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23 décembre 2024

Saïf al-Islam Kadhafi, un tigre à la (re)conquête de la Libye


Moyen Orient et Monde

Saïf al-Islam Kadhafi lors de sa capture à l’automne 2011. Photo Ammar el-Darwish/Reuters

PortraitLe fils de l’ancien dictateur libyen aurait l’ambition de se présenter à l’élection présidentielle malgré les poursuites internationales à son encontre.

12/01/2018

Novembre 2011, Saïf al-Islam Kadhafi vient de se faire capturer par une milice armée en Libye. L’air amaigri, déguisé en chamelier touareg et les doigts ensanglantés, il apparaît en vidéo aux côtés de ses geôliers. La fin semble proche pour l’héritier du régime : son père, Mouammar Kadhafi, s’est fait lyncher à mort un mois auparavant par des groupes rebelles.

Libéré de prison en juin 2017, le fils du « guide de la révolution » signe aujourd’hui son retour dans la vie politique libyenne. Bien qu’il soit condamné à mort par un tribunal à Tripoli et qu’il soit poursuivi par la CPI pour crime contre l’humanité, Saïf al-Islam entend être candidat à la prochaine élection présidentielle, prévue en principe avant septembre prochain selon le plan d’action de l’ONU. Avec le « soutien des principales tribus libyennes », il présentera sa « plate-forme bientôt » et désire « imposer plus de sécurité et de stabilité en Libye », a expliqué le porte-parole de la famille Kadhafi à Egypt Today.

Depuis 2011, la Libye n’est pas parvenue à retrouver une stabilité politique, et ce malgré la tenue de trois élections législatives. Le pays est profondément divisé, l’Est étant contrôlé par le maréchal Khalifa et le Parlement de Tobrouk, Tripoli et l’Ouest par le gouvernement d’union nationale internationalement reconnu, dirigé par Fayez el-Sarraj.

 

(Lire aussi : Soupçons de financement libyen : Djouhri, proche de Sarkozy, obtient sa libération sous caution)

 

Candidat invisible
Les chances réelles de Saïf al-Islam demeurent pour le moins incertaines. « Sa candidature dépend de la future loi électorale qui lui permettra ou non de se présenter », explique à L’Orient-Le Jour Hélène Bravin, chercheuse associée à l’IPSE. Le tigre du régime kadhafiste, qui était propriétaire de deux fauves, n’a pour l’instant pas fait d’apparition publique. « Mais à supposer qu’il devienne visible et parvienne à se présenter, il peut créer de vrais soucis à d’autres candidats. Sa force potentielle consiste à jouer une carte que le maréchal Haftar ne peut envisager : une entente avec certains islamistes de Libye », analyse Jalel Harchaoui, doctorant à l’Université Paris VIII. Dans l’ombre, le fils Kadhafi continue d’exercer une influence politique auprès de nombreuses tribus. « Il s’est employé, y compris durant sa détention, à restaurer et à entretenir un réseau d’allégeances tribales robuste », rappelle à L’OLJ Vincent Hugeux, auteur de la biographie Kadhafi.

L’idée de prendre les rênes du pouvoir n’est pas nouvelle dans la tête du tigre du régime. Dès le début des années 2000, le deuxième fils de Mouammar Kadhafi s’implique dans tous les dossiers diplomatiques du pays et négocie en 2003 avec l’administration Bush l’abandon du programme nucléaire libyen en échange de la levée de l’embargo imposé à Tripoli.

Fort de ce succès politique, le jeune Saïf al-Islam s’impose rapidement comme le personnage le plus influent de la fratrie. Partisan d’une démocratisation du régime, il est perçu comme un réformateur. Ambitieux, le jeune félin sait montrer les crocs lorsqu’il s’agit de s’opposer à la vieille nomenklatura kadhafiste. Il ose proposer en 2007 la mise en place d’une Constitution et une libéralisation de la presse. Mais le fauve de Tripoli va plus loin en lançant quatre nouveaux médias, non affiliés au pouvoir. Trop subversif pour les apparatchiks du régime qui nationalisent ces nouveaux organes de presse.

