L’emprise évangéliste sur l’administration Trump
4 février 2019
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L’emprise évangéliste sur l’administration Trump
Publié par Gilles Munier sur 4 Février 2019,
Catégories : #trump, #iran, #syrie
Certains évangélistes voient en Trump le dernier roi Cyrus,
l’empereur perse qui a libéré les juifs de leur captivité à Babylone
La question de l’influence des chrétiens évangélistes va prendre une place de plus en plus importante dans la mesure où la survie politique de Trump semble en dépendre de plus en plus.
Par Julian Borger (revue de presse : ICH – 14/1/19)*
Une des premières choses qu’a déclaré Mike Pompeo au Caire lors de sa présentation de la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen-Orient, c’est qu’il venait dans la région en « tant que chrétien évangéliste ».
Dans son discours à l’Université américaine du Caire, Pompeo a ajouté « Je garde toujours ouvert sur mon bureau, au ministère, une Bible afin de me rappeler Dieu, sa parole et sa vérité. »
Le premier message du secrétaire d’État au Caire était clair, les États-Unis sont de nouveau prêts à apporter leur soutien aux régimes conservateurs du Moyen-Orient, même les plus répressifs, du moment qu’ils font cause commune dans leur lutte contre l’Iran.
Son deuxième message était d’ordre religieux. Lors de son déplacement en Egypte, il se présenta à la fois comme prêcheur et diplomate. Il a parlé de « la bonté innée de l’Amérique » et s’est émerveillé devant une cathédrale récemment construite « comme étant un splendide témoignage au Seigneur ».
La volonté d’effacer l’héritage de Barack Obama, le soutien instinctif de Donald Trump pour les despotes ainsi que les intérêts privés de la Trump Organisation sont considérés comme autant d’éléments moteurs qui expliquent et façonnent la politique internationale de cette administration.
Dans tout cela, l’emprise de l’évangélisme blanc est passée inaperçue, bien qu’elle puisse avoir de sérieuses répercussions politiques. Le vice- président Mike Pence et Pompeo ont tous deux cité la théologie évangélique comme une source d’inspiration très puissante.
Il y a trois ans, donc bien avant le Caire, Pompeo avait déjà appelé la congrégation de l’église de Kansas à rejoindre la lutte du bien contre le mal. Alors simple membre du Congrès, il avait déclaré lors d’un sommet ecclésiastique à Wichita : « Nous continuerons à mener ces batailles. C’est une lutte sans fin…. jusqu’au Ravissement. Faites partie de ce combat. Participez à la lutte ».
Pour le public de Pompeo, le ravissement fait référence à une vision chrétienne apocalyptique du futur, une seconde bataille entre le bien et le mal, et annonce la seconde venue du Christ, lorsque les croyants monteront au ciel et les autres périront en enfer.
Pour de nombreux chrétiens évangélistes américains, un des prérequis pour ce moment est le rassemblement de tous les juifs du monde dans un grand Israël qui se situerait entre la Méditerranée et le Jourdain. C’est une croyance connue sous le nom de prémillénarisme dispensationalisme ou sionisme chrétien, qui a un impact tangible sur la politique étrangère des États-Unis.
Elle change totalement la grille de lecture du conflit israélo-palestinien et indirectement, les attitudes envers l’Iran ainsi que la géopolitique des États-Unis au Moyen-Orient en général en plaçant la protection des minorités chrétiennes comme son objectif central. Lors de sa visite au Caire, Pompeo a multiplié les louanges à Abdel Fattah al-Sissi pour la construction de la nouvelle cathédrale, alors qu’il n’a fait aucune référence aux 60 000 prisonniers politiques que le régime détient, ni à son utilisation de la torture.
Pompeo est un évangéliste presbytérien qui déclare avoir été « présenté à Jésus » par les autres cadets de la West Point Military Academy dans les années 80.
« Il est le mieux à même de comprendre comment sa foi interagit avec ses croyances politiques et son devoir de secrétaire d’Etat » a déclaré dans un e-mail Stan van den Berg, le pasteur de son église à Wichita. « Il va sans dire que c’est un homme de foi, qu’il est intègre, fait preuve de compassion, est humble et sage ».
