Réfugiées africaines ou la traite : comment la France les a-t-elle abandonnées ?
10 juin 2021
- 9 juin 2021
- Par Anna Guérin
- Blog : Le blog de Anna Guérin
En 2017, un reportage de CNN en Libye créait une onde de choc mondiale: on pouvait y voir, en haute définition dans le confort de notre quotidien occidental, des candidats africains à l’immigration clandestine vendus à la criée sur des marchés d’esclaves. Cette pratique digne des heures les plus sombres de l’Histoire, a suscité une indignation et une levée de boucliers unanimes de la part des opinions publiques africaines et internationales, ainsi que des gouvernements et organisations de défense des droits de l’Homme.
Comme souvent en situation d’extrême vulnérabilité, les femmes africaines ont payé le prix fort de ce chaos, subissant des sévices et exploitation de tout type sur la route d’un Eldorado rêvé.
Routes d’Exil
La fièvre médiatique autour du scandale en Libye, aura eu le mérite de jeter la lumière sur les conditions épouvantables de détention de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants déshumanisés, torturés, vendus, bombardés même, dans le désormais tristement bien nommé “enfer lybien”. Les femmes africaines en particulier, encore plus vulnérables que leurs pairs masculins, parfois enceintes, séparées de leurs enfants et de leurs compagnons, ont été réduites en esclavage et soumises à des sévices sexuels d’une violence inouïe. Ce qui est une tragique ironie quand on sait qu’ hormis les causes économiques, familiales ou politiques, l’immigration clandestine féminine d’Afrique est souvent motivée par le désir de fuir des violences sexuelles dans le pays d’origine, que ce soit le Soudan, l’Erythrée, ou encore le Niger, la Côte d’Ivoire ou le Mali.
Si le cas de la Libye a été largement médiatisé ces dernières années, le pays n’est que la pointe de l’iceberg: d’Agadez, à Tunis, d’Alger à Tanger, la même histoire s’égrène inlassablement, racontant les détentions arbitraires, la traite humaine, la précarité extrême, de violences sexuelles, qui semblent blaser et lasser le public. Après des mois, voire des années sur les routes de l’exil, les fortunes sont diverses. Épuisées physiquement, psychologiquement, et financièrement, certaines migrantes finissent par opter pour le rapatriement dans le cadre du programme d’aide au retour et à la réinsertion de l’OIM (Office International des Migrations), d’autres s’établissent dans leurs pays de transit tels que le Maroc.
D’autres encore tentent la traversée dans des embarcations de fortune, plusieurs fois parfois, bien déterminées à accoster en Europe, ou prêtes à mourir en essayant. Selon l’OIM, depuis le 1er janvier 2021, au moins 453 migrants sont morts dans le naufrage de bâteaux de fortune en Méditerranée. Celles qui arrivent à immigrer en France doivent faire face à un autre parcours du combattant une fois sur place. Une nouvelle traversée du désert en somme.
Selon l’enquête Populations & Sociétés publiée par l’Institut National d’Études Démographiques (INED), les migrantes africaines en France sont plutôt jeunes, 26 ans en moyenne, à leur arrivée sur le territoire français et viennent notamment du Congo, du Nigéria, ou encore de Côte d’Ivoire. Elles sont de plus en plus nombreuses à entreprendre le voyage, de façon autonome, sans compagnon ni enfant. La majorité de ces femmes fuient la pauvreté, le chômage, l’instabilité politique, l’insécurité, les violences liées au genre telles que le mariage forcé et les violences conjugales, mais pour plusieurs, le désir d’immigration est nourri par une image idyllique de la France, et plus largement de l’Europe, souvent entretenue par les médias ou par des proches primo-arrivants.
Insécurité administrative et résidentielle
En prise avec ses propres défis politiques, économiques, environnementaux et à présent sanitaires, le vieux continent en général , et la France en particulier se barricade à coup de barbelés et d’un arsenal juridique toujours plus répressif. Les mauvaises langues affirment d’ailleurs que dans des cas comme celui de la Libye, les pays européens ne rechignent pas à fermer les yeux sur les violations des droits des migrants, dans le cadre d’accord bi-partites avec les pays de transit.
C’est dans ce contexte que la loi Collomb sur l’asile et l’immigration introduite en 2019, durcit le ton contre l’immigration clandestine: doublement du délai maximal de rétention, facilitation des procédures d’expulsion, restriction des retours, etc. Dans les faits, les migrantes africaines supposément protégées par plusieurs dispositions législatives françaises et internationales, et éligibles à l’asile en cas de traite ou de violence, se retrouvent dans une grande précarité, en raison de plusieurs facteurs qui peuvent aller de la méconnaissance de leurs droits ou de la langue française, à l’omerta et au tabou qui règne autour des abus sexuels, ou tout simplement d’un manque de volonté politique des autorités françaises.
En l’absence d’un titre de séjour et d’un emploi qui ne viendront pas avant 3 à 5 ans en moyenne, plusieurs femmes se retrouvent souvent contraintes d’avoir recours à des tiers pour être hébergées, faisant le lit des viols et des rapports sexuels dits transactionnels dans une optique de survie. De fait, toujours selon l’étude Parcours, de nombreuses migrantes africaines déclarent avoir subi des violences sexuelles avant, mais également après leur arrivée sur le territoire français. D’ailleurs, un tiers des femmes africaines séropositives ont été contaminées après leur arrivée en France.
Il semblerait ainsi, que la France des Lumières, ait oublé ou plutôt s’est décidée à renoncer à son passé de terre d’accueil, de refuge des opprimés en réponse aux pressions politique d’extrême droite. Ces femmes quant à elle, comme depuis des millénaires se retrouvent ainsi prises au piège, de jeux politiques les laissant seules face à l’insécurité, aux violences sexuelles et physique dans un pays qui prônerait des valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité.