Menace de guerre impérialiste en Amérique-Latine
16 mai 2019
Les 7 du Québec
Robert Bibeau
Mercredi 15 mai 2018
La crise vénézuélienne est tout à la fois complexe et banale. Elle s’inscrit comme une autre de ces multiples luttes de soi-disant « libération nationale » et de « résistance antiimpérialiste » qui ont jalonné l’histoire mondiale depuis 1945. Toutes ces luttes se sont terminées par le ralliement de la bourgeoisie nationale combattante à l’une ou à l’autre des alliances impérialistes (hier, occidentale-OTAN, ou soviétique-Pacte de Varsovie, ou encore pseudo « non-alignée-tiers-mondiste », et aujourd’hui Américaine, ou Chinoise, ou encore allemande-Union européenne). Quoiqu’il en soit du choix d’alliance politique de cette bourgeoisie nationaliste « libérée », toutes faisaient le choix du mode de production capitaliste (libéral ou totalitaire) source de toutes les formes d’oppression. Nous avons largement documenté ce mythe des luttes de « libération » nationalistes chauvines dans notre opuscule «Question nationale et révolution prolétarienne sous l’impérialisme moderne » publié en 2017 chez l’Harmattan. Nous allons maintenant appliquer au cas vénézuélien contemporain les principes de fonctionnement de ces sempiternelles luttes tiers-mondistes. (1) http://www.les7duquebec.com/7-au-front/question-nationale-et-revolution-proletarienne-2/
Alors que le mode de production capitaliste n’en finit plus d’agoniser, passant d’une crise à l’autre sans discontinuer, et alors que bien peu de prolétaires parviennent à comprendre le nouveau mode de production en gestation au sein du capital et qui provoque ces spasmes à l’intérieur des anciens rapports sociaux de production en perturbation, il est tentant de retourner dans les ornières du nationalisme-patriotique promues par la gauche déchue. Ce à quoi, cependant, de fréquents soulèvements populaires récents ont su résister (Piqueteros, Printemps arabes, Carrés rouges, Gilets jaunes, etc.)
La révolte petite-bourgeoise vénézuélienne et la «Révolution bolivarienne»
Depuis son apparition sur les traces de la révolution industrielle, la petite-bourgeoisie rêve d’un monde de droits, de justice et d’équité qu’elle aimerait implanter au cœur du capitaliste bonifié amélioré humanisé. Pour ce faire la petite-bourgeoisie aigrie s’attaque à son totem fétiche : l’État des riches pour le réformer. C’est la grande mystique de ce fragment de classe qui dans sa révolte intempestive contre le système et son État-ingrat ira jusqu’à menacer de le répudier et de se joindre aux ouvriers révoltés afin de punir le grand capital d’aussi mal le récompenser pour services rendus. Tout cela n’est que menaces puériles et comme on l’observe dans la révolte des Gilets jaunes – la petite-bourgeoisie est incapable d’aller plus avant que de quémander des réformes et obtenir quelques allègements fiscaux (baisses d’impôts, remises de taxes, hausse du SMIC).
Il en fut ainsi de la « révolution » petite-bourgeoise vénézuélienne. Qu’on se le dise, la « Révolution bolivarienne » ne fut pas une révolution sociale radicale, surtout pas une révolution prolétarienne… l’unique révolution sociale qui se posera comme alternative à la société du capital en déclin. La « Révolution bolivarienne » fut essentiellement une suite de réformes apportées à l’appareil d’État capitaliste vénézuélien afin de lui permettre de mieux remplir sa mission de reproduction des conditions économiques et sociales de la valorisation et de la réalisation du capital.
Après deux coups d’État militaires échoués, le très catholique et très charismatique « Commandante » militaire Hugo Chavez, père de la nation et disciple de ces prêtres-ouvriers qui émaillèrent la plupart des « luttes de libération nationalistes antiimpérialistes » en Amérique Latine, procéda à des ajustements structurels indispensables sous une économie industrielle totalement intégrée à l’économie de marché mondialisée.
Le très catholique Hugo Chavez « Commandante » de l’armée bourgeoise ne remit jamais en cause les fondements capitalistes de l’économie vénézuélienne, l’aurait-il voulu qu’il n’aurait pas pu. Afin d’élargir la base de soutien à ses réformes Chavez accorda quelques miettes aux lumpen-prolétaires urbains, mais surtout à la petite-bourgeoisie sociale et aux apparatchiks militaires (si importants dans ces pays néocolonisés nationalisés) afin de gagner l’appui de ces fractions de classes à la cause du capitalisme national d’État vénézuélien.