 

(Lire aussi : Avec le dossier libyen, Moscou veut étendre son « croissant d’influence »)

 

Saïf al-Islam finit par temporairement abandonner la politique pour se rendre en Europe. Amateur de peinture, il vend ses « croûtes vaguement inspirées de Salvador Dali dans des musées complaisants ou vénaux », s’amuse M. Hugeux. Il décroche également un doctorat à la London School of Economics sur le rôle de la « société civile dans la démocratisation des institutions de gouvernance internationales ». Assez paradoxal pour un fils de dictateur. A-t-il écrit sa thèse seul ou a-t-il versé des pots-de-vin à l’école pour l’obtenir ? Le mystère demeure entier. Une chose est certaine : la Fondation de Saïf al-Islam s’est engagée à verser 2 millions de dollars à la prestigieuse université et le directeur a été poussé vers la sortie lorsque le scandale a éclaté.

Dans l’ombre, le tumultueux thésard continue d’œuvrer pour la libéralisation du régime. Sa fondation publie un rapport soulignant des « cas de torture et de mauvais traitements », ainsi que des « détentions injustifiées ». Le dauphin du régime profite de cette image libérale pour développer ses liens avec l’Occident. De l’Élysée à Buckingham Palace en passant par la Maison-Blanche, le jeune trentenaire est accueilli avec faste par toutes les chancelleries occidentales pour qui il incarne le visage moderne d’un des régimes les plus féroces au monde. L’engouement est tel qu’il est rapidement perçu comme un « ministre des Affaires étrangères bis » et même un « Premier ministre de facto ».

De retour sur la scène intérieure en 2009, il s’évertue à pacifier la Libye en faisant la paix avec les Frères musulmans et en libérant de prison les jihadistes du Groupe islamique combattant en Libye (GICL), organisation terroriste proche d’el-Qaëda. « La réconciliation avec les islamistes, soutenue par le Qatar, conduira à la libération de milliers de prisonniers. Certains kadhafistes le haïssent pour cette raison. Ils considèrent que ses initiatives ont rendu la dictature plus vulnérable », souligne M. Harchaoui.

 

(Pour mémoire : Affirmation de financements libyens: Takieddine inculpé pour diffamation en France)

 

« Jusqu’à la dernière femme »
Le soulèvement de 2011 marque un tournant dans la carrière politique du jeune fauve tripolitain. Alors que beaucoup s’attendent à ce qu’il fasse preuve de mansuétude à l’égard des rebelles, il incarne au contraire la répression du régime. « Il a compris que sa seule chance d’hériter du sceptre familial était d’adopter une posture de purisme révolutionnaire, quitte à l’adoucir ensuite », conjecture M. Hugeux. Six jours après les premières insurrections à Benghazi, il déclare à la télévision : « Nous combattrons jusqu’au dernier homme et jusqu’à la dernière femme. » En direct, il menace de « milliers de morts » et de « rivières de sang ».
Jusqu’au-boutiste, Saïf al-Islam sera le dernier membre du clan Kadhafi à quitter la Libye. Trahi par l’un de ses passeurs alors qu’il fuyait pour le Niger, il se fera couper plusieurs doigts avant d’être emprisonné à une centaine de kilomètres de Tripoli, par une brigade armée qui refuse de le livrer. « En réalité, il était assigné à résidence dans une luxueuse villa où il pouvait recevoir des visites », confie un ancien diplomate, connaissant bien le dossier, à L’Orient-Le Jour.

Le glaive de l’islam, traduction littérale de Saïf al-Islam, vit pourtant avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Activement recherché par Interpol, l’héritier de la Libye kadhafiste voit les condamnations s’accumuler. Le paysage s’éclaircit finalement en juin dernier lorsque le fauve sort de sa cage dorée.

Amnistié par le Parlement de Tobrouk mais toujours recherché par les autorités de Tripoli, Saïf al-Islam prépare depuis lors sa campagne en coulisse. Reste à savoir s’il aura véritablement la possibilité de se présenter. Et surtout si le vieux tigre libyen saura s’imposer en chef de meute dans un pays profondément divisé depuis bientôt sept ans.

 

 

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