Dans la mesure où Donald Trump se raccroche à eux pour assurer sa survie politique, il y a de grandes chances que l’influence de Pence, Pompeo et des évangélistes blancs ultra-conservateurs qui les soutiennent grandisse.
« D’aucuns attendent avec impatience cette seconde venue car il est pour eux synonyme de vie éternelle », déclare Andrew Chesnut, professeur d’études religieuses à l’université Virginia Commonwealth. « le danger existe de voir les dirigeants qui souscrivent à cette croyance être plus enclins à nous guider vers le dernier combat d’Armageddon ».
Chesnut explique que le sionisme chrétien est devenu la « théologie majoritaire » parmi la communauté blanche évangélique, qui représente un quart de la population adulte. Dans un sondage mené en 2015, 73 % des chrétiens évangélistes étaient convaincus que ce qui arrive en Israël était prophétisé dans l’Apocalypse. Les personnes n’avaient cependant pas été interrogées sur le fait de savoir si les évènements actuels en Israël déboucheraient sur cette apocalypse.
La relation entre les évangélistes et le président est compliquée.
Trump incarne tout le contraire d’un chrétien pieux. Il n’assiste pas aux offices. Il est profane, deux fois divorcé, et se targue d’agresser sexuellement les femmes. Mais les évangélistes l’ont adopté.
Quatre-vingt pour cent des évangélistes blancs ont voté pour lui en 2016, et sa popularité parmi eux se situe toujours dans les 70% . Alors que d’autres électeurs blancs se sont éloignés de lui dans les deux premières années de sa présidence, les évangélistes blancs sont devenus son dernier bastion de soutien.
Certains évangélistes voient en Trump le dernier roi Cyrus, l’empereur perse qui a vécu au sixième siècle av. J.-C. et a libéré les juifs de leur captivité à Babylone.
La comparaison est faite ouvertement dans The Trump Prophecy, un film religieux diffusé en octobre dans 1200 cinémas aux États-Unis, dans lequel un pompier à la retraite qui dit entendre la voix de Dieu déclare: « J’ai choisi cet homme, Donald Trump, pour un moment comme celui-ci ».
Lance Wallnau, un prophète auto-proclamé qui apparaît dans le film, a appelé Trump « le candidat du chaos choisi par Dieu » et un « Cyrus moderne».
« Cyrus est l’exemple même du non croyant choisi par Dieu pour accomplir les desseins des croyants », dit Katherine Stewart, qui étudie la droite chrétienne. Elle ajoute qu’ils accueillent favorablement sa volonté de rejeter les normes démocratiques afin de combattre ce qu’ils perçoivent comme des menaces à leurs valeurs et façon de vivre.
« Le mouvement nationaliste chrétien se caractérise par un fort sentiment de persécution et, dans une certaine mesure, une paranoïa – par exemple la conviction qu’il y a « une guerre contre Noël », déclare Stewart. « Les gens dans cet état d’esprit opteront pour des chefs autoritaires, qui feront tout ce qu’il faut pour soutenir leur cause ».
Trump a été élevé en tant que presbytérien, mais s’est tourné de plus en plus vers les prêcheurs évangélistes à mesure qu’il envisageait de faire campagne pour la présidence.
Le choix de Pence comme second est une preuve de cet engagement, de même que la présence de 4 prêcheurs évangélistes sur les 6 présents à son inauguration, y compris White and Franklin Graham, le fils aîné du prêcheur Billy Graham, qui a défendu Trump dans tous ses scandales sexuels en expliquant que « nous sommes tous des pêcheurs ».
Ayant perdu le contrôle de la Chambre des Représentant en novembre, et dans l’œil du cyclone en ce qui concerne ses liens avec le Kremlin, l’instinct de Trump a été de se rapprocher de ses supporters les plus fidèles.
Les évangélistes blancs sont, parmi les groupes les plus importants démographiquement, les seuls à soutenir en majorité le mur de Trump, que certains prêcheurs assimilent aux fortifications de la Bible.