Le perpétuel pronunciamiento latino-américain
Historiquement, s’appuyant sur sa riche base économique, primaire (pétrole, mines, élevage) et tertiaire (tourisme), le Venezuela a connu plusieurs révoltes des casernes (pronunciamiento) contre la faction compradore et latifundiaire à la gouvernance de l’État séculier. À chaque fois les curés de la gauche œcuménique ont proclamé que le Venezuela s’était « libéré » du joug de tel dictateur corrompu par l’impérialisme américain – attestant ainsi que ces analystes gauchistes ne comprenaient rien au concept d’impérialisme. (2) La plupart du temps, l’ambassade américaine à Caracas était informée à l’avance du nom du dictateur qui succèdera au précédent. Puis, tout reprenait comme avant, et la nouvelle clique au pouvoir se remplissait les poches de bolivars et jamais le prolétariat vénézuélien ne connaissait l’ombre d’une émancipation de classe.
La présente manche de la lutte de classes qui se mènent au Venezuela oppose une frange de la bourgeoisie nationale « Vénézuélienne autonomiste » (qui désire une plus large part de la plus-value extraite de l’exploitation des ouvriers vénézuéliens) à une autre faction qui se satisfait de la répartition de la plus-value établit avec l’impérialisme yankee et auquel l’économie du pays est intimement intégrée.
Si en 1998 une faction du grand capital vénézuélien a profité des difficultés de l’économie pour attribuer le pouvoir bourgeois au parti socialiste du Commandante Chavez, aujourd’hui, – la vieille faction des propriétaires fonciers réactionnaires, qui se contenterait des prébendes laissées par les Américains – profitent de la crise économique qui secoue le monde, y compris l’enclave bolivarienne « révolutionnaire-libérée » (sic) pour se lancer à l’assaut et pour reprendre la gouvernance de l’État bourgeois, quitte à provoquer une guerre civile sanglante. La faction militaire bolivarienne n’est pas plus avenante et semble prête à mettre le pays à feu et à sang pour conserver le contrôle sur l’auge gouvernemental.
Le Président élu Nicolas Maduro et son clan nationaliste bourgeois bolivarien s’accrochent désespérément à leur pouvoir étatique bancal, que seule l’armée a la capacité de leur conserver ou de leur retirer. Ce que nous saurons sous peu. Pour ce qui est du soutien des masses populaires, dont s’enorgueillissait tant le pouvoir populiste « socialiste catholique » bolivarien, il s’est évaporé sous les assauts répétés de la crise économique politique et sociale (trois-millions de migrants de la faim), ou il est allé grossir les rangs de l’opposition après la déception des promesses non tenues par le gouvernement socialiste. (3)
Allégeance à la nouvelle alliance
Comme au temps de la guerre froide, la fraction de la bourgeoisie bolivarienne fait aujourd’hui appel à l’autre clique impérialiste, cette fois dirigée par la Chine et la Russie des Routes de la soie. (3) Ainsi, juste avant la première tentative de « coup d’État » menée par le gigolo Guaïdo, le bouffon trumpiste, le gouvernement Maduro a attribué l’exclusivité de l’exploitation des riches gisements d’or du Venezuela à un consortium minier russe. Depuis la mise en vigueur des Accords Bâle III, début mai 2019, l’or redevient le numéraire de réserve internationale, ce qui devrait décupler sa valeur surtout après que le dollar US aura culbuté des stalles spéculatives boursières. Heureux ceux qui comme les bolivariens se seront investis dans l’or et les trusts miniers russes et chinois, malheur à eux cependant devant la Réserve fédérale américaine vindicative.
Et voilà le monde rediviser en deux camps impériaux et chaque petit État est intimé de : a) rester dans le camp Atlantique en déclin militariste et financier; b) tenter de se dire « non-aligné », mais se soumettant à tous les dictats des potentats financiers, espérant ainsi que leur entité « non-alignée » saura se préserver; c) rallier le nouveau camp des « capitalismes émergents » qui, au Proche-Orient, vient de donner une raclée au vieux tribun de Washington – que les analystes bourgeois aiment caricaturer sous les traits de l’État profond yankee (sic).
La guerre imminente
Des millions de vénézuéliens ont fuis cet enfer de confrontation militaire, de guerre et de morts qui se trame en Amérique du Sud, car il n’y aura pas que le Venezuela qui se fera mettre au pas par l’empire yankee qui a toujours considéré ce sous-continent comme sa chasse gardée, aujourd’hui contesté par la nouvelle alliance de Shanghai.
Cependant, nous invitons nos lecteurs à considérer que le prolétariat de ce coin d’Amérique a toujours refusé de s’engager dans les précédentes guerres impérialistes (sauf le prolétariat cubain contraint) et il serait possible qu’encore une fois il refuse de le faire.
