aurait trouvé refuge? La presse parle du domicile de sa mère, «des informations non confirmées font état d’un départ vers Tobrouk». D’autres évoquent un exil à l’étranger où il aurait multiplié, en vain, les demandes d’asile politique, selon le site marocain Afrique. le360. Notamment en Tunisie, dit Directinfo.webmanagercenter.com.
Le rôle du maréchal Haftar
Mais une chose semble sûre dans ce chaos: «La plupart des analystes s’accordent à imputer la récente évolution du sort politico-judiciaire de Saïf Al-Islam Kadhafi aux grandes manœuvres déployées» par le camp du maréchal Khalifa Belqasim Haftar, commandant en chef de l’Armée nationale libyenne depuis 2015. «Ce dernier cherche à consolider son alliance avec des réseaux kadhafistes afin de renforcer sa position vis-à-vis du gouvernement d’«union nationale» de Faïez Sarraj, qui a pris le contrôle de Tripoli en mars 2016 avec le soutien des Nations unies et des capitales occidentales.»
Situation complexe, donc, mais que le site Libya Observer considère déjà comme porteuse d’espoir. Relayé par Courrier international, il se demande aussi si Saïf al-Islam ne pourrait pas être «le sauveur» du pays «Certains Libyens ont été choqués, d’autres sont ravis» de la nouvelle de sa libération, déclenchant une véritable «guerre virtuelle […] sur Internet», «alors que tous ceux qui se sont révoltés en février 2011 contre la dictature des Kadhafi se sentent dans une impasse, essayant de comprendre la portée de ces événements encore non confirmés», qui se sont «rapidement répandus dans les médias».
«Le produit de son père»
Il faut cependant comprendre que dans un pays ingouvernable «où le pouvoir politique est disputé entre trois instances et où les milices se multiplient et rivalisent en armement», Saïf al-Islam «semble à de nombreux Libyens la personne qui va, comme par miracle, redonner à la Libye sa force et sa grandeur». De nombreux Libyens sont en fait «nostalgiques des années Kadhafi, pour leur stabilité notamment», indique la RTBF. Ils présentent le fils «comme un nouveau produit, oubliant qu’il n’est autre que le produit de son père, .