Les liens évangéliques ont aussi pesé dans la formation des alliances américaines sous la présidence de Trump. En tant que secrétaire d’Etat, Pompeo a joué un rôle crucial dans l’instauration de liens avec les autres chefs évangéliques dans l’hémisphère nord, que ce soit Jimmy Morales au Guatemala ou Jair Bolsonaro, le nouveau président brésilien. Tous deux ont promis de suivre les pas des États-Unis et de transférer leur ambassade en Israël à Jérusalem. L’ordre de Trump de déplacer l’ambassade des États-Unis de Tel Aviv, et ce en dépit des objections soulevées par ses conseillers en politique étrangère et sécurité nationale, est un exemple parlant de cette influence évangélique.
Le transfert était certes voulu par Sheldon Adelson, milliardaire de Las Vegas et très généreux donateur des Républicains, mais l’orchestration de la cérémonie d’ouverture de l’ambassade en mai dernier met en évidence le public que Trump essayait d’apaiser. Les deux pasteurs qui ont pris la parole étaient tous deux de fervents chrétiens sionistes : Robert Jeffress, de Dallas, qui a ouvertement déclaré que « les Juifs, comme les Musulmans et les Mormons sont voués aux enfers » et John Hagee, un télé-évangéliste et fondateur du groupe les Chrétiens unis pour Israël (CUFI), qui a expliqué qu’Hitler et l’Holocauste faisaient partie des desseins de Dieu pour faire revenir les juifs en Israël, afin de se préparer pour le Ravissement.
Pour de nombreux évangélistes, ce transfert a consolidé le statut de Trump en tant que nouveau Cyrus qui a permis le retour des Juifs à Jérusalem et la reconstruction du Temple [ndt de Salomon].
Le renforcement de l’emprise évangélique sur l’administration se manifeste aussi dans son hostilité grandissante envers l’Organisation des Nations Unies, souvent dépeinte comme une organisation sinistre et impie.
Depuis que l’ambassadrice américaine aux Nations Unies, Nikki Haley, a annoncé son départ en octobre dernier et que Pompeo assure un contrôle plus direct de la fonction, la mission américaine est devenue plus agressive, bloquant toute référence aux divers genres sexuels et à la santé génésique dans les documents de l’ONU.
Certains théologiens notent aussi une teinte plus évangéliste de la politique moyen-orientale des Etats-Unis, en particulier son soutien sans faille au gouvernement de Benjamin Netanyahou, son manque de compassion envers les Palestiniens, et sa persistante diabolisation du gouvernement iranien.
Les évangélistes, déclare Chestnut, « considèrent que les Etats-Unis sont désormais engagés dans une guerre sainte contre les forces du mal incarnées par l’Iran ».
Dans un discours à l’issue de son déplacement dans la région, Pompeo a repris ce thème, décrivant l’Iran comme une « influence cancéreuse ».
Ce zèle pour un tel combat a jusqu’ici trouvé résonance chez des politiciens plus laïcs tel que le John Bolton, conseiller en sécurité nationale, mais aussi dans la volonté de Trump lui-même d’effacer toute trace de l’héritage de Barack Obama, dont le succès majeur en terme de politique extérieure fut la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran en 2015, un accord abrogé par Trump en mai.
Lors de ses entretiens avec des chefs d’État européens tels que Emmanuel Macron et Theresa May, Trump a insisté sur le fait qu’il n’irait pas au conflit avec l’Iran. Sa volonté de retirer les troupes américaines de Syrie représente une rupture avec les politiciens, religieux et laïcs, qui veulent contenir l’influence de l’Iran dans la région.
Mais sa logique de renforcement de la pression politique, associée à un soutien indéfectible pour Israël et l’Arabie saoudite, rend une telle confrontation de plus en plus plausible.
Une des questions les plus importantes de la politique étrangère en 2019 est de savoir si Trump réussira à quitter la trajectoire de collision qu’il a lui-même créée, en concoctant un accord de dernier moment comme il l’a fait avec la Corée du Nord, ou si, au contraire, il cherchera le conflit afin de détourner l’attention de ses problèmes aux États-Unis, en le présentant aux croyants comme une croisade.
*Source : Information Clearing House
Version originale: ‘Brought to Jesus’: the evangelical grip on the Trump administration (The Guardian)
Traduction et Synthèse : Z.E pour France-Irak Actualité