L’impossible révolution prolétarienne mondiale dans un État bourgeois esseulé
Que l’on nous comprenne bien, nous ne faisons pas grief aux leaders bolivariens, pas davantage qu’aux autres « libérateurs » tiers-mondistes sud-américains de n’avoir pu construire un pouvoir politique prolétarien mondial sur les cendres nationales du capitalisme moderne déclinant. Contrairement à toutes les « révolutions socialistes, chrétiennes, communistes, gauchistes, bolivariennes », la révolution sociale prolétarienne ne sera pas l’œuvre d’un chef charismatique (Lénine, Mao, Castro ou Chavez), ni d’une faction, d’une secte, d’un groupuscule, ou d’un parti, elle sera l’œuvre du prolétariat mondial global et elle se réalisera à l’échelle internationale.
L’expérience de la « Révolution socialiste bolivarienne » prouve une fois de plus qu’il est impossible de construire une entité prolétarienne communiste sur une parcelle de terre et que tôt ou Trad le prolétariat vivant dans une enclave « libérée » (comme au Chili – 1972, ou au Chiapas-1994) sera appelé à donner sa vie pour défendre une faction du grand capital et qu’il sera floué par l’une ou l’autre faction du grand capital. Aujourd’hui, la faction Maduro du grand capital vénézuélien ne peut tenir ses promesses –, quels qu’en soient les motifs allégués – et le sage prolétariat vénézuélien refuse de donner sa vie pour l’un ou l’autre de ces bouffons du capital.
L’armée du capital au pouvoir
L’armée du capital, qui n’a jamais changé de nature sous la révolution socialiste bolivarienne, tranchera le dilemme de ce qui est tout sauf une révolution des masses prolétariennes vénézuéliennes, et il semble que l’armée bourgeoise accordera l’exclusivité de l’exploitation des riches gisements d’or de l’Orénoque à la Russie, qui deviendra ainsi la nouvelle puissance impériale exploiteuse de cette néocolonie que fut toujours le Venezuela. Quel en sera le bénéfice pour le prolétariat vénézuélien… des emplois payés aux tarifs réguliers ni plus ni moins…et encore en nombre limité (5)?
Dans la grande tradition sud-américaine, le prolétariat vénézuélien ne devrait sacrifier aucun de ses fils pour défendre les intérêts de l’une ou de l’autre de ces cliques qui se battent comme des chiffonniers pour leurs avantages pécuniaires. Votre guerre de conquête des marchés et des ressources on ne la fera pas et si vous nous poussez à bout nous déclencherons la guerre civile insurrectionnelle. (6)
Notes
Robert Bibeau. (2017) Question nationale et révolution prolétarienne sous l’impérialisme moderne Paris. L’Harmattan. http://www.les7duquebec.com/7-au-front/question-nationale-et-revolution-proletarienne-2/
Rosa Luxembourg. « Nous ne nous soucions pas de savoir qui a attaqué en premier, qui est « l’agresseur » ou les « raisons » de chaque capitale nationale impliquée. Parce que la question sous-jacente est que l’impérialisme n’est pas la politique d’un État ou d’un groupe d’États déterminés, c’est une phase du développement capitaliste mondial, un degré de développement du capitalisme dans son ensemble. Et l’ensemble détermine les partis: il n’y a pas d’État ou de bourgeoisie qui ne soit impérialiste, car aucun d’entre eux ne peut ignorer les conditions générales. Aucune capitale nationale ne peut se développer librement à l’intérieur des frontières de ses États. Elle doit « sortir » – et par conséquent jouer et entrer en collision dans le jeu impérialiste mondial – pour assurer les conditions de sa propre reproduction et de son accumulation. »
https://www.lopinion.fr/edition/international/venezuela-general-appelle-l-armee-soulevement-contre-maduro-186647
Accords Bâle III https://www.andlil.com/definition-de-bale-iii-126361.html
https://www.courrierinternational.com/article/venezuela-dans-les-eaux-troubles-des-mines-dor
Venezuela, une nation assiégée 02.2019 – Caracas, Venezuela – Javier Tolcachier, “La guerre politique, une guerre socioculturelle »
« Au cours des 20 années qui se sont écoulées depuis l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez en 1999, le pays a connu 25 élections, dont des élections présidentielles, législatives, constitutives, régionales et municipales et une initiative de révocation du mandat. Parmi ces 25 élections, le Chavisme a gagné 23 fois, ayant été vaincu lors de la proposition de l’initiative d’une nouvelle réforme constitutionnelle en 2007 et lors des élections parlementaires où l’opposition a obtenu un large triomphe en 2015. » et « A cela s’ajoute l’intention de fermer la voie à la progression des relations commerciales et d’investissement entre la Chine, la Russie et l’Amérique latine, qui diminuent l’hégémonie économique des Etats-Unis et de l’Europe sur la région. »
Reçu de Robert Bibeau pour publication
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Source : Robert Bibeau
http://www.les7duquebec.com/…