Que s’est-il passé à la 73e assemblée générale de l’ONU?
19 octobre 2018
Les 7 du QuébecRobert BibeauJeudi 18 octobre 2018 Le dessous des cartesLa 73e Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies fut un grand moment de «realpolitik». En une semaine (septembre 2018), il nous a été donné d’apprécier un condensé des forces économiques, politiques, diplomatiques et militaires qui s’affrontent sur l’échiquier international. Chacun aura noté que les médias people et les médias de formatage de l’opinion publique ont prêté bien peu d’attention à ce combat diplomatique titanesque, reflet des mutations en cours parmi les alliances internationales où trois axes géopolitiques se confrontent. Considérant qu’une confrontation diplomatique et politique n’est que le reflet des mouvements auxquels sont soumises les économies continentales, l’analyse de cet affrontement Trump – Macron – Rohani – Lavrov-Poutine nous donnera la couleur du temps changeant sur le planisphère. L’intelligentsia internationale a été déroutée par le spectacle qu’elle a observé à la tribune de la 73e Assemblée. Donald Trump, le Président américain a semoncé l’ONU et les organisations de la tyrannie mondiale du grand capital (!) alors que ses alliés se sont portés à leurs défenses. C’est qu’à la faveur de la crise économique mondialisée les lignes de fractures politiques se déplacent et les alliances se délacent – puis se recomposent. Examinons la nouvelle configuration politique et diplomatique qui se dessine à travers cette assemblée historique. Donald Trump, l’homme fort de l’establishment étasunien a déclaré : «Nous rejetons l’idéologie de la mondialisation et nous embrassons la doctrine du patriotisme», puis il a ajouté : «L’Amérique choisira toujours l’indépendance et la coopération à la place de la gouvernance mondiale, du contrôle et de la domination.» (sic) Aussitôt ces mots prononcés le caporal du grand capital se lança dans une série de pronunciamientos à l’encontre du Venezuela, de l’Iran, de la Syrie, du Yémen, et il proféra des menaces contre l’Allemagne, la Russie et la Chine. Puis, il décrivit les mesures interventionnistes que l’Amérique prépare en Corée et au Moyen-Orient via ses proxys (Arabie, Qatar, Émirats, Jordanie, Égypte et Israël) afin de vendre chèrement sa peau d’ex-puissance hégémonique en «faicing out». En d’autres termes, en prévision de la Grande dépression appréhendée le grand capital étasunien déclare : «l’Amérique d’abord» et nos «partenaires ensuite», et puisque les institutions internationales ne servent plus de proxys à leur hégémonie les États-Unis les renient. Le Président Emmanuel Macron, ministre ex officio des affaires étrangères de l’Union européenne, alliée et concurrente des États-Unis, a prétendu qu’il ne se «résignait pas» à la déconstruction du Droit international. Jupiter Macron a défendu bec et ongle l’hégémonie de l’Alliance Atlantique sur le reste de la planète via les organisations internationales (ONU, CDH, UNESCO, CPI, OCDE, FMI, BM, OMC, OTAN) où se regroupent les gouvernorats sous-fifres et nationalistes qui y attendent les ordres de leurs commandants. L’adjudant Macron accusa la Maison-Blanche de détruire par son acrimonie le système oligarchique qui a si bien servi les élites financières mondiales. Il semble que le grand capital européen ne soit pas conscient de la crise qui se prépare dissimulée derrière les plus récentes frénésies boursières. Ou alors l’Union européenne annonce son réalignement géostratégique? (1) De fait, cette «déconstruction» du droit international qu’évoque Emmanuel Macron est permanente, aussi ancienne que le droit international lui-même, qui ne vise qu’à légaliser et à imposer à la «communauté internationale» la «loi du plus fort». Le plus fort étant un nouvel aspirant, le droit international et les institutions qui l’appliquent sont en mutation comme l’illustre cette 73e Assemblée. (2) Le président iranien Hassan Rohani a fait remarquer que la Maison-Blanche ne fait même plus semblant de respecter le droit international qu’elle a elle-même imposé, et il s’offusqua que les USA annoncent à la tribune de l’ONU qu’ils le bafoueront encore davantage en application du principe du «droit du plus fort». (3) Au nom de l’axe Pékin-Moscou, Sergueï Lavrov a dénoncé non pas les atteintes au Droit, mais aux structures internationales. Il observa que les Occidentaux entendent forcer des pays à entrer contre leur gré dans des alliances militaires et ils menacent certains États qui prétendent choisir eux-mêmes leurs partenaires. Sergueï Lavrov de conclure en soulignant que tous les désordres occidentaux n’empêcheraient pas le reste du monde de coopérer et de se développer. Il rappela le «Partenariat de l’Eurasie élargie» soutenant «La route de la soie» du président chinois, adoubé par l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTS), l’Union économique eurasiatique (UEE), la Communauté des États indépendants (CEI), les Brics et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Voilà les recrues (les deux tiers de l’humanité) du nouvel axe des puissances émergentes prétendantes à l’hégémonie mondiale face auxquelles la puissance américaine prépare la négociation de sa rétrogradation (relire l’allocution de Trump), alors que l’Union européenne déphasée prétend futilement maintenir son dictat contre vent et marée. (4) Trente ans d’affrontements ont préparé cette assembléeJacques Sapir trouve chez Vladimir Poutine un visionnaire qui a anticipé cette confrontation. Sapir écrit : « La vision politique de l’environnement international et de la politique des États-Unis qui caractérise Vladimir Poutine et ses conseillers s’est révélée, nettement plus pessimiste que celle de ses prédécesseurs». «Le discours prononcé par le président russe lors de la conférence sur la sécurité organisée à Munich en 2007 raisonne avec une dimension particulière. Il a été présenté comme un retour des dirigeants russes (…) à la guerre froide. En réalité, il s’agit d’un texte programmatique, qui a soulevé l’intérêt (…) du ministre des Affaires étrangères allemand (…). Vladimir Poutine a tiré avec cohérence les leçons de ce qui s’est joué entre 1991 et 2005. Dans ce discours, Poutine avait plaidé que la tentative des États-Unis de reconstruire leur hégémonie était une impasse. » Poutine aurait ajouté : « l’exercice du pouvoir, politique ou économique, ne peut être défini en valeurs, mais doit l’être aussi en intérêts. » (5) Il est inutile de séparer valeurs et intérêts, droit, politique et économie, comme s’ils s’agissaient de compartiments étanches. Sous le mode de production capitaliste mondialisé le fondement du mouvement c’est l’économie qui s’exprime par les «intérêts» marchands de chaque belligérant. La politique, la diplomatie, le droit international ont pour fonction de rendre compte du rapport de force en l’état. Ce que Vladimir Poutine a souligné aux puissances occidentales c’est qu’elles couraient à la faillite économique et qu’elles ne pouvaient faire comme si de rien n’était dans leurs prétentions hégémoniques. (6) Poutine a simplement avisé ses interlocuteurs que l’OCS était désormais un joueur incontournable et qu’à échéance l’alliance Chine-Russie serait la nouvelle puissance dominante. (7) Rien de nouveau sous le soleilL’Assemblée générale de l’ONU n’est pas la manifestation d’un délitement du droit ou des institutions internationales, au contraire, cette 73e assemblée marque le commencement du changement de la garde. Rappelons que l’invasion de la Serbie-Kosovo, de la Somalie, de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Libye, du Mali, de la Syrie et du Yémen a été précédée par au moins 200 conflits locaux ou régionaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, dont les génocides coréen et vietnamien. D’autres guerres suivront avec la bénédiction de la «communauté internationale onusienne», rien de nouveau sous le soleil. Avec l’avènement de la Chine, le grand capital multinational veut se négocier une nouvelle division du monde; se répartir les zones d’influence; se redistribuer les marchés, les secteurs d’exploitation de la main-d’œuvre et de production de plus-value; se partager les ressources et dans cette démarche de marchandage continuel les discours à l’ONU donnent l’état d’esprit des combattants. Ils fournissent une approximation des alliances en constitutions. Ainsi, on ne peut parler de réussite ou de faillite de cette 73e Assemblée générale. Ce qu’il faut retenir c’est que les tensions sont grandes entre puissances et une guerre nucléaire pourrait conclure ces tractations dont le prolétariat ne doit rien attendre et sur lesquelles il n’a aucun contrôle, nonobstant les jérémiades de la petite-bourgeoisie politicienne. Il nous suffit d’en être avertis et de nous préparer à offrir une alternative. (8) NOTES
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